C’est l’automne. La plage des Corbières est devenue déserte. Les voiliers se balancent ,vides.
La mer est calme, lisse, elle endort. L’eau est un sommeil, les vagues monotones et régulières s’étalent là où des baigneurs jouaient avec leurs enfants. On a enlevé le préfabriqué qui abritait les maitres-nageurs. Le bar en rotonde a rangé ses parasols dans un appentis , posé des panneaux de bois devant ses ouvertures, en prévision des marées à gros coefficient .
L’eau brille par moments, c’est tout. Le sommeil des vagues grises sur les plages désertes est sans commencement ni fin .Quelques pécheurs bottés retournent à la bèche des endroits vaseux pour récupérer des vers. Un homme en ciré et bonnet marin marche en balayant le sable avec un détecteur de métaux. Points brillants sur le ciment de digue : ce sont les éclats de verre des bouteilles de bières fracassées par quelques jeunes fêtards du vendredi soir. Alignement de volets désormais clos des villas, mélancolie des outils de jardinage bien rangés. Il n’y a pratiquement plus de goélands et mouettes qui tourbillonnent et piaillent dans le ciel , la grippe aviaire a frappé en trois semaines et les poubelles ne sont plus renversées par les oiseaux. Quelques cormorans déploient leurs plumes noires sur les balises.

La fenêtre de ma cuisine surplombe une impasse goudronnée. Avec les premières pluies stagnent d’immenses flaques d’eau frissonnantes qui forment miroir pour les nuages. La grosse femme gaie qui chantonne pour venir prendre son courrier à onze heures a remis son châle. Hier matin les brouillards ont escamoté les marronniers du parc voisin et rendent fantomatiques les murets des courettes. La nuit, quelques rafales balancent les paquets de fils électriques.. Un bâtiment de moellons au toit de zinc ferme l’allée. On y installe un échafaudage. Une famille avec quatre enfants a déménagé. Local vide. Plus de cris dans la ruelle, jeux de marelle effacés.
Deux maisons de granit bordent le côté gauche de cette ruelle. L’une, haute, massive offre de mon côté un haut mur aveugle de pierres aux tons rouille avec des coulures de suie. Quand le soleil frappe entre onze heures et midi cette muraille s’éclaire de marrons sableux avec des nuances de terre cuite, de laque rouge , ou de brillances bleu céramique que l’on trouve dans certains tableaux de Paul Klee.
Je vais prendre mon café à la terrasse de l’Hortensia, sur le quai Solidor. Ciel bleu net, voiliers qui s’inclinent, dont un bleu et blanc qui brille, long , effilé. Vent frais, papier du sucre qui s’envole.
J’ouvre Libé et lis un beau papier de Philippe Lançon sur l’expo Edvard Munch, à Paris, et je lis : » Chez Munch, la chevelure(féminine) est un attribut sexuel de l’angoisse. Elle serpente autour de sa proie comme les algues autour de la Dame du Lac. » Les algues ? Ici elles parsèment la route car les marées actuelles sont de coefficient 100.

Le café tiédit. La mousse qui tournait dans la tasse a disparu. La fin de l’article de Lançon qui parle de Proust déçoit un peu. A deux tables de la mienne une jeune fille rousse étroite avec un pull-over rose tient sa tasse à la hauteur de ses lèvres et souffle délicatement, tandis que son voisin, au visage buriné, hâlé, cheveux gris coupés courts, pull marin avachi, pantalon vieux rose, penche la tête pour arriver à lire quelque chose sur son portable. Quand je referme le Libé de lourds nuages ont assombri l’estuaire, le paysage a changé : le voilier effilé a disparu, l’ étendue d’eau s’offre déserte, avec un triangle qui scintille. Le silence se creuse, vaguelettes à l’infini vers les villas de Dinard.

La guerre est revenue en Europe. Les cloches de l’Eglise Sainte-Croix commencent à sonner lourdement. Je me souviens d’un des derniers poèmes de Brecht. « Le premier regard par la fenêtre, le matin
Le vieux livre retrouvé
Des visages ardents
la neige, les saisons qui changent
Le journal
Le chien
La dialectique
Se doucher, nager
La musique ancienne
Des chaussures confortables
Comprendre
De la musique nouvelle
Écrire, planter
Voyager,
Chanter. »
Être amical »
Puisque nous sommes sur Saint Malo, je voulais vous signaler juste le Daniel Derveaux, St Malo de Bretagne, réédition 1966, et plus intéressantes, les gravures de Thiebaud formant Suite sur la Vieille Ville, mais j’ignore dans quel ouvrage.
Bien à vous.
MC
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Deux observations sur ce texte beau et apaisant.
– les villas aux volets clos font ressurgir dans mon esprit une lecture des préoccupations des bretons sur l’accumulation des résidences secondaires en sommeil dans cette belle région.
– Les chevelures inquiétantes de Munch, échos peut-être de la tignasse de la Méduse et des longs voiles rimbaldiens d’Ophélie
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Oui, dans la région de Saint-Malo, Soleil Vert, le nombre de résidences secondaires a bondi depuis deux ans et pose un problème ainsi que les multiplications de locations dans Saint-Malo intra muros.
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En sommeil? Vu le prix qu’on exige du moindre pavillon sans vue pourvu qu’il soit près de la mer, je ne m’étonne pas de ce sommeil! Bien à vous. MC
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En lisant une toute première fois le poème de Brecht, je n’avais pas remarqué la dialectique coincée entre le chien et le bac à douche.
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https://alheuredelart.wordpress.com/2016/10/25/chevelures-tentaculaires-munch/
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Merci pour cet article
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Intéressant en effet, même si l’on peut se demander si la chevelure-puissance n’est pas quelque chose comme une t’émane ces déesses antiques: la Naissance de Vénus, de Boticelli. Le reste me convainc davantage. MC
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Shambleau de Catherine L. Moore, déclinaison de Méduse
« Elle remua les lèvres en un chuchotement qui s’ alliait intimement au silence et à l’ affreux ondoiement de……sa chevelure, murmurant tendrement, passionnément : Je te parlerai… maintenant….dans mon propre langage…! bien aimé ! Elle venait vers lui. Il en frémissait d horreur, mais c était une répulsion perverse qui désirait ce qu’ elle haïssait. Il passa ses bras autour d’ elle sous le manteau moite et chaud, hideusement vivant.Le corps adorable fut contre le sien ;elle noua ses bras à son cou-et,dans un bruissement soudain,l horreur indicible se referma sur eux. Il se souviendrait toujours, dans ses cauchemars. jusqu à sa mort,de l’ instant où la chevelure de Shambleau l’ avait enveloppé. »
Extrait emprunté à Babélio
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https://unartanglais.wordpress.com/2015/05/21/le-fantasme-de-la-chevelure-dans-la-culture-fin-de-siecle/
Cheveux bouclés et attachés, cachés ou voilés : signe de réserve des femmes
puis cheveux longs dénoués : signe de libération puis de conservatisme.
Cheveux coupés des garçonnes : signe d’émancipation et de désir d’être l’égale des hommes
Les cheveux flottants exagérément longs hippies
Retour des cheveux longs comme signe de conservatisme
Ces derniers jours, cheveux en signe de révolte et de lutte (ou par solidarité).
chevelure des femmes artistique, poétique, érotique, politique.
balance entre liberté et emprise.
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Ces derniers jours, cheveux révélés, coupés, ou encore rageusement cisaillés voire tondus en signe de révolte et de lutte (ou par solidarité).
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et cette malheureuse Fantine
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Mis%C3%A9rables/Tome_1/Livre_5/10
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Margotte, vs m’avez « grillée » !
C’est peut-être un pont aux ânes que l’évocation de cet air, mais la longue chevelure comme objet de fascination, arme de séduction massive, dénouée ds l’intimité, s’y révèle moyen d’assujettissement & donc désavantage potentiel, permettant de prendre au piège celle qui les porte ainsi
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(les (cheveux) alors qu’auparavant je parlais de la chevelure, mais on aura compris…)
Cela dit, c’est aussi vrai des hommes, & il n’y a pas que Samson ds la Bible : Absalom piégé par sa longue chevelure
http://catalogo.fondazionezeri.unibo.it/scheda/opera/12910/Francesco%20di%20Stefano%2C%20Morte%20di%20Assalonne#lg=1&slide=0
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J’aurais dit, mais au débotté & à la louche, que les associations évoquées participent à la classification de la femme du côté de la nature (animalité, végétation & même éléments — la chevelure liquide de Mélisande coule, « inonde »), que l’homme serait censé avoir plus ou moins surmontée (après l’enfance) pour se retrouver du côté de la culture (savoir, maîtrise, spiritualité vs. magie, civilisation, lois & contraintes vs. pulsions & instincts), sans échapper pour autant à la nostalgie de ce à quoi il aurait renoncé (nostalgie vécue comme une régression).

Ds quelle mesure cela concernerait Munch ou Maeterlinck, je n’ai pas pris le temps de chercher, je ne fais donc guère avancer la question.
(Du film de Peter Watkins je ne garde quasiment aucun souvenir de l’entreprise de « libération », de la vie de bohème ou de chassés-croisés amoureux, reste plutôt l’impression d’une omniprésence de la maladie et de la mort — ce qui renseigne davantage sur les filtres (probablement déformants) de ma perception d’alors &/ou de ma mémoire, que sur l’orientation de l’œuvre…)
Deux autres éléments, sinon tt à fait hors sujet du moins un peu à côté de la plaque :
— Ne trouve-t-on pas aussi, ailleurs, des femmes végétales : ds les mangas ou de vieux dessins animés japonais ? (Albator…)
— Les femmes lianes de Vanina Langer :
(N.B. : j’ai lu avec intérêt plusieurs ouvrages de Mona Chollet, mais pas Sorcières. Merci de ne pas me traiter en suppôt.)
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