J’entre dans une étroite librairie de Rome, avec un entresol, partout sur les dalles des piles de Camilleri, d’Elena Ferrante. Après avoir descendu quelques marches vers les voutes d’une cave accessible par une étroite porte vitrée à laquelle est accrochée une clochette de jardin(qui me fait penser à celle de la maison de Tante Léonie )je traverse une seconde salle voutée et je découvre les classiques : Verga, Morselli, Manzoni, Dante, Carlo Levi, Tondelli, Pratolini, Pavese, Pontiggia, Pasolini, ou Calvino. Volumes serrés sur les étagères dans de jolies reliures. Je trouve derrière un poêle à bois, des rayons de livres religieux, tous d’occasion, écornés, parfois anciens .En les manipulant on respire cette odeur de vieux papier épais, avec des taches brunes, aussi grisante que l’odeur de poussière d’un grenier à la campagne.
Enfin je pensais à ça en prenant debout un café ristretto en fin de matinée, via Giovanni Lancisi, dans un petit bar avec son serveur à veste blanche mal boutonnée qui circule devant des rayons de bouteilles d’apéritifs avec belles étiquettes constellées de médailles dorées. L’une d’elles est ornée de profil de chasseur avec un chapeau planté de longues plumes noires bleutées de coq de bruyère , caractéristique des Bersaglieri.

Je suis entouré, coincé, cerné par des infirmières de la policlinique proche ; elles piapiatent en train de s’échanger leurs lunettes de soleil en admirant les montures tout en buvant des minuscules cafés mousseux. Devant moi un granité de citron fond doucement dans la coupe en verre taillé et ça devient un amas de neige fondue transparente. Femmes entre elles, toutes t altières, joueuses, distraites, délivrées, les corps libres chantant sous les blouses. Je me dis que j’ai la chance d’être terrien.

Devant la porte j’attrape une chaise pour profiter du soleil qui joue dans les ombrages des platanes. La lumière du trottoir, fragile, oscillante tombe sur un vieux romain qui mâchonne et fume un cigarillo, à moitié assoupi sur son banc , un journal posé sur ses cuisses .La perspective de la rue me semble soudain posséder à la fois une splendeur panoramique dans les trouées des feuillages et résumer la limpidité minérale de cette matinée romaine. Une clarté un peu aquatique irrigue les silhouettes des infirmières dans le bar et je découvre que l’une d’elles déchausse son pied droit avec son pied gauche tout en tenant une conversation qui fascine ses collègues.. Ce détail me les rend toutes plaisantes, attirantes dans leur nonchalance pleines d’éclats, d’autant que l’une des jeunes femmes , en sortant du bar, glisse dans la fluidité lumineuse de la rue, ce qui met en évidence la courbe ambrée de son épaule et le velouté de sa peau. Ce début de matinée lui rend grâce..

Beau croquis, si j’ose dire, malgré ce qu’on peut lire ailleurs. C’est charpenté, coloré, avec ce qu’il faut de couleur locale, et l’on s’y croit. Merci.
MC
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