Je suis toujours surpris que les stendhaliens ne parlent pas davantage de l’expérience militaire de Stendhal dans sa formation. C’est un moment capital. Stendhal a fait toutes les campagnes militaires à partir de 1800, sauf deux : la campagne d’Autriche en 1805 (il est alors à Marseille et semble se désintéresser complètement de la vie politique et militaire contemporaine, au point que l’on ne trouve même aucune référence dans ses journaux et lettres de l’époque à la victoire d’Austerlitz le 2 décembre), et la guerre d’Espagne de 1808-1809 ,pour la bonne raison qu’il est alors commissaire des guerres à Brunswick.

C’est en 1800, le 7 mai, que Stendhal , 17 ans, part pour l’Italie. Il arrive fatigué et fiévreux à Milan le 7 juin. Il prend des leçons d’un maitre d’armes, apprend la clarinette, multiplie les projets de pièces de théâtre qu’il n’écrira pas. « Je crois qu’un jour je ferai quelque chose dans la carrière du théâtre. ». Il est navré « d’avoir l’air gauche avec les femme ».
Ce sous-lieutenant au 6° dragons est affecté en 1801 à l’état-major du général Michaud » .
« J ’ai fait avec le général Michaud de grandes promenades à cheval. Le pays de Bergame est vraiment le plus joli que j’aie jamais vu. Les bois dans les collines derrière Bergame sont tout ce qu’on peut imaginer de délicieux. » Il ne manque jamais d’aller au théâtre écouter du Goldoni dont il apprécie les comédies.il a souvent des poussées de fièvre qu’il soigne à la quinine .A Milan il est toujours fourré à l’opéra .Il aussi stationne à Bergame, Brescia, et la vie mondaine l’attire. Il rentre à Paris début 1802 et démissionne de l’armée.
Jusqu’ici il n’a jamais participé à une bataille. Quand il réintègre l’armée fin1806, protégé par Martial Daru, on l’envoie en Allemagne à Brunswick. Il est alors adjoint provisoire aux commissaires des guerres. Et là, il n’y-a pas que sa passion amoureuse pour Mina de Griesheim. Il découvre à 26 ans, les horreurs de la guerre, lui qui n’a jamais participé à une bataille. Il écrit dans son » « journal », à la date du mai 1809, à Enns, un très long et vrai reportage sur ce qui s’est passé . Il raconte que d’abord un incendie s’est déclaré , »brulant 50 ou 60 maisons ». Quelques officiers français sont « horriblement brulés ».Il continue : « Voilà de l’horreur, mais de l’horreur aimable, si l’on peut parler ainsi. Celle d’hier a été de l’horreur horrible, portée chez moi jusqu’au mal de cœur. »

Extrait :
» En arrivant sur le pont sur la Traun nous trouvons des cadavres d’hommes et de chevaux, il y en a une trentaine encore sur le pont ; on a été obligé d’en jeter une grande quantité dans la rivière qui est démesurément large ; au milieu, à quatre cents pas au-dessous du pont, était un cheval droit et immobile ; effet singulier. Toute la ville d’Ebelsberg achevait de brûler, la rue où nous passâmes était garnie de cadavres, la plupart français, et presque tous brûlés. Il y en avait de tellement brûlés et noirs qu’à peine reconnaissait-on la forme humaine du squelette. En plusieurs endroits, les cadavres étaient entassés ; j’examinais leur figure. Sur le pont, un brave Allemand, mort, les yeux ouverts ; courage, fidélité et bonté allemande étaient peints sur sa figure, qui n’exprimait qu’un peu de mélancolie (..) Montbadon*, que j’ai retrouvé à Enns, toujours se faisant adorer partout, est monté au château, qui était bien pire que la rue, en ce que cent cinquante cadavres y brûlaient actuellement, la plupart français, des régiments de chasseurs à pied. (..)*Montbadon , ami de Stendhal, était adjoint, lui aussi, aux commissaires des Guerres-dans l’Intendance.

« Un très bel officier mort ; voulant voir par où, il le prend par la main ; la peau de l’officier y reste. Ce beau jeune homme était mort d’une manière qui ne lui faisait pas beaucoup d’honneur, d’une balle, qui, entrant par le dos, s’était arrêtée dans le cœur. Il parait probable qu’il y eut 100 morts. Ce diable de pont est énormément long, les premiers pelotons qui s’y présentèrent furent tués net. Les seconds les poussèrent dans la rivière et passèrent.. » Il explique aussi que depuis plusieurs jours, il dort tout habillé, allongé sur des chaises, prêt à se battre, sous le harcèlement des autrichiens.. Stendhal fut jugé par ses supérieurs comme un officier intelligent mais tranchant et susceptible.

Pendant la campagne d’Allemagne de 1809, qui fut très dure contre les prussiens, car souvent le système militaire français fut mis en échec, Stendhal , entre deux escarmouches s’attarde aussi volontiers sur l’évocation de la délicatesse du paysage allemand, ou le coté avenant , doux, franc, maternel des femmes allemandes . Ce qui frappe dans ses lettres aussi bien que dans son « Journal » c’est son style : refus de l’emphase ,refus de toute idéalisation Romantique, de toute vantardise. A noter aussi que les épisodes les plus choquants sont rapportés dans un style froid, précis. Il les passe sous silence quand il écrit à sa chère sœur Pauline. Parfois un éclair d’ironie. Mais le pire il devait le vivre au cours de cette si éprouvante retraite de Russie, où il faillit vraiment mourir, -et dont il ressortit amaigri, sans cheveux- débarrassé de toute illusion sur le genre humain. C’est au cours de cette infernale retraite par -30° que Stendhal révèle son courage, sa présence d’esprit, et supporte des épisodes qui découragent les caractères les mieux trempés. . Il confie dans une de ses lettres qu’il a « vu et senti des choses qu’un homme de lettres sédentaire ne devinerait pas en mille ans ». Là encore le culte de l’énergie ne fut pas une formule creuse. Tous les témoignages à propos de la campagne de Russie concordent pour reconnaitre sa maitrise, sa lucidité, et l’intelligence rapide de ses décisions qui ont sauvé ses hommes dans la débâcle .Notamment au passage de le Bérézina. C’est un des paradoxes de Stendhal, dans les pires circonstances de la Retraite de Russie, il montre qu’il il ne craint pas la mort alors que dans un salon il perd ses moyens et se révèle timide avec les femmes. Les meilleurs stendhaliens et non des moindres (Henri Martineau, Michel Crouzet notamment) avancent que c’est dans cet enfer et parmi les débris de la grande Armée, à l’extrême limite de l’épuisement, découvrant le fond même de la barbarie dans les deux camps, qu’ il s’est forgé cette morale de l’Egotisme . J’y reviendrai.

En attendant, voici comment il raconte à son ami Felix Faure, resté à Paris, l’incendie de Moscou tel qu’il l’a vécu.
A FÉLIX FAURE, A GRENOBLE
Moscou, 4 octobre 1812
(..) Je pillai dans la maison, avant de la quitter, un volume de Voltaire, celui qui a pour titre Facéties.
Mes voitures de François se firent attendre. Nous ne nous mîmes guère en route que vers sept heures. Nous rencontrâmes M. Daru furieux. Nous marchions directement vers l’incendie, en longeant une partie du boulevard. Peu à peu, nous nous avançâmes dans la fumée, la respiration devenait difficile ; enfin nous pénétrâmes entre des maisons embrasées. Toutes nos entreprises ne sont jamais périlleuses que par le manque absolu d’ordre et de prudence. Ici une colonne très considérable de voitures s’enfonçait au milieu des flammes pour les fuir. Cette manœuvre n’aurait été sensée qu’autant qu’un noyau de ville aurait été entouré d’un cercle de feu. Ce n’était pas du tout l’état de la question ; le feu tenait un côté de la ville, il fallait en sortir ; mais il n’était pas nécessaire de traverser le feu ; il fallait le tourner.
L’impossibilité nous arrêta net ; on fit faire demi-tour. Comme je pensais au grand spectacle que je voyais, j’oubliai un Instant que j’avais fait faire demi-tour à ma voiture avant les autres. J’étais harassé, je marchais pied, parce que ma voiture était comblée des pillages de mes domestiques et que le foireux y était juché. Je crus ma voiture perdue dans le feu. François fit là un temps de galop en tête. La voiture n’aurait couru aucun danger, mais mes gens, comme ceux de tout le monde, étaient ivres et capables de s’endormir au milieu d’une rue brûlante.
En revenant, nous trouvâmes sur le boulevard le général Kirgener, dont j’ai été très content ce jour-là. Il nous rappela à l’audace, c’est-à-dire au bon sens, et nous montra qu’il y avait trois ou quatre chemins pour sortir.
Nous en suivions un vers les onze heures, nous coupâmes une file, en nous disputant, avec des charretiers du roi de Naples. Je me suis aperçu ensuite que nous suivions la Tcepsltoï ou rue de Tver. Nous sortîmes de la ville, éclairée par le plus bel incendie du monde, qui formait une pyramide immense qui avait, comme les prières des fidèles, sa base sur la terre et son sommet, au ciel. La lune paraissait au-dessus de cette -atmosphère de flamme et de fumée. C’était un spectacle imposant, mais il aurait fallu être seul ou entouré de gens d’esprit pour en jouir. Ce qui a gâté pour moi la campagne de Russie, c’est de l’avoir faite avec des gens qui auraient rapetissé le Colisée et la Mer de Naples. »
Extrait d’une interview d’un jeune auteur de SF chinoise :
« La Chine est probablement le pays le plus actif au monde en matière de traduction d’œuvres étrangères. On nous demande de lire des classiques mondiaux dès notre plus jeune âge, notamment de la littérature russe de l’époque soviétique (Et l’acier fut trempé), de la littérature française, comme Le Rouge et le Noir, Notre Dame de Paris ou La Comédie humaine, ainsi que des classiques d’autres pays. Ces lectures font partie de nos examens à différents moments de nos études. Je ne peux pas dire que ce soit pour tout le monde pareil, mais dans la communauté des écrivains au moins, la connaissance des grands classiques de la littérature occidentale classique est considérée comme un prérequis élémentaire. »
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bonjour PAUL, je venais juste de lire un papier sur le dictionnaire amoureux de Stendhal par D Fernandez… J’en étais encore à me demander pourquoi ce Fernandez appréciait le « bedonnant », et mettait surtout en relief ses pitoyables aventures féminines… comme si c’était cela qui l’avait attiré… Mais je ne sais plus où j’ai lu cela… Ah voui, dans le canard enchainé dd’hier…
Et je me demande soudain si votre billet singnalé par RM sur l’autre chaine, n’aurait pas en qq sorte constitué une sorte de réplique ou meilleure mise au point de votre part… Les rebonds ont toujours qq chose de mystérieux qui m’intrigient. Mais peu importe, vous m’aviez ait découvrir Stendhal, on ne peut pas dire que vous soyez un opportuniste… Vous le connaissez et le défendez mieux que personne, bravo pour ce nouveau papier. Sincèrement, le dico de DF que j’ignoaires mérite-t-il le détour ? Que vaut-il au juste ? Bàv
JJJ
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« Le dictionnaire amoureux » de Fernandez est une bonne acquisition. Bien documenté, Fiable. Bien écrit, j’ai eu du plaisir à le lire car DF est un connaisseur. et il a l’avantage d’avoir lu tout ve qui concerne l’italie, ,le « Rome Naples et Florence » ou ses « chroniques italiennes ». je signale aussi qu’en Folio, il est indispensable d’acquérir le « journal » complet de Stendhal préfacé par Dominique Fernandez, c’est une edition remarquable. Fernandez s’appuie sur Del Litto et surtout le travail éditorial d’Henri Martineau, il a bien raison, ce sont des stendhaliens fiables et d’une grande finesse.
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« C’est un des paradoxes de Stendhal, dans les pires circonstances de la Retraite de Russie, il montre qu’il il ne craint pas la mort alors que dans un salon il perd ses moyens et se révèle timide avec les femmes »
Me revient en tête cette phrase de Stendhal lui-même, peut-être dans son Napoléon, à propos de je ne sais plus quel gommeux, je cite de mémoire : » poli et courtois dans les circonstances ordinaires de la vie et s’effaçant dans les grandes »
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Éblouissante.
Bergame, bâtie tout en haut, médiévale, autour d’églises château et bâtiments d’importance, ceinte de remparts, escarpée.
Un magasin de pâtes et de foccacia.
Pour descendre en dessous, une des portes d’entrée de la ville haute fait franchir les douves.
Dans ces douves tout en bas un jardin extraordinaire , entre murailles, dans le fossé verdi.
L’étage du dessous séparé de la ville haute par une large avenue ceignant la ville. Côté pentu d’immenses propriétés, anciennement dévolues à une seule famille, aujourd’hui scindées en huit appartements résidentiels, le jardin luxuriant.
Des volées de marche en cascade qui dégringolent vers le troisième étage à hauteur d’homme. Le relief s’aplatit. Ville moderne et animée ; de larges avenues perpendiculaires.
La gare à une extrémité. Un marché animé.
Une ville attachante.
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Je vais me sentir encore plus coupable d’avoir si peu lu Stendhal…
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Ce Stendhal aguerri a du mal à effacer mon impression première de l’homme : un auteur qui se cache à peine derrière son double idéalisé en jeune homme, Fabrice, le Fabrice à Waterloo en touriste ahuri. Toujours cette impression d’avoir affaire à quelqu’un qui traîne ses guêtres autant que son spleen, où qu’il se trouve.
Et quand il oublie ses lourdeurs d’obèse, un godelureau qui batifole sur les moments vifs de l’Arpeggione de Schubert.
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C’est plutôt l’énergie qui le caractérise, regardez l’ambition de son, héros Julien Sorel, et l’échappée de Fabrice pour gagner Waterloo..
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Paul Edel
Pour Ingeborg Bachmann, par une princesse,
https://www.chanel.com/fr/mode/evenement/rendez-vous-litteraires-ingeborg-bachmann/
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