Je retourne encore dans les romans russes

Certains jours, je veux oublier les finances françaises, les jacasseries de la télévision, les insultes des députés à l’Assemblée Nationale, les prophètes ,militaires souriants de la guerre prochaine (sur LCI ) qui viendra dans nos villes, les arnaques bancaires, les dissensions européennes à Bruxelles,les narco trafiquants, les idioties de Trump, les cyberattaques, et la presse Bolloré, etc etc.. Certaines nuits, quand l’insomnie s’éternise, quand le voisin du dessus claque les portes , quand le train-train quotidien ressemble à un étrange enlisement ,quand e l’ennui s’étale et s’inscrit dans le cadran de la pendulette, « j’entre en Russie… » comme on entre en cure. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je reprends mes vieux poches de Gogol ou de Tchekhov, je retourne à « Pères et Fils » du délicat Tourgueniev, je partage le divan dans lequel somnole ce paresseux d’Oblomov, qui résume toute la fatigue humaine dans le roman de Gontcharov. Curieux ce XIX°siècle russe avec ses personnages hâbleurs, ses criminels,ses cochers ivrognes, , des personnages bravaches, des charlatans comme ce Tchitchikov (un nom qui sonne comme une locomotive à vapeur en plein départ ) ces fonctionnaires timorés, paresseux, , ses jeunes filles exquises ou trop timides, , ses médecins écologiste et ses actrices extravagantes d’égoïsme, (chez Tchekhov) , tous ces gens venus de cours de fermes boueuses de cerisaies en décrépitudes, de steppes désolantes ou de palais néo classiques sur le toits desquels la neige longtemps évaporée nous parlent à voix basse dans l’intimité de la lecture. Bien que nous ne soyons pas des moujiks, des princesses ou ces brassées de militaires qui piétinent dans leurs domaines, ils sont comme nous,  mais dotés d’ une partie plus chaleureuse,plus vibrante, et plus tragique . Ils vivent d’avantage que nous entre campagne et ville ,ils sont dévorés par une espèce de flamme romanesque,possèdent des élans, des terreurs, qui gardent une vivacité qui n’est pas toujours la notre. Malgré les inégalités entre maîtres et serviteurs, tous les sentiments analysés nous atteignent au cœur. Les personnages ont presque tous envie que la vie change ; ils rêvent tous d’autre chose.. et leurs voyages à la recherche d’un paradis perdu, d’une jeunesse perdue si ardente, nous la comprenons quand nous lisons dans » La Cerisaie » de Tchekhov ce personnage qui dit  en ouvrant les volets : »«Ô mon enfance, ma pureté ! Je dormais dans cette chambre d’ enfants. C’est ici que je regardais le jardin, le bonheur se réveillait chaque matin à mes côtés, et déjà le jardin était exactement comme ça, rien n’a changé. Blanc ! Complètement blanc ! Ô mon jardin ! Après l’automne,sombre et maussade, apres l’hiver froid, te voici à nouveau jeune et plein de bonheur,les anges des cieux ne t’ont pas quitté. Si je pouvais seulement ôter de ma poitrine et de mes épaules cette lourde opierre, et si je pouvais oublier mon passé !»

Quand on lit « Anna Karénine » ou « Guerre et Paix » tout se passe comme si les jeunes gens avaient plus d’ardeur juvénile,comme si les enfants et les vieillards de Tolstoi possédaient quelque chose de plus vrai et passionné que chez les autres romanciers européens. Iks savent aussi décrire la platitude grotesque de la vie, les heures d’ennui, la trivialité, la ruination angoissée, la vulgarité étalée, avec une grande finesse dans leur prose. Ils dénudent la réalité d’une vie russe qui devrait nous etre étrangère , avec ses prédicateurs allumés, ses ivrognes sermonneurs, ses malades aux oplaintes incompréhensibles, ses tyrans impitoyables avec leurs serfs et puis non, ils restent des frères humains. ils restent proches jusque dans les zones souterraines du mal. Dostoïevski écrit dans ses notes pour son récit « L’adolescent » : « Moi seul ai évoqué la condition tragique de l’homme souterrain, le tragique de ses souffrances, de son châtiment volontaire, de ses aspirations vers l’idéal : et de son incapacité à l’atteindre ; moi seul ai évoqué le regard lucide que ces misérables qui plongent dans la fatalité de leur condition, une fatalité telle qu’il serait inutile de réagir contre elle. » .Il faut écouter ce que professe Dostoïevski ou Tolstoï comme si les sentiments d’humilité et de générosité chrétienne étaient pus plus convaincants que chez un Flaubert ou même un Proust. Il suffit que Gogol raconte ce qui arrive à un type ordinaire quand il achète un pardessus pour nous plonger dans ce cette zone souterraine que Freud a tenté d’analyser, et que Kafka,lui aussi. Le roman russe sait aller dans les zones extrêmes non seulement de la psychologie, mais aussi dans les sadsimes et masochismes des liens sociaux, jusqu’aux terres démoniaques du subconscient.

La galerie de personnages de Tchekhov semble plus étroite et davantage balisée par la raison, mais il suffit de relire « la salle 6 »,une de ses nouvelles les plus noires, qui se déroule dans l’hôpital d’une petite ville, pour voir les terribles vérités sociale décrites avec autant d’acharnement sous une prose aussi simple. Cette « Salle 6 » pourrait être à Châteaudun ou à Bazas , à Saint-Sauveur-le-Vicomte ou à St. Avold, ici, aujourd’hui.

Les douleurs, les tendresses, le parfum de l’enfance, mais aussi les fius qui brandissent un couteau de boucher dans la rue de nos villes, les alcooliques arrimés aux comptoirs des cafés, les médecins débordés par les paperasses et le nombe des patients, sortis du XIX°siècle sont exactement les nôtres. Tchitchikov ne vend plus des « âmes mortes » mais de la crypto-monnaie. Tous avouent -davantage que nous- être des exilés dans leur petite aventure humaine. On notera aussi que les « héros » russes laissent apercevoir des fissures bizarroïdes, on les surprend avec des phrases apparemment inoffensives, c’est évident dans Gogol et Tchekhov, ils sont maîtres du dialogue futile, de la méditation fumeuse, du détail idiot (ah..cette palissade grise que Gourov examine avec tant d’obstination avant de retrouver « la dame au petit chien » le coeur battant…). saisis d’un désir inavouable, saugrenu, qui les décentre, c’est par ces côtés là que s’insinue un charme indéfinissable, puis leur grandeur. En comparaison « Madame Bovary » est une belle mécanique peu amidonnée. Ses rêves passionnés sont un peu simplistes, un peu étroits face aux désirs et impulsions qui poussent une Anna Karine à se rapprocher d’une gare.Il y a chez les romanciers russes une sorte de courbure mentale pour comprendre les personnages qui n’existe pas chez un Stendhal ,par exemple. Ça les les rend attirants, secrets, ,comme approchant de tres près la faillite humaine. Ils sont dotés d’une aura irrationnelle.

Le personnage russe n’hésite jamais à marmonner quelque chose de nihiliste, à s’apitoyer sur lui, à nager dans un chaos mental.

On peut préférer l’infernale souffrance intérieure de Raskolnikov à l’exitence monotone d’un Oncle Vania qui compte sur un boulier le montant de ses factures en rêvant sur une carte d’Afrique punaisée au mur de son bureau « ..et quand je pense qu’il doit faire en ce moment dans cette Afrique une chaleur à crever.. drôle d’histoire ! », on peut préférer les tableaux délicats et campagnards de Tourgueniev à la voiture à ressorts qui trimballe Tchitchikov entre une demeure de Gouverneur à péristyle , les « ornements classiques de son jardin anglais » jusqu’aux isbas sans vitres, cernées de meules de blé oubliées depuis longtemps », ou cette épicerie avec sa « boite pleine de clous, de soufre, de camphre, de raisins secs et de savons, qui se trouvaient derrière la devanture d’une petite épicerie prés de bouteilles de bonbons desséchés de Moscou. » Et cette route infini qui traverse des rivières gelées , des nuées de silence, et ces champs nus si plats qu’ils semblent émerger d’une nuit blanche .

Oui, j’ouvre un roman russe ,et c’est le même miracle,la cvhabre d’enfants, la cerisaie, je reviens chez moi :ce miracle a lieu :un sentiment d’être, avec eux, à l’abri, dans leur famille , vautré sur leur canapé, logé enfin dans une humanité plus chaleureuse, plus vaste, plus vraie, plus profonde, plus fantasque aussi comme si dans leurs passions et même dans la platitude de leur vie, dans leurs promenades en forêt, dans leur long hiver enfoui, dans leur mélancolie, ils dispensaient des trésors d’humanité et de vacheries .. Portrait d’un professeur à la retraite dans « Oncle Vania »: » Mais écoute moi ça: un homme qui depuis vingt-cinq ans lit et écrit sur l’art, sans strictement rien comprendre à l’art! Vingt-cinq ans qu’il ressasse des idées qui ne sont pas les siennes sur le réalisme, le naturalisme, et autres absurdités! Vingt-cinq ans qu’il écrit et lit des choses que les gens intelligents savent depuis longtemps et qui de toute façon n’intéressent en rien les imbéciles..Cela veut dire que depuis vingt-cinq ans, il transvase du vide dans du vide. »

Ces écrivains, quand on les fréquente deviennent des proches. Leur voix nous murmurent et résonnent loin en nous. Ils captent le déraisonnable et le grotesque moleresque de la vie et en même temps nous proposent des raisons d’espérer. La miséricorde de Dieu joue un grand rôle chez Dostoïevski –que Bernanos a lu de près- et pas du tout chez un Pasternak qui croit à un vitalisme et un salut par l’Art grand A.

Les uns croient en Dieu : Tolstoï ou Dostoïevski, d’autres non : Tchekhov est matérialiste (« il y a plus d’amour du prochain dans l’électricité et la vapeur que dans la chasteté et le refus de manger de la viande », écrit-il. Il croit que les nouvelles générations seront (peut-être !) meilleures. Boulgakov croit au diable, lui qui fut aussi médecin. Il est d’un pessimisme total et pourtant il nous fait rire avec une fable politique. Lisez « Cœur de chien » qui raconte la transformation d’un bon chien en méchant homme. Dostoïevski va loin dans l’exploration de nos couches profondes et fascine les psychanalystes, avec son mélange de sauvagerie et d’extrême sensibilité, un goût pour sonder les hérédités obscures et lourdes, et des visages de femmes bouleversants. Ajoutez son immense fond de sympathie pour le peuple russe , à l’exclusion des autres parfois avec son panslavisme… Il met à jour des pans inconnus de la nature humaine, des noirceurs, des pulsions criminelles ,  avance dans des zones qu’aucun autre écrivain n’a osé aborder avec cette audace. L’auteur de « Mémoires écrits dans un souterrain » , réussit les grandes scènes de ses romans en détaillant la joie dans l’humiliation et dans le sadomasochisme. Quand première femme meurt, il écrit à un ami : « O mon ami, elle m’aimait sans limites, et sans limites, moi aussi, je l’aimais. Mais nous n’étions pas heureux ensemble. Bien que nous fussions bel et bien malheureux nous ne pouvions cesser de nous aimer :plus nous étions malheureux, plus nous nous attachions l’un à l’autre. »

Le paradoxe de ces écrivains est que souvent, dans la lignée gogolienne, la trivialité et les petitesses de la condition humaine, minutieusement étalés apportent au lecteur une consolation fraternelle, une gravité et en même temps un sourire de complicité.Tous brisent la solitude du lecteur avec une déconcertante facilité .

Nos russes mêlent le ridicule et le sublime, le cruel et le compassionnel d’une manière que nous ne savons pas utiliser. Comme si leur spectrographe enregistrait des radiations et des couleurs de la sensibilité humaine qui nous échappent, comme si leur conscience était davantage percée par les stridences d’un monde à vif. Quand on lit Gogol et qu’on suit les errances de son héros Tchtichikov qui s’étourdit et se fatigue à parcourir la terre russe par tous les temps, renfoncé dans sa britchka dont les roues tournent si vite qu’on voit la steppe à travers avec ses chemins défoncés.. Gogol métamorphose la réalité  qui ressemble à une toupie qui tourne en ronflant par-dessus les champs et les clochers. Tout devient insolite et auréolé de magie, la moindre auberge crasseuse, la moindre cour boueuse, le nez d’un paysan. C’est déroutant l’aisance avec laquelle il laisse son imagination dériver spontanément en métaphores magnifiques : »La journée n’était ni lumineuse ni sombre ; elle avait cette teinte bleu gris qu’on ne voit qu’aux uniformes usés des soldats de garnison, guerriers pacifiques d’ailleurs, si ce n’est qu’ils se saoulent quelque peu le dimanche ».

Les paysages sont de Levitan, ami de Tchekhov

Moujiks, factionnaires, hobereaux, vieilles bigotes, mais aussi les enfants , simples d’esprit, casse-pieds bavards, cochers, corbeaux, faux Revizor, coquettes emplumées, tout s’irise de fantastique et d’un peu de mysticisme.. Et Gogol n’ jamais caché en vieillissant, que c’était la religion qui, lui avait donné un mode d’emploi avec les Évangiles ,lui qui voulait, dans les dernières années de sa vie, faire un pèlerinage à Jérusalem.

Forets de bouleaux, fleuves larges, horizons dégagés et nus :les écrivains russes cheminent naturellement vers une certaine sainteté qu’ils accordent à la Nature.

Gogol

Ce n’est pas un hasard si la description de la steppe la plus désolée a permis au jeune Tchekhov de connaitre la célébrité. L’attachement à la terre comme une ferveur religieuse. Là encore, écrivains russes, voix proches, intuitions irrationnelles qui révèlent à demi des sens secrets. Voix pressantes, amicales, considérations charitable à propos de la petitesse humaine, humour oblique, et un sens de la vie lente et secrète de chaque âme, du temps qui prend volontiers l’allure des nuages immobiles sur les toits et sur nos tourments.. Officierrs , bourgeois,petits propriétaires terriens, fermiers ruionés, insititruce viuvotant mal, actrices vaniteuses, ils,peuvent être grincheux, raleurs, amers, ils ne sont jamais aigrés car le regard que lécrivain pose sur eux itrtadie de tendrfesse et d’étonnement. Saisir la grisaille des vies humbles, gens modestes, secrets, humiliés, fatalistes,jamais aucune sécheress,une aérienne douceur. . Que ce soit une dame au petit chien qui s’ennuie pendant sa cure thermale ou un métayer faisant ses comptes, chacun recèle un mystère, une opiniâtreté, une part insécable et fascinante. Quelle leçon.

4 réflexions sur “Je retourne encore dans les romans russes

  1. C’était sur l’ancien blog. Il y avait cette route, plutôt ce chemin de terre entre les arbres. Une toile d’Isaac Levitan. Des couleurs atténuées, douces. Une toile melancolique. Vous évoquez Tchekhov comme aujourd’hui, leur amitié.
    Ouvrant le billet de ce jour, je vous retrouve dans votre refuge, la lecture, vos écrivains russes. Vous en parlez bien.
    Il y a une nouvelle de Marguerite Yourcenar où un artiste chinois peint un paysage et disparaît dans sa toile. Un jour, il vous arrivera la même chose, vous disparaitrez dans un paysage d’Isaac Levitan. Un petit point sur la route, au loin… Il restera de vous un livre de Tchekhov ouvert… posé sur le fauteuil. Vous serez loin de ce monde blessant, empli de haine et de jalousies. Sur une route d’automne, bordée de bouleaux blancs. La toile aura un son bleu couleur d’eau calme. Et vous serez heureux…

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