Jazzi, comme mon commentaire sur la place Saint Sulpice ne passe pas sur la RDL, voici, sur mon blog, ce que j’écrivais pour toi. Au cours de ses nombreuses ses promenades dans Paris, alors qu’il savait qu’il ne lui restait que peu de mois à vivre, donc dans ce « Dimanche m’attend »(1965) , Jacques Audiberti ,niçois fils de maçon, arpente la Rive gauche aussi bien que la Rive Droite. Il a les poches de son pardessus bourrées de carnets noircis de notes. Souvent il file vers la place Saint-Sulpice. Il aime cet endroit et précisément le tableau de Delacroix, perché dans l’église, ce Jacob qui lutte avec l’ange avec des mollets de footballeur. Il est placé pas loin de l’entrée. Mais il ne l’aime ce tableau que dans la pénombre. Les éclairages l’insupportent . Il écrit donc page 174 :

« En présence de Jacob et de son ange je griffonne.Deux jeunes godelureaux viennent d’entrer. Décidément on n’est jamais tranquille. Oh ! Ils touchent le mur à un mètre de moi.Désastre ! Aussitôt, en haut et à gauche de la fresque, juste à frôler les frondaisons bleu-vert des gros arbres du fond, des ampoules brillent. Sur le couple dansant-lutteur se répand une électricité qui, quoique assez douce, gâte notre triple intimité.
Les godelureaux partis, je m’emploie à remédier à cet éclairage intempestif. A mon tour, je presse sur le bouton.La lumière persiste.Même, je me risque à abaisser, près du confessionnal, une manette. Au lieu d’éteindre, j’amorce une nouvelle lampe(..) Miracle ! La minuterie, d’elle-même, consent que retourne la douce pénombre. Jacob et l’Ange, après s’être, ironiques, penchés sur mon désarroi, reprennent leur pose.

Le froid me gagne. L’église se vide . Dehors la pluie lustre la place. «
Tout est à lire dans ce « Dimanche m’attend. Un de mes rares livres de chevet avec Stendhal. Je regrette que la plupart des œuvres d’Audiberti ne soient pas vraiment disponibles. Que fait Gallimard? Jacques Audiberti devrait être en pléiade depuis longtemps.
[…]Le voyage ne rend pas tant large que mondain, “au courant”, gobeur de l’intéressant coté, primé, avec le stupide air de faire partie d’un jury de prix de beauté. L’air débrouillard aussi. Ne vaut pas mieux. ».
Drillon et son père aussi ne voyagent pas.
Points de vue étriqués ; mais, son énergie alla ailleurs, vers ce qui l’animait.
Je ne cesse de songer aux valises et à les boucler. À passer de sept kilos dans le sac à dos à cinq. Comment, je ne sais. Pourquoi ? Pour la mobilité.
J’aimeJ’aime
La sincérité de l’impression n’était pas en cause, ni la possibilité d’une absence totale d’affinités entre un lecteur & une œuvre (un auteur, un univers), pas plus que le droit à une réflexion (ou un billet) d’humeur ; & puis je sais bien, tt de même, que la polémique carbure à l’exagération, au tendancieux (votre explication en fournit d’ailleurs l’exemple — c’est de bonne guerre & de mauvaise foi).
Mais à propos d’Ecuador, c’était l’axe d’attaque que je ne comprenais pas : hautain ? blasé ? À la rigueur, j’aurais pu m’attendre à ce qu’on hurle à la « fausse modestie » (quoique, à cette date, à ce stade de ce qui n’était pas encore une carrière…)
Donc retour au texte (par bribes, je n’ai pas eu le tps de tt relire) en me demandant où vs aviez pu voir ça, ce qui avait bien pu vs chiffonner. Son « ça fait “chiqué” » (à propos de l’allure d’amazones, des chapeaux, de l’air distant des femmes indiennes) ? Ou encore ceci (que j’avais oublié), qui ressemble à une pierre (par anticipation) ds le jardin de qqns :
« Maintenant ma conviction est faite. […] Le voyage ne rend pas tant large que mondain, “au courant”, gobeur de l’intéressant coté, primé, avec le stupide air de faire partie d’un jury de prix de beauté. L’air débrouillard aussi. Ne vaut pas mieux. »
Ns camperons probablement sur nos positions respectives, ce n’est pas grave.
On ne lit pas ds des conditions de laboratoire (il y a les circonstances, le péri- & le para-, l’effet repoussoir des louanges excessives, de la surenchère, des « cultes », etc.) ; l’essentiel à mes yeux reste entre soi & l’œuvre, mais aussi entre soi & soi, ds la pertinence & la lucidité d’un jugement POUR QUI LE FORMULE *. Je veux dire par là que le « réactif » est parfois mauvais conseiller, j’en parle en connaissance de cause & m’estime heureuse d’avoir pu revenir sur certains jugements initiaux (& à cette occasion identifier les mécanismes de rejet qui avaient joué — à mes dépens, car il y avait eu appauvrissement). Mais après tt, cela ne vaut peut-être que pour moi.
* n’y voyez pas un éloge du relativisme : je signale simplement que je ne prétends pas détenir une vérité/exactitude ni occuper une position de surplomb.
Mais aussi que c’est de tte façon peine perdue de répondre à ce qui est formulé sous forme pamphlétaire car on se retrouve nécessairement sur la défensive, devant un public trop heureux de voir « descendre » une gde figure/vache sacrée (& qui ne retiendra justement que les vacheries, à bonne distance des textes eux-mêmes, mais se croira « informé » & supérieur, ce qui le dispensera d’aller y voir par soi-même : on peut aussi être dupe de la volonté (ou la prétention ou l’obsession) de certains de ne pas être dupes.)
J’aimeJ’aime
Merci elena/nescio pour vos réflexions pointues , argumentées et intelligentes. Pour Abraxas de notre cher Audiberti, oui, je n’en ai pas parlé ,ni de son théâtre ni de la majeure partie de son œuvre poétique pleine de merveilles.., non pas mépris, mais Audiberti est un massif si énorme, une caverne d’Ali baba, une île au trésor, parfois avec une abondance Hugolienne, que j’y vais par tranches! et au fil de mes lectures.. Aucune recension complète à l’horizon. je reviendrai sur son théâtre.
En ce qui concerne Michaux, je suis sans douter injuste, mais la critique littéraire n’étant pas une science exacte, je me laisse emporter- avec plaisir- par ma subjectivité ou tout simplement à livrer mes sincères impressions de lecture devant cet écrivain au souffle court, aux phrases parcimonieuses et serties de préciosité syncopée. Donc, non, je n’entre pas dans ce système.
J’aimeJ’aime
Paul Edel, je ne sais pas si je serai constructive, n’ayant que des questions …
Vs qui aimez tant Audiberti, vs dont l’enthousiasme a été (par bonheur !) contagieux, vs à qui je dois la découverte de ses romans, comment se fait-il que vs ne ns ayez jamais parlé d’Abraxas ? (Ici du moins, sauf erreur de ma part.) Pas vraiment « truffaldien », certes, mais quelle merveille…
Sur d’autres sujets (pardon de tt regrouper, c’est que je les ai découverts en même tps) :
— Draps : un sujet d’étonnement (au ras des pâquerettes) : votre texte semble privilégier la continuité, là où je vois pour ma part des ruptures, des changements — blanc (ou bis) vs. couleurs (& motifs) ; draps & traversin vs. couette & son « enveloppe », sa housse. Pas partout, je le sais ; autre « bocal du passé » ou licence poétique ?
Ce qui ne serait pas gd’ch, par rapport à l’essentiel — ces draps tendus entre l’amour (l’origine) & la mort en passant par les souvenirs d’enfance du linge à sécher sur le fil. Ne manque que le jeu (hautement proustien) avec l’écrit, l’écriture & l’écrivain, celui que facilite l’anglais « sheet » (drap & feuille de papier). Tt le monde n’écrit pas au lit, & il n’est sans doute pas indispensable de s’être (longtemps) couché de bonne heure pour ensuite « coucher sur le papier ». En tt cas le rapport caché (intime)/montré (qui ne se réduit évidemment pas aux règlements de compte sous couvert d’autofiction) était abordé ds votre texte (même si le passage en machine effaçait, neutralisait).
Finalement
Je parle de choses vécues
Par moi bien sûr par vous peut-être
Aussi mais vous n’aurez pas cru
Devoir les mettre à la fenêtre
Afin qu’elles sèchent au gré
Comme le linge bien lavé
De toute la malpropreté
De nos subjectivités rances
Qui s’envoleront
— Enfin, vu ailleurs : il faudrait m’expliquer où vs voyez le « ton blasé hautain » que vs attribuez à Michaux ds Ecuador. (C’est une vraie question, née d’un vrai étonnement — parce que j’ai l’impression que ns n’avons pas lu le même livre.)
Qt à Connaissance par les gouffres, n’est-ce pas inverser les rôles que de parler d’un Michaux/Mabuse en blouse blanche ds « sa » clinique alors qu’il n’est que sujet , certes volontaire, de l’expérience — sulla propria pelle. L’exploration sensible (à travers les sensations) de la proximité avec la maladie mentale ou la réflexion sur la soumission médicamenteuse ne me paraissent pas sans intérêt. Est-ce « se pâmer » que de faire la distinction entre le thème (l’objet) d’un texte (notamment qd on l’estime a priori repoussant &/ou/parce que rebattu, trop à la mode à une certaine époque) & le texte lui-même ?
Par ailleurs, & plus largement (y compris pour moi vis-à-vis d’autres auteurs), je me demande parfois si des réactions supposément littéraires (& que l’on s’efforce de justifier comme telles) ne s’apparentent pas davantage à des antipathies/répulsions/intolérances (également au sens d' »allergies ») à certaines idiosyncrasies.
J’aimeJ’aime
Voilà déjà un dialogue constructif qui nous change de la stérilité des interventions habituelles. Merci bien pour cet échange !…
J’aimeJ’aime
Vous avez raison; j’ai proposé à Gallimard, en son temps, un sommaire de Quarto (avec uniquement des œuvres de chez eux), dont je n’ai pas eu réponse…
J’aimeJ’aime
Gallimard, monsieur Fournier, s’est- il demandé s’il était sûr des ventes en traduisant et publiant en Pléiade « Le théâtre de l’Inde ancienne » ou un recueil de nouvelles en sanskrit de Somadeva? Visiblement non.
Ayant fait une enquête sur les choix de la pléiade quand je travaillais au journal « Le point », j’ai compris que le problème était souvent que pour tel ou tel auteur, on ne trouvait pas l’universitaire capable de travailler plusieurs années sur les notes et commentaires pour une somme bien sûr dérisoire. Gallimard pourrait quand même publier la plupart des œuvres en prose de Jacques Audiberti dans la collection Quarto. Ce serait un minimum…
C’est François Truffaut qui avait attiré mon attention sur Audiberti quand j’étais étudiant en lettres, en parlant de « Marie Dubois »
J’aimeJ’aime
Cher Monsieur
Je suis heureux de votre discours sur Audiberti. La Pléiade? Certes, mais c’est un très gros travail et Gallimard répond qu’il n’est pas sûr des ventes…
Bernard Fournier (Président des Amis d’Audiberti)
J’aimeJ’aime
Dimanche m’attend est passé avec deux recueils de poèmes à Drouot il y a trois semaines. Exemplaire de critique avec envoi de l’ Auteur.prix affiché comme assez élevé, mais il y a pu il y avoir une différence le jour de la vente. Très beau texte. Le lendemain , je partais vers la Bretagne.
J’aimeAimé par 1 personne