Lecture agitée de « L’ idiot » de Dostoïevski

« Traîner l’intimité de mon âme et une jolie description de mes sentiments sur leur marché littéraire serait à mes yeux une inconvenance et une bassesse. Je prévois cependant, non sans déplaisir, qu’il sera probablement impossible d’éviter complétement les descriptions des sentiments et les réflexions (peut-être même vulgaires) tant tout travail littéraire démoralise l’homme, même entrepris uniquement pour soi. »

Extrait de » L’adolescent » de Dostoïevski, cité en exergue par Claude Simon (bon lecteur de cet auteur) dans son roman « Le jardin des Plantes ».

Je viens de relire « l’idiot » de Dostoïevski. Je dois avouer qu’il y a plus de trente ans, j’avais laissé tomber le roman au beau milieu. Et j’en avais gardé une mauvaise conscience face au jugement quasi universel qui tient ce texte pour un des sommets de cet auteur.   Je ne dois pas cacher combien de difficultés et d’agacements j’ai éprouvé pendant cette lecture : des pages mélodramatiques, des tartines idéologiques et théologiques assommantes pour nous  inciter  à penser qu’il n’y a de salut que dans l’église orthodoxe russe surtout  celle des « vieux croyants »  contre les catholiques de cet affreux Occident à vomir,  plein de libéraux, auquel s’ajoute  le Vatican et sa volonté politique de pure domination.

 Au milieu du roman je me suis dit: que de scènes d’exaltation soudaines, de retournements de situation fiévreux, d’accès de paranoïa,  de lettres calomnieuses tombées au bon moment, de rumeurs qui se croisent et si peu convaincantes. Ajoutez   un climat général d’hystérie, des  personnages masculins invraisemblables de contradictions, comme ce Lebedev, parasite grivois, sans scrupule qui soudain devient un type plein de compassion  et qui change de conduite comme on change de chemise Ou ce Rogojine  si fascinant dans la grande scène de l’argent jeté au feu par  Nastasia Filipovna ,Rogojine, même âge que le Prince, qui balance  entre la franche  crapule cynique pour devenir  un type bourrelé de remords , qui peut y   croire ?   Et puis, au milieu de cette farandole de déséquilibrés, de fiancés opportunistes, de vrais cyniques, de gentils mondains fades ,  apparait ce prince Mychkine et son auréole de bonté. C’est lui le pivot du roman l’apparition,   l’homme radicalement différent. Cet épileptique( comme Dostoïevski) a des visions et des extases soudaines grâce à sa maladie.   Revenu de Suisse à Saint-Pétersbourg, on le dit « guéri ».Il déconcerte     par sa  douceur,  sa serviabilité,  son   amour sans limite, sa franchise, sa sincérité,  écoute des autres .Cependant  il aime en même temps  d’amour Aglaïa et Nastasia mais visiblement sans pulsions sexuelles. Timidité, changements d’humeur brusques, indécisions, distraction soudaine, et surtout il est saisi par  un sentiment émerveillé de la vie qui le fait prendre pour un simple d’esprit, un « idiot » au sens fort.

 Au milieu des égoïsmes rivaux qui se cristallisent autour de la famille Epantchine,  il y a un autre pôle d’attraction :Nastassia Philipovna, vraiment le plus grand personnage féminin imaginé par Dostoïevski !Ce personnage sauve le roman de ses facilités et ses sermons-tunnel.  Je trouve même qu’il règne sur tout le roman davantage que ce maladroit et bafouilleux  Prince Mychkine qui provoque des catastrophes par ses indécisions et ses revirements.

 Nastassia   fut une orpheline violée à 16 ans par Tostki qui l’élève loin du monde ; c’est une femme « déchue » aux yeux de certains, mais l’auteur, dans les meilleures scènes, la présente plus forte, plus courageuse, plus libre, exigeante que les autres. La soif de compassion de l’idiot pèse peu face à la conquête de liberté si  dynamique  de Nastassia. C’est l’intérêt du roman ces portraits féminins. Pratiquement tous réussis, complexes, dans ce monde où le plaisir d’humilier, de rabaisser devient un manège masculin mécanique 

 La jeune Aglaïa aussi, fascine . Elle cherche à échapper au petit confort d’un bon parti bourgeois prévu par ses parents ? . elle est traversée par une inquiétude, des  tourments,  et en elle  s’exprime  une secrète angoisse très bien suggérée. Quel beau personnage. Les hardiesses des personnages féminins contrastent   au milieu de tant de personnages masculins grotesques ou falots.

  Il est évident que le défi de Dostoïevski était presque impossible à tenir : présenter le portrait d’un homme « « positivement beau », et comparable au Christ. Le Christ est un homme décidé, en mission. Et le prince   parait faible   distrait, inadapté, à côté de la plaque. Je comprends assez l’aveu de Dostoïevski :

«Je suis mécontent de mon roman jusqu’au dégoût, écrit-il lorsqu’il travaille à l’Idiot. Je me suis terriblement efforcé de travailler, mais je n’ai pas pu : j’ai le cœur malade. A présent, je fais un dernier effort pour la troisième partie. Si je parviens à arranger le roman, je me remettrai ; sinon je suis perdu. » Ce qui frappe le plus dans ce roman, c’est que Mychkine se comporte avec une absurdité incroyable face à deux femmes qu’il aime. Il finit par déclencher la catastrophe finale et l’assassinat   dans une succession de retournements invraisemblables et pas expliqués, car les trous, les ombres, sont indissociables de cet art.  Honnêtement, je trouve que cet homme « bon » ne fait pas grand-chose de bon autour de lui.

Enfin, Dostoïevski a souvent répété qu’il avait été influencé par Balzac. Exact. Pour le pire et le meilleur. On  trouve chez lui  évidemment  les ficelle du feuilletoniste Balzac : les retournements de situations artificiels, l’introduction d’un nouveau personnage quand l’intérêt faiblit,  une relance de l’intrigue par de nouveaux personnages sans grand intérêt,   des intrigues secondaires inabouties, des effets de contraste systématiques avec le bon contre le méchant, la vertueuse contre le cynique,  etc.. Une surchauffe énergétique des passions qui devient pénible dans son systématisme, des amants interchangeables et insipides Il a donc   pris aussi à Balzac une présentation  des faiblesses des hommes face aux femmes victorieuses .Enfin la multiplication des coups de théâtre  « pour le suspense »  au détriment  de  la vraisemblance, et  le recours à   d’innombrables  digressions(chez Balzac ce  sont les  descriptions, et chez D.  ce sont des tirades sur les nihilistes, sur la peine de mort,  sur des faits divers découpés dans les journaux), enfin un gout du pathétique et du mélo qui s’exprime dans de multiples  « crises » où tous les personnages s’agitent comme des pantins pour  former une danse  lugubre et loufoque.. Vraiment, je préfère les  œuvres  courtes comme » l’éternel mari » ou « le joueur » .

66 réflexions sur “Lecture agitée de « L’ idiot » de Dostoïevski

  1. « ceux qui la vivent ou ceux qui réussissent à vivre sans la vivre » : qui pour Dostoïevski représente la pire des soumissions et du renoncement, il ne faut pas oublier la phrase qui lui a valu ses premiers problèmes avec les autorités : « on comprend que le plus misérable, le dernier des hommes est, lui aussi, ton frère ».
    Et le passage sur le thé dans les carnets du sous terrain : « Sais-tu ce que je veux en réalité ? C’est que vous alliez tous au diable. J’ai besoin de tranquillité. Je vendrais tout l’univers pour un sou, pourvu qu’on me laissât en paix. Que le monde entier périsse, ou que je boive mon thé ? Plutôt, que périsse le monde, pourvu que je boive mon thé ».
    Et celle d’Ivan : « à quoi bon cette satanée distinction du bien et du mal, s’il faut la payer si cher ? »

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  2. Encore faut-il replacer cette phrase dans le contexte où elle est dite : ce rejet du « deux et deux font quatre » représente le refus de l’omnitude, du « on », ce que tout le monde pense, ces choses simples sur lesquelles ils s’accordent. On comprend pour Nietzsche a aimé ce genre de phrase : il se retrouve dans ce rejet de la raison, de la vérité et toutes ces certitudes que les hommes ont construit au fil des siècles et qui au final ne résolvent rien du tout ! « qu’importe ce qui arrive dans le monde si je peux boire mon thé tranquillement » ? Dostoïevski rejette toute la philosophie simplement parce qu’elle n’a servi à rien, et Nietzsche s’y retrouve comme chez lui. Tout comme d’ailleurs Kierkegaard sur lequel il faudrait discuter parce que ces trois ont en commun d’être des auteurs cruels et de la cruauté, parce qu’il faut être cruel pour aller voir ce qui tourne le moins rond dans ce monde, ce que les philosophes, ces amis de la sagesse ont su s’épargner pour garder les mains propres.
    Ce rejet du « deux et deux font quatre » est aussi à rapprocher de la phrase d’Ivan K. qui résume en quelques mots la pensée de ces auteurs Dostoïevski, Nietzsche et Kierkegaard quand il proclame : « à quoi sert cette satanée distinction entre le bien et le mal s’il faut la payer si cher ! ». Sauf que chacun des trois va interpréter cette sentence à sa manière, et pour moi la plus pertinente et la plus aboutie est celle de Dostoïevski, c’est pour ça que dans un ou 5 siècles des lecteurs se pencheront encore sur l’oeuvre de ce type qui a voulu s’élever contre toute la philosophie morale occidentale simplement parce qu’à ses yeux elle n’était pas suffisante pour expliquer les misères de la condition humaine que ce soit pour ceux qui la vivent ou ceux qui réussissent à vivre sans la vivre.

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  3. « J’admets que deux fois deux quatre est une chose excellente, mais s’il faut tout louer, je vous dirais que deux fois deux cinq est aussi une chose charmante. »
    Les Carnets du sous-sol – Dostoïevski

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  4. Brièvement je n’avais pas pensé à N lecteur de Dostoievski, mais à N non lecteur de Zola, suite à votre assertion sur Flaubert. En revanche, j’ai pensé à Berdaiev à propos de ce que vous disiez de Chestov. Il est fort possible qu’il y ait quelque chose là. Je ne suis pas étonné que FN ait été frappé par la Confession dans un Souterrain. Et oui, via Dostoievski, on peut concevoir N co un penseur du transcendant, mais je le crains, via D seul. La possibilité d’une transcendance hors ce dialogue dans les écrits assumés comme philosophiques m’apparaît comme problématique. Il y aurait tout de même une question à poser sur le surgissement du thème de l’ Antechrist, très présent en cette fin de siècle dans toute l’Europe, des prophètes du Grand Monarque à Alfred Jarry,et sur la portée e exacte que N lui donne. Contre Christ, très vraisemblablement ? Bien à vous. MC

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  5. M Court merci pour votre réponse, vous (et aussi une autre personne que vous ne connaissez pas) m’inciteriez à rouvrir des livres et me remettre à lire pour trouver les réponses à vos questions.
    Nietzsche découvre (par hasard comme il trouve Schopenhauer) Dostoïevski assez tardivement, vers 1887 je crois, la quasi totalité de son oeuvre est déjà écrite, il doit lui rester l’Antéchrist, Ecce Homo et son Wagner. Cette découverte est une révélation, la joie que lui procure la lecture de D. dépasse celle de Stendhal, ce dernier il le louait pour ses talents de psychologue, il dira de D. qu’il est encore un meilleur psychologue. Nietzsche adore l’homme du sous-sol, il y voit une charge contre Socrate et le mythe de la Caverne, surtout il adore les portraits de criminels, ceux de la maison des morts bien sûr (dont D. écrit à son frère qu’il aura vraiment découvert les gens dans ce qu’ils ont de plus beau etc…), de l’Idiot il comprend le parallèle avec le Christ : D. montre avec le Prince que le Christ n’est ni génial ni exceptionnel, mais juste un idiot, Nietzsche aime aussi Raskolnikov, parce que D. montre la façon dont la culpabilité peut ronger un homme etc… Ensuite virement total : il dit de D. qu’il n’est qu’un chrétien qui défend la morale des esclaves etc… Dans Ecce Homo N. écrit qu’il est le premier et le seul grand psychologue.
    Dostoïevski est un auteur de combat(s), combat chez ses personnages toujours tiraillés entre des positions extrêmes, et combat entre lui et ses personnages, dans les Démons il fait dire à un personnage (je sais plus lequel) que les hommes voulent et doivent s’affranchir de ce qui plus grand qu’eux, mais si cette chose plus grande qu’eux disparait alors leur vie ne sert plus à rien. Là où Dostoïevski est un grand philosophe c’est qu’il invente une nouvelle dialectique de la liberté qui ne passe pas par le libre arbitre parce qu’il considère que la liberté n’est pas un concept « mécanique » auquel on parvient par le biais de l’émancipation, c’est un « anti-Lumière » il considère que l’homme n’est par nature pas « émancipable », d’où ce paradoxe : pour aimer Dieu il faut être libre, mais cet amour entrave sa liberté etc… omniprésent chez D.
    Il faudrait relire Chestov, et aussi Berdaïev, je crois qu’ils analysent le sens de ce revirement dans le fait que Nietzsche et Dostoïevski sont tous deux des auteurs « tragiques », et très proches, il y a un livre de Nietzsche (l’Antéchrsit ?) qui commence exactement comme l’homme du sous-sol, à savoir un homme dont la lucidité le pousse à se révolter contre sa condition, Nietzche a écrit que la lecture de l’homme du sous sol l’a plongé dans une joie telle que qu’il n’en avait jamais connue auparavant.
    Désolé je suis encore en train de faire trop long, mais si on part dans ces histoires ça peut vite devenir interminable, je n’ai jamais cru à ce revirement de N. pour la bonne raison que quand Overbeck vient chercher son ami à Turin qu’est-ce qu’il trouve au chevet de son lit ? Crime et Chatiment, il continuait de le lire, et vous savez pourquoi ? parce que ce combat qui torune souvent au bras de fer chez Dostoïevski il n’est pas que dans ses personnages, ou qu’entre lui et les revirements de ses personnages, il est aussi entre lui et ses lecteurs, au moins qui entrent dans son jeu, à savoir comme vous le disiez les « torturés d’esprit », et s’il y a bien un type qui était torturé c’était Nietzsche, c’est plus qu’un torturé c’est un type dont la lucidité l’a mené au comble du désespoir. C’est ce que dit Chestov, je pense qu’il faut être russe pour pas tomber dans le panneau du type qui joue les fiers à bras pour voir que ces excès de frimes ne font que cacher une immense souffrance, et cette souffrance elle est forcément liée à cette chose que l’on appelle la transcendance sans laquelle la tragédie n’existe pas plus que Dieu ! et ça M Court vous pourrez tourner le problème dans tous les sens, à moins de ne pas comprendre ce dont il s’agit, ce que je ne crois pas parce que vous êtes une personne intelligente, vous ne pourrez pas le contredire.

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  6. Puck. Le texte de Nietzsche est un des derniers, et rien ne permet de déduire qu’il incrimine une certaine sécularité, d’ autant qu’à la même époque il tombe à bras raccourcis sur la pseudo mystique operaticowagnerolisztienne «  si Wagner est évangéliste, liszt est Père de l’Eglise…l’adhesion à Wagner se paie cher » et que conjointement ou à peu près, il encense Bizet. Et meme la Mascotte d’ Audran dans les lettres à Peter Gast. Alors reprocher à Flaubert d’aller trop loin dans ce sens, je n’y crois pas. Pour la même raison, et malgré, où à cause du « Zarathoustra », je ne crois pas à un philosophe de la transcendance. Ça me paraît de la récupération de la part de Chestov. Et la « Genealogie de la Morale » est ininsérable si on veut soutenir ce Nietzsche la. Je conçois que ce monument de notre culture soit passé d’un raisonnement logique à un raisonnement fondé sur le mythe de type « vox clamentis in deserto », ou même l’aphorisme, mais de là à en faire un philosophe de la transcendance, non,. En tous cas pas selon ces textes là. Bemol: je n’ai pas Aurore en tête. Bien à vous. MC

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  7. @e/N… Désolé pour cette interférence encore trop longue : connaissez-vous les travaux de Sylvia Massias, par hasard ? Bàv

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  8. Par association d’idées (ça parle de la Russie…) : Paul Edel, avez-vs des nouvelles d’Olga ?
    (J’espère qu’aucune commentatrice n’est restée en rade sur l’ancien site, où j’avais pourtant déposé des petits cailloux blancs pour mener jusqu’ici.)

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  9. Riche iconographie du billet (même si Dostoïevski n’est pas vraiment avantagé sur la photo). J’arrive bien tard pour proposer un complément (nullement indispensable, mais lié à un souvenir personnel de ma lecture de L’Idiot) :

    (J’aurais aimé trouver une illustration d’Ivan Bilibine, il y a un hérisson ds le conte Les oies sauvages, mais j’ai fait chou blanc.)

    Je me demande si le lien qu’A. Pizarnik établit entre l’étirement des scènes, avec la possibilité de tout dire & le « suspens extraordinaire » (suspense, je suppose) qui en résulte ne se vérifierait pas chez d’autres — effet « retrouvé », recherché librement & délibérément, pour lui-même (& non plus conséquence heureuse d’une contrainte spécifique, la publication en feuilletons) : je pense à Laurent Mauvignier, notamment Histoires de la nuit.

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  10. désolé juste une dernière chose : Dostoïevski ne peut pas aimer Ivan parce qu’il est socialiste et progressiste, pourtant il en fait l’auteur d’une de ses plus belles paraboles (du niveau de la confession de Stavroguine) qui est celle du Grand Inquisiteur, que tout le monde connaît, c’est un argumentaire implacable, pour alimenter une rhétorique encore plus implacable, preuve que Dostoïevski est un type sacrément courageux qui n’avait pas peur de rendre ses adversaires redoutables, désolé d’y revenir mais il ne se serait jamais battu contre un Homais, quel intérêt de se battre contre des imbéciles ?

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  11. MC, j’ai découvert cette « dame des plus torturées » (ou « lectrice agitée ») par l’intermédiaire de Marcel Cohen ; toutefois, comme je le disais précédemment à propos de Mario Levrero, non seulement j’ignore à peu près tt de la littérature sud-américaine mais je ne parle pas espagnol (à l’aide de l’italien & en ayant recours au dictionnaire je dois à la rigueur pouvoir déchiffrer à peu près ce qui relève de la fonction de communication, mais je ne suis pas en mesure d’apprécier des textes littéraires en v.o. & notamment la poésie). Je tâtonne donc, & ne suis pas particulièrement bien placée pour parler d’Alejandra Pizarnik, n’ayant sur vs que l’avance d’un seul livre, ces Journaux de 1959 à 1971. (En revanche, cette lecture s’articule avec celle des textes de Mario Levrero & de Vincent La Soudière, entre autres, au sein d’un programme personnel).
    Même si A. Pizarnik a rédigé par ailleurs des essais critiques pour des revues littéraires, c’est la spontanéité, ds ses Journaux, de ses réactions aux textes qui m’a fait penser qu’elles ne seraient pas déplacées sur un blogue — spontanéité informée par ses vastes lectures & sa propre pratique de l’écriture, faut-il le préciser ?

    Les « coordonnées » biographiques & littéraires d’A. Pizarnik (1936-1972) étant accessibles en un clic, je rappellerai seulement ce qui est susceptible d’intéresser plus particulièrement les uns ou les autres ici : A.P. a d’abord étudié la philosophie & la peinture, elle a été influencée par le surréalisme, & lors de son séjour à Paris (1960-1964) elle a été l’amie d’A. Pieyre de Mandiargues, & a par ailleurs fréquenté de nombreux écrivains, Y. Bonnefoy & H. Michaux, ainsi qu’Octavio Paz & Julio Cortázar. De retour (difficile) en Argentine, elle sera proche de Silvina Ocampo & entretiendra une correspondance importante avec Cristina Campo/Vittoria Guerrini (elle connaissait aussi Chichita Calvino). L’index des noms (qui manque à l’édition Corti des Journaux) ressemblerait à un Who’s who littéraire de l’époque.
    En villégiature à côté de St. Tropez en août 62 (pour Paul Edel, MC fermera les yeux un instant) : « Autre chose m’a fait mal, ma rencontre avec Marguerite Duras, hier : elle était ravie de ses quatre bains de mer quotidiens, elle m’a parlé de ses amis, de son fils, de son chien, de nourriture, de voitures de sport et tout ça, sans aucune angoisse, sans phrases définitives, sans littérature, simplement, comme quelqu’un qui appartient à ce monde et participe de lui pleinement. Moi, à l’inverse, je suis toujours si loin, au bord de l’abîme […] je suis tendue et défaite, […] inapte à tout. » (132)
    Décalage douloureux par rapport à l’espagnol, sa langue d’expression & celle ds laquelle elle a étudié, sans être tt à fait sa langue maternelle (fraîchement débarqués en Argentine, ses parents parlaient yiddish à la maison) — les lectures dont elle se plaint le plus sont celles d’auteurs espagnols considérés comme des « classiques », qu’elle s’oblige à étudier pour enrichir & assouplir son écriture, alors qu’elle se passionne pour Kierkegaard & Kafka, Reverdy (sans parler du choc de reconnaissance qd elle lit le journal de Pavese ou des textes d’Artaud). Autre ex. en 1968, réagissant négativement à un ouvrage de Cortázar qu’elle regrette de s’être obstinée à finir (« grands mots et concepts rebattus »), elle ajoute : « je voudrais lire un livre qui me gratifierait, peut-être celui de M. Leiris. » (302)
    Tte la dernière partie de ces Journaux est dominée par le poids des problèmes d’organisation (tr proches de ceux qu’évoque M. Levrero) : gagner de quoi vivre ET trouver le temps d’écrire, conserver un minimum de vie sociale ET garder du tps pour l’écriture : « Quel livre de moi a donc pu se disperser au fil de mes lettres envoyées ou non à C[ristina] C[ampo] ? Quel livre est-ce que je n’écris pas à cause de mes appels téléphoniques à S[ilvina Ocampo] ? Je déteste cette avarice « littéraire » ». (On pense aussi, évidemment, à Th. Bernhard & à ses oscillations ville-campagne, solitude-compagnie). Avoir « une chambre à soi » est nécessaire, mais pas suffisant si celle-ci se révèle bruyante (la radio des voisins…)
    Ce que j’en dis (ainsi que les qq citations « illustratives ») ne lui rend pas justice, mais j’ai qd même réussi à faire encore trop long. Désolée, P. Edel.

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  12. M Court, vous savez ce que voulait dire Nietzsche quand il reprochait à Flaubert d’être décadent ? Je crois bien qu’il lui reprochait d’avoir poussé trop loin le bouchon de la « sécularité ».Vous me direz si je me trompe, je crois que le roman français du 19è est placé sous le signe de la sécularité, cela doit tenir à notre esprit, notre culture, notre histoire : laïcité et sécularité sont les deux mamelles de l’esprit français, et si l’on trouve Flaubert moderne ce n’est probablement pas que pour le style et la langue. Nos philosophes ont rangé Nietzsche parmi les penseurs de l’immanence, Chestov le voit comme un penseur de la transcendance très proche de Dostoïevski (peut-être avec le mysticisme en moins), u risque de passer pour un pro russe je pense que Chestov a raison. Et dans cette ittérature séculière il semble que nous ayons une exception dans la personne de Bernanos, ce n’est pas l’exception culturelle, mais l’exception littéraire, du coup le fait de toujours raccrocher à ce pauve Bernanos à chaque fois qu’il est question de transcendance ne fait que mettre le doigt sur l’absence de cette transcendance chez les autres, sauf que nous préférons sans doute apprécier la présence des choses là où elles ont plutôt que déplorer leur absence là où elles ne sont pas, croyez-moi Mr Court mais voir le verre à moitié plein est une tournure d’esprit que j’aimerais avoir car j’imagine qu’elle est celle des gens peu torturées.

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  13. M Court, oui, je ne sais pas combien ils payaient leur journal, mais je crois qu’ils en avaient pour leur argent. Parce que cet effet d’étirement dont parle cette dame (peut-être) torturée (quel mal y a-t-il à être torturé?) a une conséquence assez intéressante, me semble-t-il, c’est que les personnages évoluent, l’idée qu’on se fait d’eux évolue aussi. Cette dame torturée trouve Ivan sympathique, c’est vrai qu’il l’est au début, puis on se rend compte qu’on s’est peut-être trompé sur son compte, cet intellectuel n’est peut-être au final qu’un faiseur, qu’un beau parleur. C’est vrai aussi pour Aliocha, quand on fait sa connaissance on lui donnerait sa fille en mariage tellement il est bon et sympathique, au final on ne lui donnerait même pas sa belle-mère en mariage tellement il pousse l’ataraxie au delà de l’admissible. C’est vrai aussi pour le Prince, dans le premier tiers de l’Idiot on est ébloui par sa bonté naturelle, au milieu du livre elle commence à nous agacer sa bonté, et à la fin on aurait presque envie de la baffer.
    Ce qui fait que ces romans s’étirent en longueur, mais aussi en largeur, elle a raison de dire qu’on a l’impression de les connaitre et vivre avec eux (même si comme le dit Paul Edel ce sont des personnages « invraisemblables »), parce que c’est bien notre expérience dans la vie, la plupart du temps nous nous trompons sur l’idée que nous nous faisons d’une personne à la première rencontre, parfois cette personne nous déçoit en apprenant à la connaitre mieux, et parfois c’est le contraire on se rend compte qu’on l’avait mal jugée, et voilà comment Dostoïevski avance : toujours à hauteur d’homme, toujours au milieux de ces gens, il ne les regarde pas de haut comme « certains » je ne dirai pas de nom, ils ne sont pas de simples marionnettes qu’il instrumentalisent pour ser servir son dessein (là non plus je ne citerai pas le même nom), parce qu’e Dostoïevski donne l’impression de découvrir ses personnages au fil des pages, à l’égal du lecteur, était-ce l’effet « feuilleton » (c’est vrai qu’on retrouve un peu ça dans les séries) n’empêche qu’il fallait sacrément assuré pour être capable de déambuler tel qu’il le fait, il fallait avoir une sacrée amplitude dans l’approche de la psychologie humaine pour accueillir dans sa tête non pas tous ces personnages, mais tous les tournants que la vie leur fait prendre. Cela dit c’est fatigant et je reconnais que certains puissent préférer les personnages monolithiques et tellement plus reposant pour l’esprit comme Mr Homais qui lui au moins reste toujorus fidèle à l’idée qu’on s’en fait./
    Il devrait y avoir une loi qui interdise aux français de parler de Bernanos quand on parle de Dostoïevski, remarquez déjà on s’évite d’aborder Camus.

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  14. Je retiens cette remarque sur l’effet feuilleton , ou en effet on doit étirer et « tout dire » afin que le lecteur en ait pour son argent. C’est profondément juste pour toute la période, où du moins , dans la littérature engendrée par la dictature de la suite au prochain numero, y eut-il quelques chefs-d’œuvre. Pour autant, opposer la surabondance des uns à la présumée sécheresse et à la pauvreté des autres n’est pas toujours pertinent dans la mesure où ils se sont construits sciemment en dehors de la Presse Girardin, au nom d’une conception anti romantique de l’écrivain. Ils ne prétendent pas, eux, changer le monde ni l’enchanter. Mauvais procès aussi que celui fait à Mandyargues, dont La Marge, ultérieure il est vrai aux pages citées, et construite sur une ellipse narrative suffit à montrer qu’on peut être un grand romancier sans avoir obligatoirement recours au fantastique à l’érotique même,, etc. On serait murit dans la tonalité Zola chez Franco… C’est intéressant,comme d’habitude. Peut-on en savoir plus long sur. Cette dame des plus torturees?! Bien à vous. MC

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  15. Pardon pour le doublon, le commentaire était resté bloqué & je croyais qu’il n’était pas passé (ou que j’avais dépassé mon quota !)
    Voici le dernier extrait (rien sur L’Idiot) :
    2/III (1965)
    J’ai lu Netotchka Nezvanova. C’est ça, c’est de ça qu’il s’agit. J’aimerais — c’est-à-dire je devrais — écrire sur toutes ces choses. […] Scène de N. ; le délire de son père, sa solitude et sa peur. Derrière sa passion, Dostoïevski détient le secret de la patience. Je me demande si ça n’est pas lié à la publication en feuilletons des romans de cette époque. Il y a une façon d’étirer les scènes — en y disant tout — et cet étirement crée un suspens extraordinaire. Comme Flaubert — ou Borges — me paraissent pauvres si je les compare à D. Comme les artifices littéraires sont pauvres ! Mais D. était tellement vivant qu’il vivifiait n’importe quel personnage, n’importe quel sentiment.

    (J’ajouterai seulement que ce roman inachevé de Dostoïevski représente aussi une lecture marquante pour le protagoniste du roman de Mircea Cărtărescu, Solénoïde, lequel déclare : « Je veux écrire non pas comme un écrivain, fût-il de génie, mais comme Efimov joue du violon, avec un orgueil démesuré et une imperfection sublime. »)

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  16. Mardi, 17 novembre (1964)
    J’ai commencé à relire Les frères Karamazov. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas la patience pour lire un livre bref et pourquoi je l’ai pour des milliers de pages. Ivan K. me fascine. Beaucoup plus qu’Aliocha et que Dimitri. Sans doute parce qu’il est sans passion, critique, serein. L’intellectuel typique.

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  17. Mardi, 17 novembre (1964)
    J’ai commencé à relire Les frères Karamazov. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas la patience pour lire un livre bref et pourquoi je l’ai pour des milliers de pages. Ivan K. me fascine. Beaucoup plus qu’Aliocha et que Dimitri. Sans doute parce qu’il est sans passion, critique, serein. L’intellectuel typique. Ce que tu ne pourras jamais être du fait de tes difficultés à penser […]

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  18. [A. Pizarnik mentionne souvent son envie, et l’impossibilité pour elle, d’écrire en prose]
    Samedi 13 avril (1963)
    Penser à Kafka, à Dostoïevski. Quel poète tremble de cette manière ? Quel poème rend compte des mouvements de l’esprit avec une telle intensité ?

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  19. Mercredi, 13 (février 1963)
    Le petit homme du souterrain produit une sorte de stupeur en moi. Tout ce qu’il raconte m’arrive, m’est arrivé. Dostoïevski est plus « terrible » que je ne le pensais. Dans ce livre, il est dit tout ce que je n’arrive pas à m’avouer. Je le lis avec peur, chaque page m’apporte de nouvelles (ou d’anciennes) révélations sur moi. (182)

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  20. 2 février (1963), dimanche
    [André Dalmas] aime la littérature à la manière d’André Pieyre de Mandiargues, c’est-à-dire une littérature sans lien d’aucune sorte avec l’ Éthique ou la psychologie. (Gourmont, Paulhan, A.P. de M., Borges, etc.) C’est-à-dire le beau style, le fantastique, l’érotisme, le mystère, l’étrange… Je conçois qu’il ait raison. La seule chose qui m’empêche d’accéder à ce monde de mandarins c’est Dostoïevski… et mes problèmes personnels.

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  21. Si Paul Edel le permet, « carambolage » (au sens de coïncidence) du jour : Alejandra Pizarnik, poète et grande lectrice, à propos de Dostoïevski dans ses Journaux :

    Dimanche, 13 janvier (1963)
    Je lis Crime et châtiment. Chaque fois que je le lis ou le relis, Dostoïevski change mon sentiment de la littérature. En fait, il m’arrive d’aimer, d’apprécier davantage la beauté du langage d’un livre que son éventuel message ou son argument. Mais D. tombe au beau milieu de ma tourmente. Aujourd’hui, je me suis levée fatiguée et fiévreuse comme si c’était moi qui avais commis les crimes. Mes bras me font mal comme s’ils avaient abattu la hache homicide. […] Je ne sais pas si quelqu’un d’autre a su voir comme D. Ce qui m’étonne, c’est sa connaissance magique de ce qui nous arrive — de ce qui m’arrive. […] D. s’attache aux détails, il s’attache à eux avec une passion qui me rend malade. Il y a des scènes qui s’apparentent à d’incroyables orgasmes : on croit qu’on y est déjà parvenu, et puis, un autre lieu d’exaltation s’annonce, m’ouvre une autre porte, on n’avait fait que commencer. Autre chose : l’humour de D. Humour involontaire peut-être, quoique sans doute parfaitement conscient. Comme, par exemple, lorsque Raskolnikov se maudit de pas s’être acheté une casquette et de devoir se promener avec ce chapeau incroyablement dangereux et absurde.

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  22. « C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière » Je suis d’accord avec cette vérité là. Presque Tout Bernanos en sort , a fortiori Dostoievski.

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  23. Merci Puck, même si vous me faites l’honneur de confondre mon point de vue avec celui de Jules Lemaitre, lequel débusque bien , après la mort du héros religieux, le piège du héros scientiste.Pour ce qui concerne la crise du religieux chez certains personnages Dostoievskiens, auréolés mais calamiteux,elle est je crois à mettre en rapport avec une crise plus large, européenne, qui va du Zola de l’Abbe Mouret et du Rêve aux dernières œuvres de Bernanos. La citation de Pascal est quelque chose comme «    tout le malheur de l’homme vient de ce qu’il est enfermé dans une chambre ». Reste à voir si la seconde citation est correcte. Il en existe une autre version. Que Berdaiev soit impliqué la dedans est extrêmement intéressant. Je ne sais si je lis Dostoieki en lettré. J’en doute fort vu la qualité de vos interventions. J’essaie seulement de contextualiser la Bête. Pour le reste tout à fait d’accord avec JJJ pour sa première intervention. Moins quand vous voyez Flaubert avec les yeux de Nietzsche («  ce Petit décadent qui s’appelle Gustave Flaubert) , mais c’est un autre problème . A bientôt j’espère. MC

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  24. c’est dommage, cette capacité que vous avez à vous embourber quand vous voulez trop en faire… Ca détruit toute la magie antérieure. Oui, trop c’est trop long, là !…
    Relisez-vous, nom de dieu ! On est gênés, à force, nous autres les spectateurs qui voulions applaudir… On va devoir siffler la fin de la récré…, et vous contredire sur le fond… Car, vous vous abusez sur Dimitri, et tombez dans le panneau, comme tout le monde… Bàv,

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  25. M Court vous voyez, là encore il faut de la noirceur pour entrevoir la lumière, votre bonhomme brillant et intelligent qui vit sous les lumières étincelantes des salons au final ça fait bien trop de lumière et quand il y a trop de lumière au final on ne voit plus rien.

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  26. Si vous me le permettez (sinon vous sucrerez mon commentaire) j’aimerais juste ajouter une chose au sujet d’Ivan. Dostoïevski est redoutable avec les personnages qu’il n’aime pas parce qu’à chaque fois ce sont des types intelligents et sensés, même brillants, c’est le cas d’Ivan : il a raison de a à z dans tout ce qu’il dit, Je ne sais plus si c’est Pascal, ou Dostoïevski dans une lettre à Berdaïev qui dit que le fait de savoir que 2 et 2 font 4 constitue le pire malheur des hommes. Parce que le savoir, l’usage récompensée de leur raison leur donne des ailes, c’est le cas d’Ivan : son savoir précis et immense lui donne des ailes, et ces ailes l’entraine dans l’erreur. Son constat est bon, comme son diagnostic et le fait d’avoir la certitude de ne pas se tromper dans son constat et sa connaissance des choses, du monde, de l’histoire (il a été à l’école…) etc… va faire qu’il va se plante dans sa façon de résoudre le problème. Savoir que 2 et 2 font 4 représente son malheur parce que c’est la seule chose qu’il sait et il ramène tout à l’aune de son savoir. Cette même logique d’un savoir qui mène inéluctablement à l’erreur on la retrouve dans les Démons, chez Rodia et chez tous ceux qui ne savent utiliser que leur raison pour voir et comprendre le monde. C’est là où Dostoïevski cesse d’être un écrivain pour devenir un philosophe, parce que des philosophes qui s’en sont pris à la Sainte Raison Victorieuse on en a des bataillons, mais aucun ne fait à façon. Parce que qu’est-ce qu’il manque à Ivan ? la spiritualité parce qu’il n’est qu’un matérialiste pur et dur ? non parce qu’avec son frère Aliocha il montre que la seule spiritualité ne mène à rien. Reste qui ? il reste Dimitri, comment ce type, ce débauché, parricide pourrait-il nous proposer une solution qui tienne la route ? Je ne crois que Dostoïevski suivait un plan, il était payé juste à la page, du coup il fallait qu’il en ajoute des épisodes, au final son histoire n’est pas construite, avec tous ces rebondissements abracadabrants elle ne tient pas debout, et pourtant c’est de Dimitri que jaillit cette lueur d’espoir en l’humanité qui va éclairer tout le livre, autant il est redoutable avec les 2 autres comme il est aussi avec lui au début avec Dimitri (cf non pas le crime mais l’épisode du père humilié devant son fils), autant au final c’est de lui qui jaillit la lumière simplement parce que tous c’est le plus humain et donc celui de tous qui incarne le mieux la créature de Dieu. J’ai bien peur d’avoir fait encore plus long.

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  27. Oui, on peut toujours faire plus Court, pour attaquer Marc, finalement !…
    Si je puis me permettre, vous vous rehaussez à un très bon niveau, icite… et j’en suis impressionné. Vous défendez votre Dosto avec l’amour de votre coeur plutôt qu’à travers une vaine érudition distante. Mais pourquoi pas ailleurs, finalement ?… Merci d’enrichir ce papier de Paul Edel de votre lumière intérieure. Bàv,

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  28. Oui, on peut toujours faire plus Court, pour attaquer Marc, finalement !…
    Si je puis me permettre, vous vous rehaussez à un très bon niveau, icite… et j’en suis impressionné. Vous défendez votre Dosto avec l’amour de votre coeur plutôt qu’à travers une vaine érudition distante. Mais pourquoi pas ailleurs, finalement ?… Merci d’enrichir ce papier de Paul Edel de votre lumière intérieure. Bàv,

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  29. Merci M Court, j’espère ne pas ennuyer Paul Edel, et je trouve un peu prétentieux de vous répondre comme si nous jouions dans la même cours : contrairement à vous je ne lis hélas pas Dostoïevski comme un « lettré ». Je n’ai jamais cru qu’Emma Bovary aspirait à une « haute vie », je n’ai jamais su si à la fin de son roman Flaubert veut se moquer un peu plus de Charles, l’enfoncer un peu plus, en lui faisant pardonner, quand il gronde sa fille parce qu’elle dit du mal de sa mère, n’empêche que dans ce passage celui qui aspire à la « haute vie » c’est Charles, cet amour absolu et désintéressé pour sa femme, son pardon… je trouve ça magnifique, il devient le seul « beau » personnage de ce livre.
    Tous les doutes, les contradictions, les angoisses, les questionnements que l’on trouve dans les romans de Dostoïevski devaient exister dans sa tête. Quand dans les Possédés dans le dialogue entre Chatov et Stravoguine (je crois) l’un des deux dit qu’il n’aime pas Dieu, mais il aime l’orthodoxie parce qu’il aime la Russie c’est un aveu terrible et terrifiant, qui est contredit dans un tas d’autres passages : Dostoïevski devait vivre ces oscillations, mais dans toutes les situations la seule idée qui ne bouge pas c’est qui consiste à penser que plus la nuit est noire et plus les étoiles brillent. Cet effet de contraste on peut le retrouver chez un jeune homme comme dans votre texte, il brille en société avec ses diplômes, qui plait tant aux femmes etc… pour pouvoir briller il faut qu’il ait en contrepartie de la nuit noire, sinon il ne brille pas. Et ce paradoxe disant qu’il faut une nuit noire pour voir les étoiles briller on le retrouve aussi dans l’amour de Dieu, et là exit l’orthodoxie et la Russie : l’amour de Dieu qui ne brille pas comme une étoile, mais juste comme une petite lumière faible, pour la voir il faut aussi la présence d’une nuit noire, et cette nuit noire elle est partout chez Dostoïevski, à tel point qu’on se demande si ce besoin quasi obsessionnel de nous plonger dans cette noirceur n’a pas comme unique but de nous permettre d’apercevoir cette petite lumière que constitue l’amour de Dieu.Du coup à chaque fois qu’apparait dans ses romans un jeune jeune homme briallant pétri d’intelligence et de qualités la noirceur n’est jamais loin. Parce que l’autre idée qui rappelle cette nuit permettant de voir la lumière des étoiles c’est de toujours faire en sorte que le lecteur se demande que vaut donc ce jeune homme brillant dans un monde où la misère est plus présente, comment s’en satisfaire, comment s’en contenter, comment admirer ce jeune homme si derrière lui tout n’est que ténèbre et désespoir. Cet effet de balancier est toujours présent que ce soit dans ce qu’il décrit ou ce qu’il fait dire à ses personnages, même si cela peut venir d’un type comme Ivan ou Chatov, qui ne sont pas le mieux placés pour tenir ce genre de propos dans la mesure où ces personnages utilisent leur rhétorique pour alimenter leurs idées, ce que Dostoïevski ne veut pas parce qu’il n’aime pas Ivan et ses idées, mais ce n’est pas parce qu’il ne l’aime pas qu’il ne lui fait pas dire des choses qu’il pense lui-même. Désolé d’avoir fait long, désolé.

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  30. «  Cette vision de l’ingénieur et du gentilhomme enlacés, c’est une bonne moitié de l’œuvre de Mr Georges Ohnet. Elle est faite pour réjouir Mr Poirier, Mr Maréchal et Mr Perrichon. Et l’autre moitié séduira particulièrement leurs épouses. Après cela, que Mr Ohnet compose assez bien ses récits, qu’il en dispose habilement les différentes parties et que les principales scènes y soient bien en vue, cela nous devient presque égal. Que ces romans, débarrassés des interminables et plats développements qui les encombrent et transportés à la scène, y fassent meilleure figure; que la vulgarité en devienne moins choquante… je n’ ai pas à m’en occuper ici: les quelques qualités de ces romans étant purement scéniques échappent à la lecture.On y trouve ben revanche l’élégance des chromolithographies, la noblesse des sujets de pendule, les effets de cuisse des cabotins, l’optimisme des nigauds, le sentimentalisme des romances, la distinction comme la conçoivent les filles de concierge, la haute vie comme la rêve Emma Bovary, le beau style comme le comprend Mr Homais. C’est du Feuillet sans grâce ni délicatesse, du Cherbulliez sans esprit ni philosophie, du Therrien sans poésie ni franchise ; de la triple essence de banalité. Mais ces romans sont venus à leur heure…la littérature nouvelle tend à devenir un divertissement mystérieux de mandarins….or il y a toute une classe de lecteurs qui n’a pas le loisir ni peut-être le moyen de pénétrer ces arcanes, qui veut avant tout des « histoires » comme les fidèles du Petit Journal, mais qui pourtant les veut plus soignées et désire qu’elles lui donne cette impression que « c’est de la littérature ».Mr Ohnet est au premier rang de ceux qui tiennent cet article là ; il est incomparable dans sa partie; il sait ce qui plait au client, il le lui sert, il le lui garantit. Tout cela n’est certes pas le fait du premier venu; mais qu’il soit bien entendu que c’est en effet de marchandises qu’il s’agit, et non d’œuvres D’Art. Il ne faut pas que l’on s’y trompe. Je n’ai voulu que prévenir une confusion possible. ». os. Lectorat d’ Ohnet selon JL :!un million de lecteurs. Maupassant, Goncourt, Zola, quelques milliers…,

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  31. Ohnet. « Ses figures sont de pure convention, et de la plus usée et souvent de la plus odieuse. Voici le jeune premier, le roturier génial et héroïque : un beau brun, teint ambré, cheveux courts, larges épaules, voix de cuivre. Il est sorti premier de l’Ecole Polytechnique et « il s’est fait tout seul ». Il est fier, il est vertueux, il est désintéressé, il est fort. La passion chez lui est brûlante et contenue ; il flambe en dedans,ce qui est le comble de la distinction. S’il est avocat par-dessus le marché, ses phrases se balancent « comme des fumées d’encens »….c’est l’idéal du héros bourgeois, c’est à dire l’ancien héros romantique pourvu de diplômes,muni de mathématiques et de chimie, et ne rêvant plus tout haut: un paladin ingénieur, un Amadis des Ponts et Chaussées, l’archange de la démocratie laborieuse. D’innombrables petites bourgeoises, à Paris comme en Province, l’ont vu passer dans leurs songes, et peut-être l’aiment t’elles d’autant plus que c’est presque toujours aux grandes dames que le gaillard en veut. …Et toujours ces Benedicts de l’Ecole Centrale finissent par dompter les duchesses, ce dont le tiers etat est flatte dans son orgueil et dans sa superstition… » (a suivre. Comme anti Dostoievski , ce n’est pas mal!)

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  32. J’ai parlé d’un certain type de Roman Russe. Pour Lemaitre Zola est un poète qui meut de grandes forces dans de grandes fresques par des personnages crédibles . On peut en dire ce qu’on voudra, insister sur leur bassesse, leur côté frustre, «  mais ils vivent «  Il n’y a pas non plus , dans la lecture qu’il en fait, d’enjeu révolutionnaire. Il voit trop « « le poète brutal et triste « , mais le poète. C’est paradoxalement une lecture assez russe quand on connaît un peu le milieu. Je vous laisse juger si ça convient mieux à tel ou tel, mais pour un contemporain c’est une lecture intelligente, et je ne serais pas surpris que certains. Romans russes aient attiré à leur parution des commentaires de cet ordre. Pour l’estomac, j’y reviendrai tout à l’heure, je l’espère. Bien à vous. MQ

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  33. M. Court, rien de ces questions ne transparait dans les livres de Dostoïevski. Si vous prenez les frères Karamazov son choix ne se porte pas plus sur Aliocha malgré ce qu’il nous laisse croire au début, au final ce type est fade, transparent tout comme sa religiosité est inutile, pareil pour Starets Ziozime les éloges de départ se finissent de façon lamentable avec une dépouille rattrapée par le puanteur de la putréfaction, même les saints hommes n’y échappent pas.
    Je ne sais pas pour ce qui est de la « littérature à l’estomac » : quand il dépeint les miséreux ce n’est jamais pour nous inciter à la révolte (il n’aime pas les socialistes ni les révolutionnaires) ou pour montrer qu’il est du côté des faibles, il n’y a pas de posture chez lui, montrer qu’il est un type bien comme on en trouve tant aujourd’hui, pas plus qu’il ne dénonce ou s’indigne (là encore c’est le fond de commerce de certains de nos écrivains actuels), il nous décrit les choses de façon bien détestable.
    On ne retrouve jamais ce côté « binaire » dans ses livres, il ne montre pas que tous les pauvres sont des gens biens, ou, comme chez Flaubert, que les bourgeois sont tous des imbéciles qui pensent bassement, quant au bien et au mal ils traversent chaque individu, ils existent en chacun d’eux et à aucun moment la religion, la morale, l’argent, les conditions sociales ne les font basculer vers l’un ou l’autre. Si on prend un livre comme l’Idiot il n’y a pas de héros, aucun n’en sort grandi (à par peut-être Nastassia), tous les autres sont bien pitoyables, même le Prince.

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  34. Les Antimodernes . Relire ce que dit de Brunetiere un type comme Jules Lemaitre au premier tome des Contemporains. Voir aussi ce qu’il dit de Zola , qui pourrait valoir pour un certain type de roman russe, épique, populaire , parfois animal , voué à dépeindre les sans-grades de la société. Les pages sur Georges Ohnet composent un très réjouissant etrillage de la littérature à l’estomac, comme on ne l’appelle pas encore. Cela vaut d’etre. Savoure et redécouvert.

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  35. Ce n’est pas un problème ou un règlement de compte personnel avec l’Eglise Orthodoxe, c’est une conséquence historique du schisme d’Occident. La condamnation d’ Origéne comme « père de toutes les hérésies » est de ce point de vue révélatrice, Origene s’étant borné à répondre à Marcion. Si vous voulez un equivalent catholique, Cottret montre très bien comment la disparition du Protestantisme par la Révocation que vous savez ,, « tue les études bibliques pour trois siecles ». La formule est de Renan. On a les grands prédicateurs, la direction de conscience d’un Sainte Beuve et d’ autres, les discours synodaux de Mabillon, mais pas le savoir exégétique, ou alors celui transmis par la tradition patristique. L’Orthodoxie de la meme manière a aussi sa muraille de Chine… Bien à vous. MC

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  36. M Court je comprends bien que vous vouliez placer le curseur sur l’église orthodoxe que vous n’avez pas l’air d’apprécier particulièrement, mais si on regarde de près ce qu’il ne supporte pas etc dans cette modernité bourgeoise libérale scientiste positiviste matérialiste etc sans trop chercher on doit retrouver exactement ce que disent les anti modernes bien de chez nous sur la disparition annoncée de la chose spirituelle et le devenir de l’homme sans spiritualité ? et j’éviterai de soulever la question de la civilisation du coeur…

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  37. Ce qu’il ne supporte pas Etc. Je me pose la question, est-ce propre à Dostoievski? Force est de constater qu’il inaugure une tradition anti-occidentale très bien représentée. Tolstoi sur ses vieux jours parle de décadence occidentale et excommunie Flaubert et Maupassant ( propos recueillis par son traducteur français) et Soljenytsine, pour ne citer que lui, atteint’ des sommets dans le prêche anti-occidental. Une raison est peut-être à chercher dans le Grand Schisme d’Occident, et la farouche clôture diabolisante érigée par l’Eglise Orthodoxe. Les deux courants se joignant lors de la Restauration du pouvoir tsariste …Ce qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec votre thèse.
    Bien à vous. Marc Court

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  38. Paul Edel, merci, la présence des russes et de la Russie était comme un catalyseur qui lui permettait d’écrire, ce qui signifie bien qu’il n’écrivait pas « hors sol », il fallait que son matériau soit incarné. C’est aussi ce qu’il ne supporte pas dans la modernité occidentale, l’importance donnée à l’argent comme vous dites, mais aussi tous ces filtres sociaux, codes, bienséance etc.. qui finissent pas dissimuler les gens, leur humanité, aussi le fait que cette modernité bourgeoise libérale et son matérialiste vise à détruire toute forme de spiritualité chez l’homme.

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  39. merci M. Court pour votre réponse, je n’ai jamais considéré Pouchkine comme un « écrivain russe », c’est au auteur romantique occidentalisé. Pour moi le roman russe commence avec « les âmes mortes » de Gogol (années 20?) et se termine avec les dernières pièces de Tchekhov tout début du 20ès, 80 ans au total, ils n’appartiennent à aucun courant de pensée et à aucune époque.Dostoïevski n’est pas un « écrivain », c’est une espèce de monstruosité de la littérature et le plus grand philosophe russe.

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  40. Quand on lit » l’ idiot », il ne faut jamais oublier que ses années en Europe de l’ouest, à Genève, à Bâle, puis à Florence, Venise (qui fit crier de joie Anna), Trieste, avec sa femme, sont marquées lourdement par le sentiment d’exil. La terre russe manque à ce couple de manière de plus en plus insistante et même obsédante. On sait que Dos. se précipite chaque matin sur la presse russe et lit avidement, et prend des notes. Seul avantage qu’il reconnait à cette bourgeoisie occidentale libérale qu’il méprise parce qu’elle est obsédée d’argent (curieux lui qui passe son temps devant les tapis verts des casinos) , c’est qu’elle a une presse plus libre que la presse russe. Ce n‘est pas seulement par le manque d’argent que Dostoïevski reste en exil, c’est aussi parce qu’il se sent surveillé par la police du tsar ; il sait que ses lettres sont ouvertes et qu’on surveille ses amis et ses amis russes, et l’idée de retrouver éventuellement les prisons russes le terrifie.
    Un autre point intéressant, c’est que lorsqu’il a terminé « l’idiot » et même avant d’avoir terminé la quatrième partie , il a l’idée d’un grand roman qui s’intitulerait « l’Athéisme » dans lequel il veut réussir une fresque de la vie religieuse russe. Il imagine un personnage principal confronté aux diverses idéologies rivales.
    Il écrit :« Un énorme roman, son titre est l’Athéisme. Le personnage, je le tiens : c’est un russe de notre milieu qui soudain perd la foi en Dieu. La perte de la foi agit sur lui d’une manière colossale. Il hante les nouvelles générations, les athées, les Slaves et les Européens, les fanatiques et les ermites russes, les prêtres : entre autres, il se fait forcement harponner par un jésuite missionnaire et polonais ; il le fuit pour sombrer dans l’abîme de la secte des Khlysty et, sur la fin, il trouve le Christ et la terre russe, le christ russe et le Dieu russe. » ce roman n’a pas été écrit mais il en reste, je trouve, des traces dans « les démons »

    On n’a trouvé aucune ébauche de ce roman …
    Voici un extrait d’une bien intéressante lettre à sa nièce Florence dans laquelle il exprime à la même époque ceci : » »Il me faut absolument rentrer en Russie ; ici je finirais par perdre jusqu’à la capacité d’écrire, n’ayant pas sous la main le matériau qui m’est constamment nécessaire, à savoir la réalité russe (qui me donne des idées) et les Russes. »

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  41. Oui Puck, d’accord sur l’ensemble,et Ville remerciements sincères pour vos contributions, mais la troisième Rome ne devait pas être non plus précisément un concept pour gens cultivés, Pas l’Allemagne fantasmee de Wagner père et fils. Plutôt un concept de propagande si ancien qu’on se demande pourquoi il n’y aurait pas un peu cru. Après tout, la culture de Moussorgski sur Boris, c’est Pouchkine, et quel Russe ne l’a pas lu? Nous vitrifions des écrivains qui dans ce cas devaient avoir un statut de rock-star. Pouchkine en fut, et le demeure. Bien à vous. MC

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  42. @M Court, d’accord avec vous, mais si on supprime nos propres préjugés de lecture cette vision que les russes ne veulent n »accorder qu’à eux concerne bien tous les hommes. Dostoïevski n’était pas un homme très cultivé, il ne connaissait pas grand chose à la philosophie, cette ignorance lui permet de trouver des formes de discours à l’envers de ceux de nos philosophes. Cette ignorance (une philosophie par les bas) on la retrouve chez ses personnages : le plus philosophes frères Karamazov ce n’est pas Ivan le plus érudit, mais Dimitri le plus rustre des trois.Comme le dit Paul Edel Dostoïevski puise sa philosophie dans les articles de journaux à la rubrique des faits divers, parce que c’est bien là qu’on trouve les réalités de la vie humaine, dans ces drames, ces crimes. De cette réalité on ne peut tirer qu’un sentiment de gâchis : Nastassia est une femme belle et intelligente, et sa vie est gâchée pour quoi ? pour satisfaire les penchants pervers de son tuteur qui s’est trouvé sur son chemin ? ce genre d’exemple ses journaux lui en donnaient dix à la douzaine. Qu’en dire sinon quelle tristesse ! c’est une réalité désespérante. Il faut aussi voir les choses dans leur contexte : ces prises de position hyper « slavophiles » elles se passaient à une époque où les occidentalistes russes voyaient le basculement de la Russie vers l’occident libéral comme un progrès. Quel progrès ? Comme il le dit dans l’Idiot (dans la bouche d’Hippolyte ?) quand il parle de cette machine moderne faite pour broyer et engloutir cet être admirable dont la nature lui a permis de construire cette machine. L’homme serait un être intelligent dont l’intelligence sert à inventer des outils pour les broyer et l’engloutir ? Cette critique de la raison, ou de la bassesse de la pensée bourgeoise, cette bourgeoisie libérale née des Lumières et de la Révolution française on la retrouve à l’identique chez Flaubert lui aussi en quête d’absolu.Dostoïevski aussi a été un idéaliste : il a été condamné à mort parce qu’il appartenait à un groupe de jeunes qui s’opposaient au servage. Lui aussi a cru dans sa jeunesse que la morale pouvait rendre le monde meilleur, il s’est aperçu que c’est faux ! Son obsession des articles de faits divers c’était pour lui un moyen de jamais s’éloigner du peuple, de n’avoir jamais à dire comme Flaubert à Sand : je vais vous raconter l’histoire de Félicité pour vous montrer que je peux (moi aussi…) me montrer humain. Il me semble qu’il ne faut pas se tromper de clivage : même s’il a écrit pour eux ce dont il nous parle ne concerne pas que les russes.

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  43. Oui, c’est le côté troisieme Rome avec la Russie peuple élu. Ce qui n’empêche pas Boris Godounov de finir sur la plainte de l’Innocent «  pleure peuple Russe, etc… » Moussorgski, dont le bazar dramaturgique charrie autant de préjugés que le Fedor( l’Acte polonais ! ) est parfois plus Dostoievskien que nature, ou aussi russe que lui, selon les points de vue ou l’on se place, (et les Boris que l’on entend!). Bien à vous. MC

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  44. Ce côté paroxystique il est aussi donné par son rapport au temps, comme compressé, les personnages dorment pas ou peu, comme cette scène de rendez-vous du Prince dans un jardin où il s’endort sur un banc tellement il est fatigué, comme s’il ne voulait laisser à ses personnages le temps de souffler, de réfléchir, pour trouver le plus profond d’eux-mêmes : les émotions passent devant les sentiments, ça leur donne quelque chose de primitif, presque d’originel.
    Dostoïevski aime sa religion parce que c’est la religion de son peuple, celle qui a fait naître sa patrie, il aime autant ce peuple russe qu’il déteste tous les autres (avoir des ennemis crée de l’unité), du coup ce salut il l’accorde d’emblée à son peuple, là encore il faudrait revenir à son expérience du bagne, pour lui ces gens sont plus qu’un peuple c’est sa famille, ses frères, il leur pardonne tout, même les pires crimes, non pas qu’il excuse le crime, il n’excuse jamais rien, par contre il pardonne, au final la figure christique c’est peut-être lui, son pardon on le prend dans la figure comme une claque parce qu’il n’est pas donné de haut, mais toujours à hauteur d’homme, et comme dans cette déchéance humaine et toutes ces décombres le pardon est la seule chose qu’il reste il nous arrive comme un grâce, il éclaire le monde. En nous plongeant dans la crasse et la boue ce type réussit le miracle d’illuminer le monde, ce salut qu’il n’accorde qu’aux siens se transforme en salut universel grâce à cet autre miracle qu’est le livre.

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  45. Car je suis supposé, si je vous comprends bien être insensible aux problèmes de mœurs de la « Casta meretrix » romaine, et être aux ordres de ce cretin tiare qui , usurpant le prénom du Poverello ose se prénommer François, canoniser Paul VI, et raccoler tous azimuts?! Vous êtes loin du compte.

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  46. Parenthèse: en parcourant le très beau catalogue Nerval d’Eric Buffetaud dressé pour la BHVP quand elle avait les moyens de ses ambitions, on remarque que Stendhal a Rome et Nerval à Vienne ont eu le même supérieur, le Comte Louis Lefebvre Beaupoil de St Aulaire. On se souvient de l’épi gramme qui courait sur les prétentions poétiques du monsieur, ou de son père, coupable d’un poème sur le Génie: « Quelle effroyable calomnie. Je n’en crois rien en vérité ! St Lambert, peindre le Génie? C’est l’hiver qui peindrait l’été…. »

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  47. Il n’est pas déplacé, ce terme, ce n’est pas moi, c’est Hugo qui l’emploie: «  oh quel rêve affreux je viens de faire ! ». Et c’est le dernier vers de ce kouglof anti-papal, ni pièce, ni pamphlet, mais un peu tout cela. Maintenant, Hugo a peut-être « un esprit lamentable »…,😁

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  48. Alors qu’il rédigeait plusieurs chapitres de « l’idiot » avec d’infinies difficultés (il suffit de voir le nombre des innombrables plans et notes établis, défaits ,refaits ,modifiés ou complètement chamboulés, pendant son séjour à Genève) Dostoïevski se ruait chaque matin sur les journaux russes pages faits divers avec l certitude que la vie du peuple russe était plus haute, plus noble, et empreint d’une plus haute spiritualité que cette foutue Europe de l’occident, avec ces libéraux qu’il avait défendu jeune et qu’il détestait désormais… C’était un peu sa scie dans ses lettres, ce Messianisme russe…..On sait qu’il’ il s’inspira du procès d’un marchand de Moscou Mazourine, qui assassina un bijoutier pour composer le personnage de Rogojine .
    Pour Nastassia Filipovna il s’inspira d’Olga Oumetskaïa qui avait mis le feu à la maison familiale après avoir subi la tyrannie de son père.. On mesure bien sa capacité d’enrichir, d’imaginer était hors du commun, à partir d’un article, d’un simple fait divers, pour créer des personnages aussi authentiques, profonds, complexes et tragiques… Ce qui intrigue aussi c’est que Dostoïevski avait noté dans ses carnets qu’un criminel qui avait égorgé un domestique pour lui prendre sa montre, avait prononcé une prière du genre « pardonne moi au nom du Christ ».
    Selon le journal de sa femme Anna, Dostoïevski collectionnait ce genre de fait divers pour pointer la religiosité si instinctive et si admirable du peuple russe, au sein même des circonstances les plus atroces. Autre élément intéressant qui se constate sans cesse dans ses romans -ce qui rend parfois la lecture difficile- c’est qu’il se moque de la vraisemblance. Il privilégie toujours les faits vrais des journaux, car pour lui cette réalité prise dans les journaux éclaire des pans entiers sur la vérité profonde de l’âme russe.

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  49. Avec toutes les révélations dont on nous abreuve jour après jour, j’ai le sentiment que les souverains pontifes, de papes sont en train de devenir absolument « affreux » tout court. (et encore le terme est déplacé et là pour faire de l’esprit lamentable, sur votre post monsieur Court)
    Cette actualité m’affecte et me répugne. Catholique, je serai très révoltée et effondrée …

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  50. Oui, Mychkine est christique, il n’est pas le Christ. Enfin aucun héros ne peut l’être sauf le Christ lui-même, et encore..,Dostoievski s’inscrit dans cette béance là. Il accepte aussi une relative « science du salut » comme on disait au dix-septième siècle, d’où la mobilisation des sermons philo-orthodoxes et de tout le bataclan de la Sainte Russie, mais à y regarder de près, c’est un garde-fou, de meme que les tartines anti nihilistes, le nihilisme étant compris comme une déclaration de guerre à la Troisième Rome, Moscou et son empire. Dernière chose, je crois que le concept de résilience tire moins son origine des winners que de Chesterton parlant d’un « monde composé d’idées chrétiennes devenues folles ». Ce n’est pas tout à fait la même chose. Une version abâtardie du pardon des offenses comme Mychkine est une version abâtardie, inefficace, du Christ. Déjà Christ et Prince s’opposent terme à terme , on ne peut être à la fois l’un et l’autre. Et c’est peut être dans ce grinçant double-jeu qu’il faut chercher la raison de son échec, ( l’idée d’un Christ en échec se retrouve dans un apocryphe poétique prête à Hugo , mais qui n’est pas de lui, « Le Christ au Vatican », médiocre poème, qui montre que l’idée est dans l’air…De même un Pape Christique comme décrit cette fois par Hugo in Le Pape ( posthume, mais écrit en exil et peut-être en réponse à ce Christ au Vatican) ne peut être , du point de vue du titulaire de la charge, qu’ un « rêve affreux » Bien à vous. MC

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  51. Quant au Prince Mychkine double du Christ : pourquoi non ? mais le Christ à voir comme homme, pas dieu.
    comme homme ET personnage romanesque.
    avec son regard sur les autres et le monde – qui vaut ce qu’il vaut.
    tentant de tracer un mince sentier de bonté. possiblement amoureux (pas « désirant »), et de plusieurs femmes encore voire d’hommes (néanmoins mes souvenirs sont détériorés mais n’y a -t-il pas une scène déterminante mais troublante où il dort aux côté d’un homme, lui insuffle des paroles pratiquement en bouche à bouche ? le tient).
    avec toutes erreurs, ses tensions et ses contradictions.

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  52. @Puck
    Pour ces commentaires : merci.

     » c’est un livre sur une résilience impossible. Ce que je crois, bien qu’on parle beaucoup de « résilience » je pense que ce mot est une vue de l’esprit accouché par un monde libéral voulant produire des winners. Il y a des traumatismes inrésiliables (ça se dit ?). »
    Ceci est exprimé avec des mots de notre époque mais je partage ce point de vue.
    Je ne peux le garantir totalement (n’étant pas elle, n’étant pas dans son corps, dans sa tête), mais depuis quelques temps, je parviens à la conclusion que c’est ce que Christine Angot nous écrit, crie, balance à la face, à propos de l’inceste et du viol, de livre en livre …

    Pour en revenir à l’Idiot, (et ceci est dû a ce qu’elle a subi et enduré et pas seulement à des caprices ou des lubies) il y a chez Nastassia Philipovna, je ne sais comment dire exactement, une tension permanente fortement contradictoire très dostoïevskienne.
    Plus précisément un très torturant, très douloureux et parfois quasi incontrôlable écartèlement de conscience et de comportement, qui la font sans cesse basculer d’un côté et de l’autre, et donc la pousse tantôt vers un homme tantôt vers un autre, en fonction de ce qui se passe en elle, hors d’elle, de ses pulsions, besoins conscients ou inconscients.

    Rachkolnikov vit cela. Sonia aussi parfois quoique différemment.
    Certains Karamazov.
    parce que propulsé dans des situations extrêmes (mort, viol, crime, forme de folie, nerfs totalement détraqués) et on ne le serait à moins …

    Dostoïevsky n’a pas son pareil pour nous donner à voir ces moments de crise, émotionnellement très intenses pour ne pas dire insoutenables.

    C’est pourquoi, je pense, il est parfois très difficile de le lire ou de le relire.
    Encore plus de le relire, peut-être … car on sait quels chemins l’auteur peut nous faire emprunter …
    Certainement une forme de lâcheté ? de protection de soi ? d’égoïsme ? d’égotisme ?
    En tant que lectrice, je sais que je ne suis pas forcément dans les dispositions pour …
    Pas prête à concevoir, recevoir, à accepter cela, à encaisser droit dans les yeux et dans mes bottes (car cela va m’irriter, mettre en marche mes pensées vers des sujets ou des souvenirs ou je ne sais quoi auxquels je ne veux pas me confronter, qui vont me meurtrir ou carrément me mettre à terre) : l’état de profond, insensé, inconnu de nous désespoir ou souffrance dans lequel une épreuve à caractère paroxystique peut nous plonger, nous, êtres humains.

    Car … derrière, il y a un accablant doute : où est la consolation ? qui peut la donner ? où la puiser ?

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  53. bonjour Paul Edel, merci pour votre réponse.
    Tolstoï disait ne pas aimer Shakespeare parce que ses personnages n’existaient pas dans la vraie vie, on ne pouvait pas croiser une personne qui parle ou agit comme eux. Par contre Dostoïevski adorait Shakespeare. On a là deux attitudes de lecteurs totalement opposées face à un auteur et ses personnages, liées sans doute à des sensibilités différentes.
    Dostoïevski est semblable à Shakespeare : ses personnages n’existent pas dans la vraie vie, au moins ceux de ses romans longs. Dans ses romans longs, au fil des pages, ses personnages entrent dans une complexité et des contradictions qui les rendent invraisemblables, c’est probablement ce qui donne de la puissance à ses romans : ses personnages deviennent allégoriques, symboliques, paraboliques (ça se dit ?), alors qu’au départ il peut partir d’un fait divers dans un journal. Dostoïevski n’est pas du côté des naturalistes à la Zola, ou un réaliste comme Stendhal ou Flaubert, il me semble que partir de cette idée ne peut qu’apporter de la confusion et faire des contresens. Jeter des billets dans la cheminée, ou ce gamin dont j’oublie le nom qui est malade, sait qu’il n’en n’a pas pour longtemps, veut se suicider, mais loupe son suicide parce qu’il a mal armé son pistolet, les autres se rient de lui, ils se moquent, le Prince par contre veut lui apporter sa compassion et le gamin le rejette en disant qu’il préfère la cruauté des autres, cette façon de dire que la méchanceté peut apporter un réconfort mieux que la bonté parce que la méchanceté et la cruauté sont du côté de la vie, là encore cette allégorie ne vise pas seulement le Prince, mais aussi la religion et la figure du Christ. Je ne crois qu’il pensait à tout ça quand il écrivait, en ce sens il fait penser à Bach qui écrivait ses Passions dans son internat, il me semble que dans l’art, pour atteindre le plus haut il ne faut pas avoir l’intention de la faire : Dostoïevski (comme Bach) était persuadé que son oeuvre ne lui survivrait pas, parce qu’à ses yeux cela ne valait pas un kopeck, à aucun moment il avait conscience de ce qu’il faisait. Cela fait penser à la lettre de Céline envoyée à son éditeur que vous avez copiée. Désolé d’avoir fait long.

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  54. si vous me le permettez j’aimerais svp ajouter une chose, en ce moment avec la sortie du dernier Houellebecq c’est amusant mais quand les gens palrent de cet auteur un mot arrive très vite c’est le mot « lucidité ». Ceux qui le constatent montrent ainsi qu’ils sont eux-mêmes assez lucides pour percevoir cette lucidité chez l’autre, c’est comme quand on dit : j’aime cet auteur parce qu’il est intelligent, c’est une façon de dire qu’on est soi-même intelligent., du coup les auteurs qu’on aime sont surtout des faire valoir, on passe par eux pour dire aux autres qu’on est lucide, intelligent, ou sensible à la beauté ou à la misère humaine etc…
    Avec Dostoïevski ça ne marche pas, ce qui donne la puissance à ses livres ce n’est ni la lucidité ni l’intelligence, mais le fait qu’il ne donne jamais de réponse aux questions qu’il pose, ses propositions sont toujours aporétiques et souvent désespérantes (ex : un homme bon ne génère pas de bonté) il plonge le lecteur dans le doute et le mystère et la désespérance, et pourtant pour moi c’est un auteur incroyablement lumineux, le seul qui me rende optimiste, comme s’il fallait supprimer toutes les raisons d’espérer pour trouver une lueur d’espoir. Là on retrouve son expérience du bagne, son livre sur le bagne ne dit rien d’autre : quand il ne reste plus rien c’est là qu’on trouve la véritable raison de croire en l’homme ! Pour Dieu c’est pareil : il faut faire l’expérience d’un réel qui ne nous donne plus aucune raison de croire en Dieu (ce qu’il fait dans tous ses livres) pour trouver la raison d’y croire, il y a quelque chose de très pascalien chez Dostoïevski.
    désolé Paul Edel promis c’est mon dernier !

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  55. Ah ´Van WordenPierre Pascal , tout de même responsable du Dostoievski Pléiade de l’époque, et qui comprenait le russe, mais choisit le mauvais camp entre 1940 et 1945. Sa reconversion de la poésie façon Maurras à la traduction est la meilleure chose qui a pu lui arriver. Autrement, il serait resté à tout jamais dans les débris de cette École Romane, parmi les La Taillefer et autres Maurice du Plessis, rimant de manière simili renaissante des odes aussi authentiques que des buffets Henri II….

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  56. Vraiment Puck votre intervention est excellente. Ce qui me frappe et m’interroge c’est que Mychkine déçoit Aglaïa, si intéressante… Toute la relation du prince avec Aglaïa repose sur un malentendu. Elle identifie le prince Mychkine avec « le chevalier pauvre » du poème de Pouchkine (belle séquence). C’est une erreur. Mychkine est bien loin des exploits chevaleresques et guerriers, et c’est incompréhensible pour cette fille idéaliste de général, au caractère si combattif. De plus, elle voit bien que le prince avec son infinie pitié ne combat même pas les jeunes nihilistes, auxquels il est confronté. Il ne répond quasiment rien, reste passif. Immense déception pour elle.
    Elle découvre aussi que l’amour du prince pour Nastassia , dans son infinie bonté, flanque par terre son désir de possession de l’homme qu’elle aime, donc tout est joué. Le « en même temps » entre ces deux amours, ces deux femmes, va mener à la catastrophe.
    Il y a quelque chose d’insoluble entre le divin et l’humain nous dit Dostoïevski. Entre l’amour charnel et l’amour spirituel, il y a une béance irrationnelle que personne ne comprend autour du prince. Et le prince Mychkine ne peut pas être compris par aucune des deux femmes. L’obligation universelle de compassion du prince avec ces 2 femmes aboutit à un malentendu tragique.
    Enfin pour vous taquiner, je vous rappelle qu’à la toute fin du roman, le prince découvre dans une pièce où a vécu Nastassia Philipovna un exemplaire de « madame Bovary », histoire d’un autre suicide. Bonne soirée.

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  57. Sur les vieux croyants, le gigantesque, prodigieux, sans fin comme la forêt outre-Volga, « Dans les Forêts », justement, de Melnikov-Petcherski, si toutefois vous arrivez à vous le procurer en occase à un prix raisonnable, ce qui paraît hélas, difficile, car je crois que l’édition Gallimard de 1957 reste la seule (avec un superbe jaquette sans signature apparemment. (traduction Sylvie Luneau dédiée à Pierre Pascal.

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  58. bonjour Paul Edel, merci pour votre lecture. C’est marrant comme chaque lecteur peut avoir sa « vision » personnelle d’un roman. D’ailleurs un même lecteur peut lui aussi avoir plusieurs visions de livre, je l’ai relu plusieurs fois et à chaque fois ma vision changeait, pour finir je pense que le personnage central de ce roman c’est Nastassia. Cette femme n’est pas seulement « déchue » comme vous le dites, elle a été abusée quand elle était enfant par un type en qui elle avait confiance, ce roman raconte l’histoire de cet inceste, et la façon dont ce traumatisme perturbe tous les repères et les valeurs, rend incapable d’aller vers ce qui est bon pour soi, c’est un livre sur une résilience impossible. Ce que je crois, bien qu’on parle beaucoup de « résilience » je pense que ce mot est une vue de l’esprit accouché par un monde libéral voulant produire des winners. Il y a des traumatismes inrésiliables (ça se dit ?).
    La chose importante que vous avez écrite, me semble-t-il, c’est qu’un homme bon ne produit jamais du bon, c’est une idée importante, là encore qui va à contresens de notre pensée moderne. En tout cas cette bonté naturelle et absolue du Prince aurait pu être la seule chose susceptible de soignée, voire guérir cette femme, mais cela ne marche pas comme ça dans le vrai monde, ce serait trop facile. On a souvent fait l’analogie entre le Christ et le Prince, si analogie il y a elle est à ce niveau : la bonté du Christ n’aura jamais été capable de guérir le monde de ses tourments et ses traumatismes, comme celle du Prince c’est une bonté inutile. Pourquoi est-elle inutile ? Parce que les hommes, nous dit Dostoïevski, sont incapables de la voir, de la comprendre ,de l’incarner : c’est une redite de la parabole de l’Inquisiteur des Frères Karamazov.
    Tout Dostoïevski tourne autour de cette équation : il ne s’agit pas chez lui d’opposer le bien et le mal, mais de constater que ces valeurs ne communiquent jamais, elles vivent en vase clos. Pourquoi ? du fait d’une incapacité humaine, de cette fatalité qui le rend impuissant à faire siennes ces entités/valeurs morales qui ne peuvent que subies mais jamais le fruit d’une volonté, ce qui contredit toutes les théories nietzschéennes à moins de voir en Nietzsche celui qui a le plus souffert de cet abandon de Dieu (son Dieu est mort est plus un cri de détresse que de joie).
    C’est vrai que Dostoïevski détestait l’occident libéral, il disait que c’était un tissus de fables et de mensonges visant à endormir les hommes, mais là encore comment lui donner tort ?

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  59. Cela dit, aucun de nous ne lit je crois le russe, ce qui devrait peut-être tempérer la severite des jugements sur les sermons. Le Père Hugo en fait passer beaucoup par le sens de la langue. Et c’est plus que lisible si ce n’est convaincant . Noureev mourant choisit de relire les Karamazov dans le texte…Sortie de la biographie de Bernanos par François Langelier. A laquelle il faudra s’atteler…

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  60. OK – Je vais chercher « Les deux sacrements ». merci.

    @tous : si pas lu, je conseille fortement « La grimace » de Böll. Pour moi, quoique l’écriture soit différente, ce roman annonce Thomas Bernhardt …

    @elena : suite à notre court échange sur le sujet, je vais relire Bartleby.

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  61. Margotte, comment vous dire avec le plus un grand sérieux que j’ai tellement été frappé par ce roman » la grimace » de Böll, d’une ironie amère sur la bourgeoisie Adenauer, que lorsque je suis arrivé à Bonn, fin années 70 j’ai vérifié que la description de la gare et son dallage , que j’avais sous les yeux, correspondaientt avec le début du roman quand le clown, -qui ne fait plus rire ni les adultes ni les enfants- débarque lessivé par son échec d’homme de spectacle . L’échec sentimental avec Marie le fait plonger dans l’alcool. A l’époque je pensais que ce clown mélancolique , largué par la Marie qu’il aime, était la figure capitale et réconfortante de l’écrivain-conscience lucide d’après-guerre. Précisons que le frère de Böll fut lui un ardent nazi alors que ses parents étaient des catholiques rhénans vendeurs de Bible. J’ai déjà longuement écrit sur Böll dans mon ancien blog. Mon roman préféré de lui, c’est »Les deux sacrements »(1960). D’un ton encore plus tranchant dans l’ironie pour refaire la chronique d’une famille les Fähmel sur trois générations, à Cologne (ville où Böll et sa famille ont toujours vécu). Imaginez l’humour même de l’intrigue si subtilement agencée : Trois générations d’une famille allemande d’architectes, ces Fähmel. Le vieux Fähmel, le grand-père, édifia comme architecte l’abbaye Saint-Antoine. Son fils Robert pendant la guerre, est amené à la faire sauter, sur l’ordre d’un général fou, et son petit-fils Joseph, se donne pour tâche de reconstruire l’abbaye.
    Tous les matins, à neuf heures et demie, Robert se rend donc à l’Hôtel du Prince Henri pour sa partie de billard. (D’où le titre allemand, étant « billard à 9h30 » « Billard um Halb Zehn » )

    Là, pendant deux heures, il raconte au jeune Hugo, le liftier de l’hôtel, ses souvenirs, mêlés à ceux des autres membres de sa famille. Un récit qui se place fin des années cinquante et qui revient au travers des pensées des différents membres de la famille, sur cinquante ans d’histoire. Que sont ces deux sacrements du titre francais? La guerre et la société allemande ont divisé la société entre ceux qui ont gouté au « sacrement du buffle » (les nazis) et ceux qui ont gouté au « sacrement de l’agneau »,les cathos de gauche, les pacifistes, divers oppositions et résistances etc. Böll a toujours dit que l’écrivain qui l’avait le plus marqué était le catholique Bernanos.

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  62. Peut-être que Dostoievski est trop lucide sur lui-même pour construire un saint. Peut-être que pèse aussi le précédent des Âmes Mortes, autre ratage d’envergure. Le mythe Vieux Croyant, lui, pèse sur toute l’epoque, réactivé par les efforts d’industrialisation du pays. Ce n’est pas un hasard si un autre chantre de la Russie éternelle réalise après Boris une Khovantchina. Peut-être aussi que ces sermons sont le prix exigé pour pouvoir (re) paraître. Il est exact que la pire imitation des romantiques français ( Balzac quand il joue à Sue, et Hugo quand il pontifie) n’a pas dû arranger les choses. On s’explique que la France de Napoléon III ait raté le Fedor D au profit du Tourgueniev, si intégré , dans la société du temps, si prompt à rendre service à ses amis français avec son Messager de l’Europe, si russoparisien avec le ménage Viardot…Pour autant, je ne suis pas sûr de préférer le Joueur.

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  63. Plus ça va et plus je me dis que les périodes qui pour moi ont été en harmonie avec la lecture des romans de Dostoïevski ont été l’adolescence et le commencement de ma vie adulte.

    On sait alors ce que peuvent être les changements brusques d’humeur, les revirement soudains et absurdes de situations et de comportements, les effets excessifs de l’alcool, les très hauts et très bas de l’amour ; les peurs de l’amour ; amour platonique / amour physique ; vitesse / calme / attente (something’s coming ?) / apathie ; on recherche des moments d’exaltation, des formes d’excitation ; soif, avidité ; on s’accommode de l’hystérie ; on peut être tenté par la religion ou bien la rejeter en bloc (pour toujours ou temporairement) ; nerfs à fleur de peau et totalement en vrac etc …

    J’avoue qu’une relecture plus tardive de « Crime et châtiment », pour exemple, m’a semblé interminable, passablement énervante, en dépit de moments incroyables de grâce … (ô Sonia !)

    J’ignore si je serai capable encore de relire l’Idiot en intégralité (pour lequel j’ai pourtant une réelle affection puisqu’il s’agit du tout premier roman de Dostoïevsky que j’aie lu, dans la fièvre de trois nuits d’été dans la merveilleuse et maintenant perdue maison de mes grands-parents – – un souvenir qui m’est cher)

    … Paul, en ce moment, je lis « La grimace » d’Heinrich Böll (et j’y trouve ce que Houellebecq justement ne me donne pas). Tu aimes ce livre ?

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