Ce matin de juin, à sept heures, je sors de l’hôtel pour aller trois rues plus loin prendre un café dans la via Giovanni Battista Morgagni C’est un petit bar à reflets de palissandre. J’aime son serveur âgé, à veste blanche impeccable, il circule devant des rayons de bouteilles d’apéritifs avec belles étiquettes constellées de médailles dorées . Ses gestes sont précis, lents, réguliers, avec une pointe de solennité même quand il y a une foule empressée.
Quand je franchis la porte, des infirmières piapiatent, volubiles et chantantes, rayonnantes, elles viennent de la polyclinique Umberto Premier toute proche. Je me faufile jusqu’au bar entre deux blondes en train de s’échanger leurs lunettes de soleil en admirant leurs montures Dior. Une autre lisse ses cheveux châtains et met une espèce de chapeau de chasseur tyrolien orné de longues plumes noires bleutées de coq de bruyère, caractéristique des Bersaglieri. Ce détail rend la scène plaisante, presque carnavalesque.
Devant moi , le serveur pose un granité de citron qui fond doucement dans la coupe en verre taillé et ça devient un amas de neige fondue transparente. Femmes entre elles.. Altières, joueuses, distraites, rieuses, fantasques, avec les riches arômes des parfums offerts en général pour la fête des mères .Les corps libres sous les blouses. L’une menue, avec une peau très blanche et de gentils yeux verts tapote sur un portable à l’écran cassé. Elles ont entre 25 et 40 ans , elles font partie de cette génération exaltée d’amour et de coquetterie, génération régnante, ardente et encore ascensionnelle.

L’infirmière proche a un visage lisse, un profil parfait et un maquillage si soigné et des cheveux impeccablement tirés qui font penser à une hôtesse de l’air. Elle déboutonne le haut de sa blouse pour montrer à son amie un débardeur à rayures Je plonge dans les parfums capiteux.
-Tu sais ce que c’est que la parousie* ?
-Non.
-Il m’a demandé ça avant de monter dans sa bagnole…
L’atmosphère de ce bar matinal est vive avec toute cette brigade blanche remaquillée à neuf. Transparences de feuilles dans le verre cathédrale proche de la porte. Ça bavarde avec entrain, voix volubiles entremêlées, accents rauques, fou rire soudain comme des lames acérées et étincelantes. Quand je pense que tout à l’heure je retournerai à l’hôtel, décrocher la clé au tableau, devant ma machine à écrire, seul et muet , à écouter les bruits de couloir, les femmes de chambre qui claquent les portes, en pensant que je n’écrirai jamais « Guerre et Paix » ni même « La dame au petit chien » de Tchekhov. Ces Russes, quand même, cette manière de mentir magnifiquement…
Heureusement tout contre mon épaule une fille à beaux cheveux noir corbeau montre son genou à sa copine. Un genou rond, blanc, lisse, crémeux, plein, immense, vertigineux.
J’imagine les heures creuses de la nuit dans parmi les couloirs et escaliers déserts, aux reflets de linoleum. Les boites de gants stériles prés du clavier d’ordinateur, le placard à bandages, l’anneau du Scanner et sa bouche d’ombre derrière les stores, la barre lumineuse verte qui clignote à l’extrémité du couloir vers le service traumatologie, et ces heures quand il ne se passe rien, ce sournois colletage avec la Mort qui traine sa faux dans l’ascenseur .Ce qui a dû flotter de désœuvrement et d’ennui pour ces jeunes femmes au milieu de la nuit, cet éternel entresol, un magazine feuilleté dix fois dans cette ambiance de catacombe.
Enfin, le miracle du matin ! Les premiers oiseaux chantent ! Cloches du campanile. La sortie bavarde et ensoleillée de ces infirmières dans la cour, la folle réverbération du milieu de l’allée, jambes nues, mollets découverts. Soleil jusqu’au portail. Scintillements de la rue, épaisseur noire si belle des platanes.
C’est vertigineux d’être à la fois si proche d’elles, dans le parfum musqué et orientale de leurs chevelures, la tasse de café à la main, au beau milieu de cette cargaison magnifique de jeunesse et de maturité, et quand même séparé d’elles par tant de saisons. Volupté de leurs jambes, notamment celle qui d’un petit coup du pied gauche, ôte sa ballerine pour gratter son autre pied tout en cherchant de la monnaie dans son sac-panier.

Le serveur et sa calvitie avancée reste impassible devant cette assemblée de femmes, il s’affaire autour de la machine chromée qui siffle, chante, suinte, fait bouillonner du lait dans un petit pot de métal.
Ces jeunes femmes sorties d’un tableau de Botticelli, là, ce matin comme si c’était Pâques, ou la Résurection. Je me dis que j’ai la chance d’être terrien.
Devant la porte j’attrape une chaise pour profiter du soleil qui joue dans les ombrages des platanes. Elles s’en vont bras dessus bras dessous, légères sur les taches du soleil, et s’éloignent dans leurs parlotes. La lumière du trottoir, fragile, oscillante tombe sur un vieux romain qui mâchonne et fume un cigarillo, à moitié assoupi sur son banc , un journal posé sur ses cuisses .La perspective de la rue et ses grands immeubles blancs me semble soudain posséder une précision photographique irréelle, prophétique d’un autre monde et surtout traduire la limpidité cristalline de ma joie dans cette matinée romaine.
Je commande un autre ristretto.
*La parousie, c’est le retour glorieux du Christ sur terre, à la fin des temps. Précisons que le Seigneur ne viendra vite que si nous l’attendons beaucoup.
Mais Etienne dans les Actes des Apotres est présenté comme strictement contemporain de ladite parousie…On en entend de belles, dans les cafés romains!
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quelques nouvelles et infos contemporaines pout les spécialistes de l’Astrée (Honoré d’Urfé), que l’on retrouve ici. Sait-on jamais s’il les avaient manqué ?…
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/02/14/astree-sandale-urfe/
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C’est vieux tout cela, et pas neuf quant au propos. je n’ai pas une admiration sans borne pour Delphine Dénis que j’ai vu se livrer à Phoenix à in exercice de haute voltige universitaire , c’est un tempérament de courtisane dont le regard sur vous change selon que vous dîniez à la table d’un mandarin , ou non. On signalera que le roman est disponible depuis des années sur le net. Paul Edel, ’un Gracq inédit doit paraît-il sortir fin Mars. Bien à vous. MC
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@ MC, Cessez de m’apostropher à tout propos si vous n’êtes plus en position d’écouter ce que j’ai à dire, merci. Bàv,
@ Pmp, je n’aurais ici que des éloges à formuler aux charmantes chroniques estivales de Paul Edel. Elles sont un havre de subtils plaisirs gourmands, parmi la rudesse des échanges « littéraires » internautiques habituels.
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un portable à l’écran cassé »
le détail qui tue
Votre prose, cher Paul, j’en mangerais, j’en boirais,
tellement c’est délectable
Encore, encore…
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Pardon, il y a un guillemet qui s’est perdu en route…
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J ai répondu.à vos assertions. Ou vous ai-je apostrophé ? C’est bien plutôt le contraire puisque vous m’avez pris à partie. Vous devenez d’une susceptibilité maladive. Puisque c’est encore le blog de Paul Edel, je lui signale cette offensive de la Moraline nouveau genre ( Le Parisien d’hier) par un « professionnel du secteur « éditorial, qui , esperons- le , n’écris pas de livres. « je trouve normal qu’il n’y ait pas en littérature de passages misogynes, homophobes, grossiphobes, « etc. Question . Faudra-t-il brûler Maupassant, Molière, Proust, et. Quelques autres, pour satisfaire les nouveaux bigots et bigotes du feminisme, de l’homophobie sous toutes ses formes, et de Mac Do. Sera-t-il encore permis de rire dans la France-petit Trianon de demain?
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