Il y a une œuvre qui, année après année, m’éblouit, c’est celle d’Audiberti. C’est une œuvre multiforme, car Audiberti est à la fois poète, auteur dramatique (« l’effet Glapion » fut un succès ) et romancier abondant. Mais attention ses romans sont surtout de longs monologues d’un flâneur de la vie et flâneur des villes:Paris d’abord, puis Antibes sa ville natale, ou Milan voir « Le maître de Milan »ou Lyon, au hasard de ses voyages. Chaque livre est une promenade dans uen ville, dans son passé, ou un abandon à son imagination dans un foisonnement de mots. Le pus souvent, d’un quartier de Paris ,il tir e des anecdotes, des personnages, des émotions, des souvenirs , comme si chaque pavé d’une rue rameutait un bric-à-brac d’histoires plus ou moins intimes,plus ou moins fantastiques, plus ou moins rêvées.

C’est un art baroque, énorme, avec des passages secrets, des jardinets érotiques, des digressions pleines de charme, « Mais demeurons dans la vie. Restons en vie si nous pouvons. Le « journal », roman annelé, s’allonge petit à petit, engouffrant les sentiments que le héros, c’est-à-dire l’auteur, reçoit de ses rencontres et de ses expériences. Vous ne saurez jamais au juste, vous, sujet de votre propre bouquin, de quel morceau de votre personne le chapitre qui vient fera ses choux gras. »
Cette prose riche, si ample, fluviale, charrie tant d’étincelles, d’images superbes, que la critique littéraire la compare à celle de Victor Hugo.
Audiberti passe du ton familier au précieux, du noble au trivial, du cosmique au comique.Cet auteur n’a pas son pareil pour glisser en douce des souvenirs de faits divers oubliés .N’oublions pas que le jeune Audiberti, avant-guerre, travailla à « Paris-soir », section chiens écrasés puis rubrique spectacles.Il lui suffit d’un couloir d’hôtel, d’une vitrine de boucherie, de quelques pas dans les coulisses d’un théâtre pour que des réminiscences affluent, et que son imagination se mette à tourner à plein régime. Il sait s’attarder sur des considérations architecturales sur les pavillons meulière de la banlieue, ou fabriquer un poème assez rigolo sur la cathédrale de Strasbourg,comme s’il s’agissait d’une de ses amies. Le meilleur Audiberti, vous le trouvez dans son ultime promenade parisienne « Dimanche m’attend », carnet de notes de ses derniers mois avant cette mort proche annoncée par son médecin .

Il vous entraîne dans le périmètre des Halles « à la trattoria Toscana »:
» L’éclairage respecte les yeux mais les nappes brillent trop blanc,unique réserve. A l’ angle du passage prospère un magnifique magasin de jouets dont le patron a l’air si triste qu’on n’ose pas entrer se procurer une marionnette embrasseuses ou l’armée d’Indochine avec hélicoptères réels. » Il se dirige vers la Place d’Italie avec ses paulownias à fleurs rouges et s’arrête dans le marché de l’avenue Blanqui. « caleçons, articles de ménage,bretelles, décapants, combinaison, dentifrices, rognons de porc,tripes madère, avec l’appétit touristique qui vous vient de vous enfoncer dans le pittoresque des souks, fût-ce quand on débarque de la grouillade des bords du Gange »… Tout, absolument tout dans « Dimanche m’attend » est de cette encre.Un adieu à sa ville tant aimée qu’il confond avec sa vie, revisitée au bord de la tombe dans une dignité narquoise et une immense tendresse. La maladie lui a donné un curieux mordant épuré ,une discipline dans le regard, et une modestie d’écriture qui transforme ce carnet d’un flaneur en testament à la Villon.
L’ art d’Audiberti repose aussi sur un constat amer.Les relations qu’il eut avec les femmes furent celles d’un complexé , d’un timide maladif , d’un coincé, souffrant de son physique pataud,et de son visage aux traits mous. Il a donc rêvé l’amour dans une sorte de fantasme romanesque et de vertige sentimental qui culmine avec son roman « Marie Dubois ». Il a mis beaucoup de lui-même dans le personnage l’inspecteur Loup-Clair gros homme, flasque, empoté, peureux , sans doute vierge et qui tombe amoureux de cette fille assassinée, Marie Dubois, dont le visage si frais le hante tout au long de son enquête.

Né à Antibes le 25 mars 1899, père maçon (qu’il vénéra), il devint greffier au tribunal de sa ville natale après des études assez ternes. Grace à un ami de collège, il entre dans le journalisme parisien. Il est vite remarqué par son talent multiforme, sa facilité, sa virtuosité pour aborder tous les sujets quotidiens : faits divers de quartier, critiques de cinéma, enquêtes policières, croquis d’ambiance, émeutes, beaux crimes, etc.
Il adore faire un papier sur »la brute avinée » qui manie la hache dans un hôtel de passe, ou le parlementaire en goguette qui rate son virage et met sa Panhard dans la Seine avec la belle sténo dactylo .. Il traîne dans ces bistrots popu avec la photo de Bartali collée sur le percolateur. Il s’attarde devant un sucre qui fond dans une tisane, un faux fakir qui attire les gens du quartier, un prêtre qui d’un geste brusque ôte les œillets qui garnissent l’autel devant lequel il doit dire sa messe. Il ne regarde jamais de haut une concierge, un livreur de gazettes, un balayeur, une pute. « L’éternité ! Zut! L’éternité ! Sans doute nous y sommes, de toute façon, mais enveloppés, chacun, de ce pot de fleur malléable, notre corps, qui, s’il se brise, les morceaux vous entrent dans la peau. »

Dès l’enfance, elle déploie des talents artistiques, écriture, dessin.
Grande asthmatique, elle a dû lutter contre la maladie, Elle acollaboré à « Lecture pour tous » où ses articles étaient remarqués pour leur ironie brillante.

Jamais pressé, Audiberti bavarde avec les ouvriers tachés de plâtre, les vendeuses de brioches de la rue Richelieu, les pécheurs des bords de Marne ; il suit les trottoirs de banlieue avec des bouts de mégots, les bidasses 10 au jus et leurs blagues idiotes, les garçons de café et leur tablier blanc qui essuient les tables et la morgue de touristes , il savoure les petites pluies avec un rayon de soleil au moment de sauter dans le bus vers Batignolles . Il rôde ,sournois et entêté, dans les gares l’hiver avec ses cafés aux vitres pleines de buée. Il s’assoit sur les bancs du Palais Royal ,pense à Colette ou Jeanne Moreau », à ces comédiens qui ont joué dans ses pièces et font des figurants plus vrais que nature dans les cimetières. « Ridicule, l’écrivain, quand il se donne l’air de s’extraire, invulnérable et méprisant, de l’enfer général où nous gigotons tous ,lui compris, pour se moquer de la gueule du voisin, ou même pour embringuer dans des intrigues plus ou moins imaginaires des personnages composés à partir d’individus saisis sur le vif. »

Il s’amuse des reporters en imper qui courent dans les escaliers du Palais de Justice , des vieilles en manteaux peau de lapin bouffeuses de gâteaux, il s’assoit sur un prie-dieu dans l’église Saint -Sulpice pour crayonner une fois de plus le mur peint par Delacroix . Je comprends Truffaut qui le relisait entre deux tournages.
Souvent il se promène la nuit vers Palaiseau ou monte dans le métropolitain brinquebalant de l’époque ,croyant dans sa torpeur, que la ligne va l’emporter vers la mer méditerranée et le port d’Antibes et une bouillabaisse. Sous les arabesques si flatteuses de son stylo une mélancolie se fait entendre ,marquée de curieux échos de souvenirs et d’un sur-monde virginal, et ça fait cirque façon » Huit et demi » de Fellini. avec hypnotiseurs, cuisiniers niçois, croupiers, petites vieilles qui « fleurent le Vétiver » princes en toc, tantines en jaquette pure laine des Pyrénées, putes italiennes devant assiettées de spaghetti, marchand de pralines, tout un monde charmant, un tantinet désuet, décalé, cabriolant , s’éloigne.

« L’existence m’apparaît comme la machination d’un mystère si fantastique et si théâtral que je tremble toujours de ne pas remplir congrûment le rôle qui m’y fut assigné. »