Si vous circulez ces jours-ci dans les Côtes d’Armor, je ne peux que vous conseiller d’aller jusqu’à Tréguier et de vous diriger vers Pleubian, dans la presqu’île Sauvage et ses coups de vent ..C’est alors qu’est signalé un endroit magique : le Sillon de Talbert ou Talberv : c’est une langue de sable et de galets, assez étroite qui avance jusqu’à trois kilomètres en pleine mer. Ce sillon affronte de longues houles et donne le sentiment d’avancer à l’extrême limite du monde tant soudain,on entre dans un domaine de silence, de soudaines rafales, d’immensité marine à l’abandon. On y trouve également des plantes dunaires magnifiques, salicornes, armoises, pourpiers ou fléoles des sables. A sa pointe extrême il y a des nids de Sterne qu’il faut éviter à la saison des pontes.
J’y suis allé il y a deux mois, tôt le matin, et tard le soir. Le matin pas encore de touristes. Le baraquement buvette était fermé ce jour-là. Un yacht de plaisance, à l’horizon, disparut. La longue avancée de sable en forme courbe est bordée à sa droite, au départ, par une zone marécageuse qui grésille au pâle soleil, avec des brassées de roseaux verts. On marche dans des paquets de varech desséchés, ce qui lève des nuées de mouches minuscules puis les pieds s’enfoncent dans un sable ou plutôt une farine d’un gris-blanc.

On découvre au large plusieurs étendues d’eau calme presque violacées le soir. Le morne horizon de la mer enserre tout l’endroit. Cet interminable serpent de sable, d’herbes, de roches, de galets et de cailloutis lavés vous isole ; on oublie jusqu’au vertige, les rumeurs humaines. Il ne subsiste que le frémissement du vent, comme pris dans une toile immense et invisible, la claque monotone des vagues.
Soudain, on savoure la délivrance de toute pression extérieure et le trouble d’une solitude absolue. L’eau s’élargit, se brise, fatigue, blanchit, noircit.. Les vagues régulières approchent, vous absorbent, vous noient, vous harcèlent, quelque chose de sauvage et de pâle vous traverse.
Un ciel immense bleu cru forme une arène de vide. D’un côté donc, les eaux immobiles de la zone du marécage, zone argentée d’eaux dormantes, puis, l’océan avec de soudains grondements et fracas de l’autre côté.
Après un kilomètre de marche, la lumière dure et haute surprend. Il y a des espaces d’herbes sèches, décolorées parmi lesquelles sautillent des oiseaux, j’ai même vu un gravelot à collier. Plus on avance plus on constate que l’espace marin est démesuré. Le vent, dans un sifflement sourd, continu, apporte aussi le bruit de ressac des vagues avec une étonnante précision acoustique.

Quand les nuages sont arrivés, alors que je marchais le long d’un promontoire crouteux de sable , la mer est devenue d’un vert épais sombre avec des clartés opalines, comme si à certains endroits, les vagues étaient éclairées par en dessous. Je me suis allongé face à la lente course des nuages, blotti dans le creux de la dune, regardant la croute de sable humide de mes pieds. J’écoutai le chant paisible et régulier des vaguelettes s’écrasant, s’étalant, se diluant dans les galets.
Sur la droite, quelques chicots de rochers émergent comme des ruines anciennes. Un hélicoptère fracassa la solitude de l’endroit, volant bas dans un bruit lent de pâles et un sifflement, qui a déchiré l’équilibre de cet Eden d’eau. Le promeneur atteint plus tard une chaussée plus étroite qui embarque vers la pleine mer et avance parmi les courants. On se sent sans défense, glacé par ce charroi en folie de la mer. On hume et on sent la sauvagerie marine.
Parfois sentiment de flotter sans repère dans une espèce d’éclaircie inquiétante avec des pans d’eau presque noire. On se sent, passant égaré, une sorte d’accident infime de la nature, un humain dérisoire, fourmi ridicule, égarée sur une planète morte en pleine rumination solaire.
Deux heures plus tard j’étais content de rejoindre la terre ferme, paisible, familière de la campagne bretonne, et de sentir sous mes pas le goudron tiède du parking avec un unique camping-car délabré en son milieu, et des gosses qui jouaient avec un cerf-volant.. Au cours de cette marche solitaire entre les eaux le Temps s’était dilué, il ne reviendra plus. Quelque chose m’avait désorienté, désamarré : mémoire du passé ? Vidée. Naissance d’un Autre Être ? Pourquoi pas.

De ma voiture de location je regardais autrement défiler, derrière le pare-brise, les friches, les champs, les clôtures, un carrefour et son rond-point bêtement fleuri, quelques pavillons bas, récents, avec des ardoises que le soleil argente et du linge qui claque sur un fil, puis des panneaux routiers, des talus plus hauts, direction le bourg et son calvaire … En abordant les premières maisonnettes grises de Pleubian, je ressentis un creux, un vide comme si j’avais passé quelqu’un temps sur une autre planète en apesanteur, aux confins du monde. La vue de quelques vergers me rassura en me rappelant mon enfance normande.

La Bretagne ,quand le tourisme ne la submerge pas(souvenirs d’Ouessant pendant le covid!! -pourtant en basse saison) nous procure en maints endroits de ses cotes la puissante sensation d’être sur un petit bord ,retenu de la sauvagerie oceane par la chatoyante bande cotière dont la splendeur la divrersité et la richesse se mêlent aux jeux de la lumière des senteurs et du vent. A cet egard La promenade au sillon ne sera pas du tout la même avec beaucoup ou peu de nuages, à maréee haute ou a marée basse L’ecosystème s’y laisse decouvrir avec plus d’amplitude mais l ‘aventure y perd surement en sensations..Au printemps la crête du sillon est réservée aux pontes et les oeufs des gravelots se fondent aux formes et couleurs des galets..Cette transmutation que vous ressentez PE je la vis differente mais aussi vive au coeur Bretagne mais suis bien incapable de la transcrire avec les mots qu’il lui faudraient..
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J’aime bien ce croquis dans l’esprit Gracquien. Je ne puis que ratifier le « quand le tourisme ne l’a submerge pas » du précédent contributeur, et aussi la différence selon la saison. Bien à vous. MC
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… ça mord pas trop, au sillon de Talbert… plutôt au tombolo de la presqu’ile de Giens, m’est avis, il y fait bin plus chaud, paul ?
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