Ostia Antica

Ostia

Le train s’arrêta à Ostia Antica. Quai désert, matinée morne, quelques oisillons sautillaient sur un vieux banc aux lattes dévissées. Je pris une passerelle de fer rouillé qui enjambait une route déserte Il y avait comme un miroitement aquatique aperçu un instant derrière quelques saules.

Je marchais le long de pavillons délabrés, avec dans les jardins, des sièges d’auto à l’abandon, des pneus entassés contre un mur de torchis, le scintillement des feuilles, détritus pourrissants.

Vers l’entrée du site archéologique qui ressemblait à l’entrée d’un stade à l’abandon quelques autocars poussiéreux immatriculés en Pologne ou en Slovaquie .

Je pris un ticket. Les allées couvertes de larges dalles étaient bordées de touffes d’herbe vent qui sentait la mer. Dans ce paysage aplati net comme évacué après une fin du monde, la fine glaçure d’une mosaïque avec des gladiateurs décolorés ou des poissons dans un filet. à coté affleurent des murs de briquettes cuites par le vent ,le sentiment d’avancer à la pointe de la dernière terre ferme.

C’était un de ces endroits désolés qui apportent avec l’air froid des bouffés d’exaltation subite : être le dernier homme, planète débarrassée des conflits, extinction définitive des chamailleries et piailleries humaines, le ciel blanc sans nuages laisse voir derrière des excavations herbeuses la mer réduite à un trait, calme derrière une clôture de haut grillage . On sent l’éloignement, le murmure du vent, le repos de dalles qui sont les tombes légères, belles d’ une aubaine ou d’une promesse.. des insectes cachés dans les verdures proposent de nouvelles règles de vie, un sentier avec ses odeurs sauvages de thym.

Puis, en marchant désolation, poussière, dessèchement, quelque chose d’ensablé dans le temps, de figé, saisit quand on arrive devant une sorte de grève d’échouage : vide, silence, creux, distillation froide de l’air sous la pinède. Un grillage encercle ce pays d’exil que borde une mer quasi vitrifiée sous une lumière basse .

Le mince trait neigeux d’un avion partage le ciel en deux,impression d’être doucement en dérive hors du monde.

L’arène, ou l’espèce d’amphithéâtre , semble retapé de la veille, c’ est un bassin de pierres effritées, avec des ronces, des racines, une large flaque d’eau trouble tremble sur un fragment de mosaïque.. Des boites de bière aplatie traînent sur des murets.

Au loin la haute voix claire et monotone -comme si la distance n’existait plus- d’un guide entouré d’un groupe de lycéennes. Allées cernées de choses tristes, cimetière fade d’une ville portuaire morte. Ce qui s’éparpille et se perd dans cette terre plate , un endroit perdu, dépeuplé après un cataclysme et sa mer retirée qui miroite d’un gris de plomb , un endroit de montées orageuse, de bruine interminables, d’hiver évanoui , de marécage et d’eaux mortes, d’alluvions , d écoute triste. quelques pavillons isolés aux volets clos brodent ce paysage évacué qui vous transforme en ombre .et curieusement, un bâtiment moderne jette des luisances d’acier et de grandes baies :la cafeteria..

Imaginez une cour dallée avec quelques tables et chaises de plastique empilées, qui gardent un peu de l’eau d’une averse récente. Deux bâtiments plats, anonymes, vitrés, style cafeteria, barrent l’horizon. Contre une porte coulissante , deux tourniquets supportent des cartes postales qui vibrent sous les rafales de vent. Le ciel se nacre et s’élargit. Je commande un café ristretto ,une manière de me souvenir d’autres cafés pris vingt ans auparavant sous un tel ciel gris avec une amie disparue .C’est étrange comme cet endroit un peu morne, désert , de paix, de silence, saisi dans l’eau pâle d’un estuaire , avec ses pins romains sombres découpés à l’horizon, m’immerge dans un fragment onirique de ma vie qui m’était jusqu’alors inconnu.

Je mets pas mal de temps à choisir deux cartes postales. Sur l’une, qui n’est qu’un paysage plat de la campagne romaine, j’ écris à Constance, restée à Nevers, que je l’aime encore , et sur l’autre qui représente Calliope dans une tunique blanchâtre  aux plis fins , je n’écris rien car je ne sais pas à qui l’envoyer. Quelques gouttes de pluie tachent mes cartes postales et noircissent la tôle de la table. Je me lève, ramasse ma veste ,mon portable, mon briquet, et rentre à Rome la populeuse, la fiévreuse, avec ses flambées de carrosseries neuves le long des quais du Tibre.

3 réflexions sur “Ostia Antica

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    Merci pour le vieux chanoine Osty, mais on reste un brin pantois sur ce coup là…

    Coi, en somme… Bàv, PE.

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