« L’inconnue d’Arras » de Salacrou, un huis clos pré-sartrien

 « L’Inconnue d’Arras » est une intéressante machine de théâtre en trois actes d’Armand Salacrou.

Elle fut représentée pour la première fois à la Comédie des Champs-Élysées le 22 novembre 1935 et publiée l’année suivante.
Elle s’ouvre sur l’agonie d’un homme, Ulysse,35 ans .Il vient de se suicider après avoir appris que sa femme Yolande, le trompe avec son meilleur ami, Maxime.

Les trois actes de la pièce sont censés durer entre la première seconde du coup de revolver et la dernière seconde de son agonie ,ce mince intervalle entre le coup de feu et la mort réelle, au cours duquel -prétend-on- chacun revoit défiler les moments de sa vie en accéléré.

De fait, la pièce n’est qu’un long flash-back au cours duquel le film de sa vie se déroule. Sous l’œil de son majordome Nicolas, Ulysse est donc assailli -il n’y a pas d’autres mot- par une foule de personnages qui l’ont connu depuis sa toute petite enfance. Il revoit ainsi son père, son grand père (mort à vingt huit ans pendant la guerre de 70) , un proviseur, un mendiant, un garçon de café.il y a surtout les trois femmes qu’il a aimées avant de rencontrer celle qui deviendra sa femme, Yolande «  la garce« tant détestée, et cette inconnue d’Arras si mystérieuse.

La pièce est curieuse et intrigante à plus d’un titre .D’abord c’est une des toutes premières pièces à ne reposer que sur un flash-back, originalité que revendique l’auteur. Mais surtout, elle commence sur un ton mi-boulevardier ,mi comique, mi pathétique mélo avec ce coup de revolver sur scène, mêlant aussitôt des hurlements, une chanson, un cri d’amour de l’épouse ,contesté violemment par le majordome qui dans un même élan déclare qu’Ulysse s’est tué à cause de l’infidélité de cette » garce » d’épouse. Il dénonce la tartufferie du faux chagrin de cette Yolande qui, selon lui, se réjouit, au fond ,de cette mort qui la libère du lien conjugal.

Ce majordome, sorte de meneur de jeu de la pièce ,va commenter chaque rencontre avec des personnages de l’existence abolie d’Ulysse. Il le fera avec un mélange de détachement, de lucidité narquoise , d’intérêt sadique, comme s’il était un peu le crieur de vérités face aux mensonges ou illusions dont se bercent des personnages . Le défilé des membres de la famille et le cortège de femmes plus ou moins bien aimées , vont dissiper les confortables illusions sur lesquelles la vie d’Ulysse reposait.

Le ton boulevardier du début va progressivement céder la place au tragique des vérités dévoilées par le passage dans l’Au delà.

Armand Salacrou, photo Harcourt

S’ouvre alors une série de malentendus (mais parfois aussi des tendresses) entre les personnages du passé et Ulysse qui revoit défiler le film de sa vie. avec stupeur. A cet égard parmi les malentendus un des plus vifs est le conflit qui a lieu entre le personnage de Maxime, 37 ans, ami d’Ulysse, confronté au Maxime de 20 ans. Cette confrontation de chaque être entre ses idéaux de jeunesse et ses douteux compromis avec la maturité est un des aspects réussis de la pièce. Anouilh s’en souviendra. Cela annonce aussi dans une certaine mesure, la célèbre mauvaise foi sartrienne qu’on retrouvera dans le « Huis clos » de Sartre, neuf ans plus tard.

En traversant la vitre de la Mort ,Ulysse, découvre combien sa vie fut un tissu d’illusions et de faux-semblants, un sommeil sur l’oreiller de douceâtres certitudes du conformisme petit-bourgeois. Il y a parfois du ton grinçant à la Henri Jeanson dans ce Salacrou. Les souvenirs et les personnages affluent en foule(angoissante pour Ulysse car chacun vient avec ses récriminations) . Une vie entière apparait sous un nouveau demi jour curieux :succession d’ éléments peu fiables, dérisoires, qui mine définitivement toute idée de vérité stable. Il en résulte, parfois, une sorte d’impression de damnation mi bouffonne mi amère irrémédiable.

Des scènes brèves tourbillonnent de telle manière que le centre de gravité d’une existence se réduit à une illusion sur soi-même et des malentendus avec les autres. Mais heureusement, rien n’est monotone dans ce saut vers la mort. Le plus émouvant vient sans doute que dans ce déballage cruel , surgissent des bouffées de tendresse , des aveux de fidélité pour un vieux souvenir(un chat, un soir de neige), des attachements vrais pour un grand père mort jeune à Gravelotte ,ce jeune mort privé de sa maturité, ou par l’apparition presque chrétienne et miraculeuse de cette « Inconnue d’Arras » aux pieds mouillés dans les ruines de la ville bombardée. qui reste une halte merveilleuse, comme sortie d’un vitrail.

Ulysse avance donc dans un no mans land où tout miroite entre mensonges , clichés, affections mal reconnues, nostalgie pour une vie sur terre , illusions perdues , ce qui entraîne le spectateur sur la jetée inconfortable d’une irréalité pirandellienne . L e suicide a ouvert une énorme brèche parmi les souvenirs rassurants. La mémoire est devenue une maladie. .La rassurante familiarité s’efface et ouvre sur un curieux vertige métaphysique. Le fossé entre ce qu’ Ulysse croit avoir compris de son vivant, et ce que son agonie lui révèle , l’amène ainsi, par degrés, au fond de l’inquiétude humaine.

Aucune consolation théologique chez Salacrou.

Vue de l’autre côté du Léthé ,ce fleuve des enfers, la vie apparaît comme un théâtre,un décor trompeur, un assemblage conventionnel,artificiel, qui serait médiocre dans son conformisme, sans l’humanité (fugitive) et la bonté de quelques rares personnages consolateurs. La noirceur de la pièce ne fut pas très appréciée du public en 1935 et elle ne tint l’affiche que grâce à la présence du comédien exceptionnel Pierre Blanchar et l’humour de Jean Tissier an majordome. Salacrou annonçait, en quelque sorte l’ existentialisme noir de Sartre.

La pièce met donc à jour les déchirures d’une conscience qui est tiraillée par des vérités contraires,instables des autres, de l’Autre. .« A chacun sa vérité »Et chaque acte d’un personnage mine l’acte précédent. Comme l’a dit Pirandello , une vie, « ce cratère bouillonnant de folies, d’actes illégitimes ou refoulés, » de raisons plus ou moins recevables, fausses, inconstantes, met à nu et rend dérisoires nos pensées et nos actes gelés par la mort.

La vie passée ressassée et revécue, devient alors une fiction insaisissable,un jeu d’ombres, de reflets, , un curieux Mal sans autre Châtiment que sa culpabilité. L’être intime est ainsi condamné à une curieuse peine : sa vie entière, devient sables mouvants , identité se cherchant. Où est le Bien ,où est le Mal ? Et c’est ainsi qu’Ulysse se débat comme un forcené dans les mensonges de sa vie et entre dépaysé dans le grand mystère , l’au-delà.

Ce qui m’a le plus frappé c’est que cette « Inconnue d’arras » annonce « Huis clos » de Sartre, pièce, rappelons le composée entre octobre et décembre 1943 et créée le 27 Mai 1944.

Comme dans la pièce de Salacrou, Sartre propose le jugement d’après la mort sur la somme des actes qui ont composé une existence. Comme dans Salacrou, Sartre nous introduit dans l’enfer des consciences qui se jugent. Plus férocement que dans Salacrou , il ny a pas possibilité de ratures ou de corrections chez Sartre, chaque acte de l’existence ne peut être modifié. Le caractère irrémédiable de la damnation est bien là et le cycle tragique sartrien est plus épais, noir, comme si une souillure s’attachait à la vie terrestre qu’aucun au-delà ne peut alléger . Pas de seconde chance dans une autre vie. la correction morale, le remords ne servent à rien. Chaque acte de l’existence reste fermé sur lui même. Aucun échappatoire. La pièce de Sartre se boucle sur elle même plus violente, aigre, plus « rancunière », que celle de Salacrou. « Huis clos » sent la prison, l’abime, la morbidité, la révolte devant le régime de Vichy, et parfois le dégout comme si la période de l’Occupation ,période de son écriture, avait accentué un sentiment d’oppression et un certain écœurement de l’auteur . Jamais la pièce de Salacrou ne va jusqu’à cette noirceur sartrienne, cette « nausée » existentialiste . Salacrou présente aussi des instants d’espoir, des souvenirs charmants, des lueurs, des moments de douceur ,il offre quelques belles silhouettes , des innocents ou des amoureux sincères épargnés dans le règlement de compte général .

Sartre reprend aussi à Salacrou le personnage du Majordome-meneur-de jeu,Nicolas, si important pour le déroulement de la pièce, et que Sartre nomme « Le garçon » d’étage.

Choix des pièces de Salacrou au Club Français du Livre.

Chez Sartre c’est une espèce d’opinion rageuse , presque de vengeance et de masochisme qui prédomine pour une définition de la qualité éthique de soi-même. Enfin, comme dans la pièce de Salacrou, c’est la déchirure amoureuse qui joue le rôle cathartique déclencheur chez Sartre .Une différence -et elle est de taille !- c’est que Sartre est plus âpre, plus radical, plus systématique, plus acharné pour affirmer que « chaque conscience poursuit la mort de l‘autre »dans une sorte d’entredévoration sauvage .« L’enfer c’est les autres. »Chez Sartre le règlement de compte sentimental est acharné, infini, sans répit ni pause, avec une dose d’érotisme tout à fait originale et prégnante, capitale, qui a fait sursauter le public de l’époque, sans compter la franche mise en scène du lesbianisme, et une volonté de détruire l’Autre, définitivement, qui n’est pas du tout le sujet de Salacrou.

L’ombre du grand Pirandello sur le théâtre de Salacrou et de Sartre

La manière dont les trois personnages -à égalité- ; cherchent le coupable chez l’autre pour se décharger de sa propre culpabilité prend un tour plus brutal, rageur, et définitif chez Sartre. Pas chez Salacrou. Mais chez les deux auteurs dramatiques, à neuf ans de distance, la métamorphose du théâtre pirandellien en tribunal des consciences est passionnante à suivre.

12 réflexions sur “« L’inconnue d’Arras » de Salacrou, un huis clos pré-sartrien

  1. L’ombre de Purandello, certainement. Pour le flash back théâtral, il faut signaler en 1933 un General Boulanger de Maurice Rostand, ou , quelque quarante ans après les faits, un couple de jeunes se retrouve dans l’auberge de La Belle Meunière, sur les traces du Brave général. La belle meunière consent à évoquer ses souvenirs, et la piece erre ainsi du Passé au Présent, avec quelques retours en fins d’actes au présent. La pièce connut un grand succès, et il n’est pas impossible que le Flash Back de l’Inconnue d’ Arras lui doive quelque chose. Elle témoigne en tous cas de la réactivité du théâtre face au cinéma.. le théâtre de Salacrou complet, bien que consacré en son temps par une édition en cartonnage Bonnet, est difficile à trouver. On se souvient par ici d’ « Histoire de Rire », parce que l’affiche survécut sur le péristyle du théâtre municipal, avant que la ville fut détruite à 90 pour cent. Voir ce titre ironique se dresser dans les décombres a marqué une classe d’âge. J’ajouterais que l’affiche subsiste toujours …

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  2. .« L’enfer c’est les autres. »Chez Sartre le règlement de compte sentimental est acharné, infini, sans répit ni pause, avec une dose d’érotisme tout à fait originale et prégnante, capitale, qui a fait sursauter le public de l’époque, sans compter la franche mise en scène du lesbianisme, et une volonté de détruire l’Autre

    la patente de l’athéisme moderne polo..disons depuis meslier..est la surenchère..vautrin parle lui déjà d’un genre d’instant de vérité mistique havant la mort..ce fameux « la tête que feront les croyants en apprenant qu’il n’y a rien » si cher à feux jean marron..les suivants..ceux trés contemporains de nonos..himaginent un genre de synode cadavérique pour populo ou un juge..un semblable..plusieurs connards même.. »des autres » te tannent la peau pour en faire des abats jours..pour éclairer obscur des façons de psychodrame qui crèvront hinfiniment godot havec un béquette qui puent des pieds..ces gars là préfèrent le whisky..la vérité polo..c’est que seul les amateurs darmagnac auront la paix éternelle

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  3. la mort est toute rhétorique polo..c’est un peu comme si je trouvais un endroit et un moment pour dire « damien charoulet keupu roule tout seul pour netaniaou..lassouline est dans l’himpasse..personne pour le plaindre sauf moi »..mais heureusement que ce moment et cet endroit nexiste pas polo

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  4. « La mort est rhetorique ». . Pas sûr , mes six’eqy un beau chiasme, relire Seneque: « Mors est nihil, nihil est mors » . Difficile de faire plus dépouillé. MC

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  5. lors que le baroque la fait piplette c’est minimaliss? « sans fleurs ni couronne » pour meussieu courte..
    les jansénisss ne sont pas sûr de leur vie éternelle ..et que les fleurs pour le pharaon était leur promesse..la mort est dandy jusqu’au bout des ongles noirs

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  6. Je ne suis pas sûr que Seneque soit baroque. Les Jansénistes, oui , peut-être,pour l’incertitude du Salur, mais Rance également , et , peut-etre toute la première moitié du dix-septième, très mal connue, je le crains . MC

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  7. De toute manière les relations des sœurs d’ Urecht sont construites sur le meme modèle: :belle mort, sanctification implicite, etc, ce qui me fait dire que oui , les Jansénistes n’excluent pas le Salut en leur for intérieur. Et, avec Arnaud, rejoignent le catholicisme dans sa condamnation du Protestantisme. MC

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  8. c’est en se -soumettant- que les jansénistes ne rejoignent pas le protestantisme.
    le fort interieur cède aussi..on peut s’y habiller dun prénom de femme comme jacques brel.
    c’est qu’avec un élève comme néron ça honore de vouloir faire sobre

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  9. aij toujours trouvé les commentateurs de Salacrou un poil ésotériques.
    Faut dire que j’avions jamais lu cet auteur un peu mélodramatique, semble-t-il…
    Bàv, JMB (la rdl vous attend).

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  10. ..sur mon serveur anonyme discord gueubèls666 (pseu bienconnu de netaniaou sur apex legendz) me dmande de faire leaker son bonjour a keupu sur la rbdl.. »b pour bananière » quil dit en me vidant son chargeur dans les dents.. »fais le toi même » que j’y réponds en lui envoyant 4 quassams dans lfondment..
    …la mort c’est qu’une grosse rigolade quil va dire meussieu courte

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  11. Ne suis pas sûr que ce qui n’est rien soit une « grosse rigolade » «  « « En se soumettant ils ne rejoignent pas le protestantisme «  Non , mais ils tuent les Jesuites, au moins en France. L’ordre est aboli. Je suppose que c’est le for intérieur? Bien à vous. MC

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