Jason

Maintenant, retiré, vieux, Jason parle aux montagnes des Pyrénées…Le soir devant un verre de whisky il s’étire , observe la chute du soleil, les nuages qui se défont, il passe d’une pièce vide à l’autre, toutes dégagent une odeur de vieux parquets, de cendres, de bois brûlé. La nuit il entend craquer les pins. Il est dans l’ascèse du silence pour mieux oublier les autres, nous. Sa jeunesse se décolore avec lenteur dans son verre. Ses amis, ce sont des chemins perdus, des affaires cotonneuses, des éléments de rêve qu’aucun commentateur nocturne n’accompagne pendant la gueule de bois du réveil, simplement des valises abandonnées dans un train. Instants mal tracés, résidus comme une cargaison qui tombe doucement dans l’eau, et nous toujours nous, à peine entrevus sur un banc : Jason confond nos visages et celui de nos enfants dans le crépuscule épais de l’alcool . Son passé est un creux d’où ne brille qu’un village de boue séché au bord du désert, des maisons inhabitées avec une nounou aux yeux étirés par le kohl et un fou qui hurle sur une place blanche et poudreuse face au cimetière.

De ces soirées il ne reste qu’une partie des ping-pong avec des brindilles sur la table, dans un jardin de Sorèze où nous étions réunis pour la dernière fois . Le ciel miraculeusement bleu et lumineux au dessus du magnolia , tandis que la sœur de Valmy recherchait dans la proche montagne forestière, apaisée , flottante, le souvenir d’ une nuit charnelle d’une admirable douceur, et dont le miracle ne s’était jamais reproduit. Elle s’installait devant le canal du Midi, elle était restée inerte entre des flaques tiédies par le soleil. Elle semblait dévorée par l’attente et le silence de l’eau trop verte , elle nous inquiétait. Elle ressemblait à Virginia Woolf dans les longs plis snobs d’une robe qui laissait découvert ses bras nus avec des petites égratignures..

Nous nous nous demandions tous si elle avait vraiment vécu cette nuit incomparable dont elle nous bassinait .Son délire s’accordait bien à ce jardin pierreux, avec des murets qui semblaient respirer dans le mouvement des lézards.

La nuit venait : nos visages s’enfonçaient dans la pénombre, on entendait un curieux bruit de barrage. Les effets conjugués de la fatigue alcoolique et de la mémoire nous laissait éparpillés , démunis, soulagés, au fond, d’être éloignés du centre bruyant des villes. Un soir nous fûmes fascinés par le spectacle de la nouvelle fiancée de Morel, celle qui se cachait souvent au fond du jardin, méprisant nos conversations  d’intellos ; elle avait posé et branché un électrophone sur le rebord de la fenêtre, avait choisi le Boléro de Ravel parmi les disques entassés sur le vieux meuble. Lorsque la musique commença elle s’enroba d’un châle, Elle cambra les reins, découvrit une épaule grasse magnifique puis dégagea les plis de sa robe pour offrir une de ses cuisses. Elle monta l’escalier de pierre en claquant nerveusement des talons . Je pensais à cette profusion d’os d’un corps qui danse. Orgueilleux défi à notre assemblée qu’elle ne comprenait pas ? Trop bourgeoise  pour cette militante communiste? Allez savoir.. On ne la revit pas de la soirée. Un étrange espace s’ouvrait entre les fenêtres de nos chambres. Je me penchais un peu à cause des ombres sur les visages car je voulais photographier notre groupe autour du magnolia. La hauteur de la maison rayonnait des tiédeurs de l’été. J’étais triste.

Nous savions que nous étions tous dans la meilleure parenthèse de nos vies à ce moment là.

Le canal du Midi

Il a toujours eu des revanches à prendre car, en quelques semaines, la vie de Jason est partie à la dérive. Dans un premier temps, son producteur qui l’hypnotisait avec son argent est parti avec la caisse. Le film bergmanien qu’il rêvait d’achever est resté en fragments, quelques boites en fer sur un coin de cheminée de marbre . Je me souviens, du studio dans le XV° arrondissement, près des anciens abattoirs. Il sentait le hasch. Jason m’avait montré des bouts de son film. Il avait sélectionné les meilleures images du chef opérateur Gunnar Fisher :la splendeur de l’été suédois, les îles, la mer qui scintille, les orages qui montent, les visages lavés, nus de Bibi Andersson et le modelé souriant des lèvres d’Ingrid Thulin.

Jason s’était rendu à Gotland dans une fuite fiévreuse à travers l’Europe, à suivre les trajectoires monotones des autoroutes. Puis le bac. La baltique. Gotland. L’île minérale. Ciel noir. Hautes herbes, la mer comme une lueur qui s’éteint. Et dans le rectangle du pare-brise taché de pluie, la maison de Bergman comme un mauvais rêve. Rien. Personne. La pluie qui crépite. Visages fermés des paysans. Le retour interminable avec les arrêts dans les stations service allemandes à boire des mauvais cafés. La fatigue.

Ingmar Bergman (1918-2007) ici sur une plage de l’ile Faro en décembre 1971

Pendant c e temps Stella était partie avec un spécialiste de la structure génétique. Une liaison courte semée de bouderies dans une maison glaciale.. Béa, après avoir vérifié la force strangulatoire de Morel au cours d’une soirée de beuverie, s’était mise à l’écart de la « cruauté de l’humanité » dans un estuaire « avec un ciel pâle », comme elle m’avait écrit de l’île de Suomenlina, en Finlande. Tout le monde foutait le camp plein Nord.

Que d’esprits meurtris, aiguisé , désolés quelques mois plus tard, après cet été brûlant du Tarn qui s’éloigne.

Je revins doucement sous un ciel de plomb le long des routes bocagères qui mènent de Combourg à Dinan parmi des champs qui gardent une drôle de couleur métallique et des vergers touffus . Herbes, vagues, bêtes, collines, haies, maisonnettes, carrefours avec crucifix s’engloutissent dans le rétroviseur…La musique du Temps revient, constante comme la succession des champs dans le bocage.

… J’arrêtais souvent l’Alfa devant la mer, vers Saint-Jacut… Il y avait des nappes de mercure… La nuit tombait sur ce paysage d’eau avec des petits remous… La terre cessait d’être visible… Les enfants chahutaient à l’arrière : nous rentrions par ces routes de la côte pleines d’embouteillages, et nous nous arrêtions dans une station Esso… Pendant que l’Alfa passait sous un portique de lavage et que la mousse déformait le paysage dans le flou des brosses… j’essayais de récupérer le terrain conquis de nos souvenirs en commun, mais je ne gagnais rien en étendue, en précision, en émotion, tout semblait en retrait, resté en suspens comme un terrain à vendre convoité ,mais qu’un autre achète dans un éclat de rire. Les enfants comptaient leur monnaie pour s’acheter des friandises… Ce crépitement sourd des brosses dans le bas des tôles , je l’entends encore…

5 réflexions sur “Jason

  1. polo à son lavabo..pendant que sa vie qui se vidange comme une clepsydre avec la déviation de coriolys contraposto gascogne-ouessant qui va bien..polo qui fait l’horloge biologique parlante..mais reprends toi polo..reprends toi! je n’irais pas jusqu’à te souhaiter le divine axident à palmade..j’en ai pas les moyens..mais pense à te reveiller en momie dans ton « alfa »..mal au cheveux..assassin..coupable jusqu’a la perf!..mais plus en vie qutoi polo!..faut qutu luttes a pas phinir vieux bouteillon de niokmam coincé avec les cadavres de tsingtao du fleuve jaune polo ..chais pas polo..je sais qu’a sinmalo ils en ont marre des touristes..crèves zen quelquesuns en douce..quelques unes..sans te faire prende hévidemment..ça doit pas ête trop dur..la police -autochtone- devrait regarder ailleurs te laisser faire..un temps..celui de faire un landru dans les embruns égaux et libres!
    ..ne me remercie pas polo..j’ai l’âme bretonnante et charitabe

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  2. … J’arrêtais souvent l’Alfa devant la mer, vers Saint-Jacut… Il y avait des nappes de mercure…

    c’est phinit ça polo..c’est la tesla avec porte papillon..et le dip blou cobalt..ha c’est certain que cicéron avec sa chaise à porteur pouvait tartariner sécouloroume..pour le noise des brosses jai rtrouvé polo..great

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  3. C’est précisément parce qu’elles sont finies que P E reste attaché à ses sensations là, Bouguereau. Et elles le méritent, je crois. MC

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  4. @ Les lits du premier, avec leurs affaissements, leurs creux, dans des chambres ténébreuses, me parlaient de l’énigme de deux corps qui s ‘entre-dévoraient l’un l’autre pour finir dans un tourbillon de cendres ou la naissance d’un embryon.

    Se peut-il que François-René ait dû porter sur son dos d’outre tombe, le poids d’un frère aîné, guillotiné pour avoir voulu sauver la tête du Roi ? –
    Mais il voulait aussi aller de l’avant… Et ses souvenirs n’étaient peut-être pas les nôtres.
    De toute façon, « tout est trop vaste pour les mots ».

    Cliquer pour accéder à 3-Silence.pdf

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