L’été 2016 à Quiberon

Le matin, vent, soleil, plage. Espadrilles qui s’enfoncent dans le sable La fraicheur de l’air . Babillages d’oiseaux dans les feuillages. L’uniformité calme de la mer s’élargit dans le ciel.  Quelques nuages isolés au large vers la mince ligne de terre de  La Trinité.  Passage d’une mariée bretonne toute gonflée d’un voile blanc entre des voitures du parking. Dégradés marins : cela va du vert cul- de- bouteille à l’indigo profond avec des espaces d’un violet qui s’assombrit.

Je prends mon vélo cadenassé.

Je traverse assez tôt la petite ville de Saint- Pierre de Quiberon, ses villas mignonnes, jardinets proprets, barrières repeintes, appentis chaulés, bords de mer calmes, un décor d’opérette, avec un seul petit hôtel ouvert. On se croirait dans « les vacances de Monsieur Hulot » de Jacques Tati. Les couverts brillent sur les nappes dans les avancées vitrées des restaurants à l’heure où on passe l’aspirateur. Je file vers Port- Maria, ses mouettes qui tourbillonnent, sa longue jetée de murailles verdies, et coup de sirène   du   ferry blanc qui pénètre dans le port. Donc je roule. Serviettes de bain qui sèchent aux balcons , pavillons alignés, crépis refaits, quelques tags. Marquises à glycine et des portes à verres dépolis et rosaces en fer forgé qui assurent que l’entre-deux guerres a  bien existé .

Coups de pédale, ça grince. Cerisiers en fleurs dans les jardinets comme des petites explosions blanches figées. Un   retraité à chapeau de paille et salopette à bretelles est assis sur un pliant, il repeint une barrière ,  écoute  un jeu  sur son poste à transistors  rabiboché  d’un élastique. Les restaurants alignés le long de l’avenue proposent sur des ardoises de mirobolants de plateaux de fruits de mer, des sardines grillées, menus rédigés à la craie, kir offert ! Un avion de tourisme blanc et rouge surgit au ras des toits dans un rugissement de moteur qui vrille le quartier et disparait.

 Longue pente de  la côte sauvage  qui oblige à changer de pignon plusieurs fois. Le vent apporte de longues  vagues vertes  ,sensation de glissement dans la Pure Création de Dieu  dans l’immense frémissement et l’énergie de l’endroit : sans cesse du bleu, du vert, des couleurs disjointes étranges, des bouffées d’odeurs résineuses de landes et j’entre dans   l’envoutante, l’inexplicable, irréfutable  magie de la mer :elle   s’ouvre sur plusieurs côtés, sature la vision, avec ses récifs blanchissants, et c’est comme un souvenir d’enfance qui vous  revient                                                                                                                                                                                                                                                                                     aussi cru que la première fois que tu respires  l’odeur des rognures de crayon dans la salle de dessin…

 Larges échappées sur la mer dans un picotement d’air glacé , des volleyeuses crient   sur une plage,  des sentiers dévalent droit  dans les rochers , puis, soudain  la route , nue, noire, droite, mène au  rien ,l’uniformité, le vent par rafales  tout glisse dépressions de plantes dunaires dépressions de roches en lamelles, tu lèves la tête , le  mince trait crayeux d’un  long courrier  s’étire et divise le ciel bleu.. Parfois tout verdit, s’ombre au fil des nuages, se violace,  une  lumière grise surplombe   un parking avec des caravanes, des remorques,  tu croises une Volvo arrêtée sur le bas-côté  avec un couple transi qui téléphone., tu disparais, tu t’absentes, tu t’oublies , tu n’es plus nulle part et tu n’éprouves rien.  Dans ce désert raboté de rafales  tout ça t’essore dans  un bouillonnement  d’écume, comme si la Terre et la Mer ouvraient leurs cuisses blanches.

 Soudain à nouveau, au bas d’une pente, la cuvette large de la mer. Successions de plages vides que des barres d’écume blanchissent. L’air frais picote la peau des bras.  Certaines flaques d’eau semblent vivantes et neuves dans un léger frisson argenté. Il y a une curieuse effervescence vers un marécage à oiseaux, des pies, des goélands tournoient au-dessus  d’un chantier et d’une bétonneuse.

Vers Plouharnel des bancs de vases immenses qui brillent suggèrent des familles de cétacés endormies au large.

A vélo impression de filer   sur l’eau. A Penthièvre les étendues marines cernent la route des deux côtés et je me répète bêtement « la Grandeur »…  … « la Grandeur ». Je roule sur un sentier défoncé qui borde   la ligne de chemin de fer avec ses  maigres sillons herbeux . Puis je retrouve les pins, leurs troncs parallèles bien réguliers qui forment une grille floue dans le soleil. Plus tard, vers par la pointe du Percho, le pédalier grince dans la côte alors apparait une vaste lumière d’estuaire.  Je m’arrête : un fond de graviers clairs bouge flou , l’eau  clapote sur ses  reflets  .

Au sommet de la côte la mer se découvre à nouveau : une plaque d’argent. C’est vitrifié et il en émane une sensation de joie et de respiration ivre  

Je pédale longtemps dans les couches d’air tiède de la   lande roussie, avec ses chardons, ses odeurs fibreuses et résineuses. Voltigent de curieux petits papillons noirs autour d’une grange à l’abandon avec des rais de lumière qui filtrent entre la charpente. Une odeur de vieille paille pourrie chatouille les sinus. Massifs de bruyères, salicornes, et chardons se dessinent à la  line de plomb sous la lumière rase du sommet de la  colline .Châles et foulards de quelques pique niqueurs sur une aire de repos. Etendue muette de la mer, divinité, béatitude, silence, Nausicaa et ses servantes vont apparaître avec leurs paniers de linge, j’en suis sûr. Le regard se dilue dans la spirale du futur au fin fond du ciel . Alors j’entends dans mon dos une voix perçante   sur un parking :Bernard! Bernard ! Merde ! ! Dépêche-toi !! faut qu’j’aille à la BNP!

Saint-Pierre de Quiberon

30 réflexions sur “L’été 2016 à Quiberon

  1. j’aime bien les cuisses blanches, vouih… (« Dans ce désert raboté de rafales tout ça t’essore dans un bouillonnement d’écume, comme si la Terre et la Mer ouvraient leurs cuisses blanches »). Et la chute sur la banque nationale populaire, trope…

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  2.  » Dans ce désert raboté de rafales tout ça t’essore dans un bouillonnement d’écume, comme si la Terre et la Mer ouvraient leurs cuisses blanches »

    idem JJJ

    Tiens ce matin je réécoutais Ferré chanter « La mémoire et la mer »

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  3. Mandame Amour Fou, l’égérie de Breton, alias J Lamba, présente à ArtParis avec deux toiles Galerie Pauline Pavec. L’une très clairement située dans la postérité de Monet, l’autre trop ouvrage de dame pour qu’on puisse la considérer autrement que comme une œuvre de peu de valeur . Dans les deux un point commun, le côté panneau décoratif. Ce qu’on voit de Jacqueline Lamba paraît bien plus retrograde que la peinture surréaliste. Il y a comme un arrêt à la mort de Monet…

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  4. Vous en avez des souvenirs, dear Pauledel, tous azimuts.. mi, ai connu le Guerveur et l’Acadie, les deux bateaux qui faisaient la navette avec Belle Île depuis Quiberon… et figurez-vous que l’Acadie avait un problème de tangage, si bien que les passagers arrivaient bien blanc à destination, sauf les great Bretons, of course. Enfin, tout ça c’était avant de connaître la Sévigné qui n’est pas tendre avec les Bretons quand elle villégiature dans son château des Rochers.

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  5. @ dirPhil : voulez parler de la Sarah Bernhard; en guise de Sévigné ?…
    Moij’aussi, j’eus le mal de mer en allant sur la belle île, leurs bateaux sont chavirab’.
    Attention, l’est tempétueux tantôt… !

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  6. Ah, j’avais oublié la grande Sarah, dear jjj. Mais non je pensais bien à Sévigné qui se félicite de quelques pendaison bretonnes….et partage la douleur du Gouverneur de Belle-Île en disgrâce.
    Le Guerveur ne rendait jamais malade

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  7. En rangeant hier dans une commode mes cahiers à spirale, carnets, vieux poches, agendas, j’ai retrouvé plusieurs pages rédigées au stylo bille sur des pages d’un cahier de brouillon quadrillé, datant d’un été en 2016 à Quiberon alors que je logeais dans un minuscule appartement blanc éclairé par un simple Velux dans le toit. On y entendait la mer gronder la nuit. C’était à Port-Haliguen. Je vous livre ces notes pour oublier un instant la maussaderie actuelle, les élections pleines d’inconnu, la guerre en Ukraine et le covid persistant.

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    Il faudrait diminuer la taille de la police, car ça fait post un peu négligé après qq jours, enfin je dis ça j’ai rien dit, hein, c un peu futile, j’en conviens ! Bàv

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  8. La Sevigné en 1675, ce n’est plus la Sevigné pleine aux as d’avant. C est la « pauvresse des Chaulnes ». Elle est venue dans leur carrosse, avec le Duc, précisément chargé de mater cette Révolte du Papier Timbré. Elle est donc très contrôlée et le sait. Tout le passage fameux ‘Nos pauvres bretons ne savent que dire Pater Noster et Ave Maria, etc » n est pas dénué si on y regarde bien d ‘une certaine ambiguïté ou on peut voir de la compassion. Mais elle ne peut guère aller plus loin . Je ne crois pas, avec d’autres, qu’elle s’en réjouisse. Sur 1675, c est encore La Borderie qui va le plus loin. Il se murmure que Paol Keineg ne veut plus entendre parler de son ‘Printemps des Bonnets Rouges’ pièce qui fit date dans la remémoration grand public du soulèvement….

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  9. Quiberon – Belle île.
    tssss … ça fait mal là – – car moi, chez moi, avec l’envie de pleurer sur tout … (mais si c’est pas moche ce moral à zéro)

    « … Nausicaa et ses servantes vont apparaître avec leurs paniers de linge, j’en suis sûr. »
    si seulement, si seulement, si seulement …
    Se contenter de faire la lessive, l’étendre au vent et au soleil, regarder des enfants ou des jeunes gens absorbés corps et âme dans une partie de volant ou de balle le long d’une grève.
    Le monde serait alors certainement bien différent.
    Certains en peinture se sont essayés à nous révéler pareille vision homérique (en symbolisant, sacralisant ou désacralisant – – Maurice Denis, Khnopff, mettons) mais ce n’est jamais aussi bien que dans ma tête …
    Peut-être Joyce y parvient-il en fait avec la jeune fille aux jupes retroussées sur la plage et qui apparaît à Stephen Dedalus dans le Portrait d’un jeune homme ? je sais pas – – peut-être bien ouais.

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  10. Ah Nausicaa, nous en avons tous rêvé à travers le fragment de l’ Odyssee
    selon Berard incluse dans les manuels de primaire (!). Aujourd’hui vouloir découvrir de grands textes à cet âge est pour le moins signe de derangement mental…

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  11. En 1910, la Presque-Ile était encore traumatisée par le souvenir du peu glorieux debarquement royalistes, et de sa sauvage répression. A lire le probe Le Rouzic, ce ne sont que fantômes, blancs ou bleus tous les cinq cent metres. Aujourd’hui lieu de séjour pour vacanciers déculturés.

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  12. Il faudrait que la 1ère photo de la série de ce billet cesse de me sembler irréelle et de me faire ainsi de l’oeil. C’est curieux en fixant cette image de se rendre compte d’avoir oublié, ou plutôt évacué de sa tête depuis des mois et des mois de tels paysages.
    Mais pas les cerisiers en fleurs. on va se contenter simplement de ça, voilà : bonne année de floraison des cerisiers et des arbres de Judée, trouvez pas ? au moins cela. derrière les clôtures. mais pas cachés, pas occultés.

    Au fait, je viens de terminer « Coeur de chien » de Boulgakov (je me laisse du temps pour lire « la garde blanche » – place d’abord à d’autres récits de jeunesse) … c’est d’un rapide, d’un haletant, d’un drôle et d’un féroce ! ça m’a fait du bien à la peau du crâne, bizarrement (!) Je conseille.

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    • Oui coeur de chien ou d autres nouvelles sont presque expressionnistes dans leurs couleurs tranchées. La garde blanche me saisit e encore plus fort à la 3ème lecture

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  13. oui, monsieur Court, et je dirais : heureusement ! (mais il est possible que je ne revois pas les côtes bretonnes avant des mois, et des mois)

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  14. L’autre jour, par temps gris et venteux, , seul sur une mer grise, est arrivé impromptu un trois-mâts cinglant vers la Citadelle. Difficile devant cette vision d’un autre âge de ne pas se sentir se sentir reculer de deux trois siecles , et de ne pas invoquer les mânes du Hollandais Volant….

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  15. Occasion ici de saluer (encore) le grand Maurice Renard avec « La malédiction de l’Essen », Hope Hodgson avec ses prodigieux « Les Piratesfantômes », plus bien sur les « Vaisseaux Fantômes  » respectifs de Marryat et de Wilhem Hauff, et, enfin, une curiosité bretonne « Le Trois-Mâts Errants » de Jarl Priel, intéressante quoique un peu gâtée par la ficelle spirite.

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  16. La Damnation de l’Essen, si je puis rectifier mon collègue en Renardophilie. Je connais William Hogdson le fantastiqueur, mais pas Hope. Marryatt fut une sorte de pré Stevenson mâtiné de Dumas anglais très edite chez nous et complètement oublié, ce qui est idiot. Je ne connais pas Wilhelm Hauf ni l’opus de Jarl Priel.. A découvrir. Je viens bien de finir les Contes Féeriques de Banville, alors….Pour le Vaissezu fantôme, j’ai aussi une ou deux photos. Ces bêtes là ne se détruisent pas quand on les photographie….

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  17. Très belle aurore rose ce matin. Une barque au premier plan, la marée grande, sept heure trente, personne. Sentiment d’une Bretagne quasi nippone dans son dépouillement. Après, Pâques, la foule du marché de la place de l’Eglise, les livres du bouquiniste, dont les Soixante Quinze feuillets et un essai bref et incisif d’Onfray sur Rance. Retour au monde réel…

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  18. Pour Renard, en effet, damned!!! William H(ope) Hodgson, mais MC le sait mieux, non? La valeur des « Pirates fantomes » tient , je pense, selon la définition du fantastique par Caillois dans l’utilisation des termes précis de marine qui constituent le cadre réaliste indispensable à la progressive accumulation des faits étranges et inquiétants (les ombres). Pour Jarl Priel, les éditions Terre de Brume (désormais sur papier satisfaisant, ouf!) offrent une intéressante préface sur l’auteur, de son vrai nom Charles Trémel, à la vie mouvementée. Quant à Marryat et Hauff, il y avait Corti, heureusement! Chez Hauff le vaisseau fantôme est turc (ce sont des contes « orientaux ») et la figure du capitaine du « Turc volant » la tête clouée au mât, a inspiré l’illustrateur de la série Harry Dickson (épisode non récrit par Jean Ray.

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  19. De Hogdson j’ai du lire de mémoire la Chose dans les Algues et la Maison du bout du monde, ou qq chose comme ça. J’ignorais que Corti avait réédité Marryat et Hauf. Je soupçonnais Terre de Brume d’être our quelque chose dans la publication d’un romancier breton mais confidentiel sauf pour amateur de livres anciens. Cela dit, la maison ne reimprime pas son très vaste catalogue. On peut y signaler les Contes Marins recueillis par Y le Diberder, prélude à une intégrale prévue mais maudite de ce folkloriste qui se fit tant d’ennemis. Sur la flibuste, hors les classiques, Stevenson, Blond, Lesage dans ses apocryphes Memoires du Chevalier de Beauchene, j’en suis resté à Oexmelin, qui lui a l’avantage d’avoir connu presque tous les pirates publiés sous son nom. Ici Il fait beau sur la mer, la plage est vide, et les voiliers se risquent un à un hors de la rade, passant la Citadelle. On les comprend. Très bonne journée. MC
    ´´

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