Reynolds Price , si méconnu en France

Qui a lu Reynolds Price en France ? Un tout petit club dont je fais partie. Cet écrivain sudiste rare,très estimé aux USA (il obtint le prix Faulkner du meilleur premier roman en 1962) je l’ai découvert avec un recueil de sept nouvelles « les noms et visages de héros » (1958) qui m’a sidéré. D’emblée, Price se place dans la lignée fastueuse de Carson Mc Cullers, William Goyen ou Flannery O’ Connor. Gallimard a aussi traduit « Un homme magnanime »,(1966) . Il a aussi publié plusieurs recueils de poèmes très appréciés .

Reynolds Price est né en février 1933 à Macon en Caroline du Nord ,prés de la frontière avec la Virginie dans un pays où les fermiers cultivent le tabac et le coton.Il a fini ses études littéraires à Oxford en Angleterre. Il est mort le 20 janvier 2011. Une enfance solitaire « occupée, dit-il, à peindre et dessiner, niché au haut d’un arbre. » Mais c’est de cette enfance qu’il extrait le meilleur de son œuvre.

En 1984, drame. L’auteur est atteint à 51 ans d’un cancer de la moelle épinière qui le laisse paraplégique, donc condamné à une chaise roulante. Il appelle cela « les bouffées automnales d’avant la mort ».

En France il reste ignoré des dictionnaires et encyclopédies mais prend une belle revanche par un article dans la magnifique « Histoire de la littérature américaine » de Pierre-Yves Pétillon.

Découvert aux Etats unis en 1958 et traduit par Maurice- Edgar Coindreau-le premier traducteur de Faulkner- , »Les noms et visages de héros » rassemble sept nouvelles, de longueurs inégales.Les enfants et les adolescents en sont les personnages principaux.

La première nouvelle « une chaîne d’amour » raconte une famille rassemblée dans une clinique de Caroline du nord. Les enfants viennent se relayer au chevet d’un père malade. Chacun des enfants essaie d’en savoir plus et de sonder les zones obscures du passé familial. Les heures passent, les veilles de nuit se multiplient, l’alternance de vide, de repos, l’ observation de la « chambre d’en face » les bribes de conversations, de brèves confidences avec les infirmières, les docteurs, et de soudaines précipitations du personnel médical dans la chambre forment un merveilleux tempo du récit. Le texte est tissé de réminiscences, d’incises, de sentiments fugaces et surtout de questions enfantines devant le milieu hospitalier, les réactions des adultes devant la maladie et la mort. .

.Il y a des délicatesses dans les changements de points vue, questions en suspens, confidences comme si chacun cherchait un sens à tous ces liens entre les personnages et tant d’allusions au passé familial,qui sont de curieux indices d’un monde clos. Price l’impressionniste nous offre une circulation virtuose entre les petites planètes individuelles.

La dernière nouvelle qui clôt le volume et donne le titre au volume, est constituée d’un monologue. Un enfant de dix ans, assis à côté de son père dans une Pontiac roulant en pleine nuit cherche à connaître les secrets de son Père, idolâtré. Il se demande qui sont ses héros, de Roosevelt au Général Mac Arthur. Mais cette quête enfantine pour savoir ce que cache le visage souriant de Père entraîne l’enfant et le lecteur dans des zones troubles où l’Inconscient joue sa partition. Le dialogue père et fils nous fait comprendre les appréhensions infantiles, les délicieuses naïvetés, courant sous la surface des échanges. On est littéralement envahi et enveloppé par les grandes espérances du garçonnet à côté de cette présence paternelle qui dégage une puissance quasi divine . Souvent chez Price un être fragile et démuni veut comprendre, aimer, faire le Bien et découvre son flottement et sa fragilité et ses manques face aux énormes secrets de la société adulte.

Dans chaque nouvelle un enfant s’interroge sur ce qu’on dit à table, les allusions mystérieuses au passé, ou devine une part des détresses enfouies uniquement en regardant une scène apparemment banale et dont il ne comprend pas tout. Alors ce qui est simple bavardage pour adultes devient pour l’enfant, un chemin de secrets dans lequel il s’enfonce vers ce qui l’attire et l’effraie en même temps. Chaque nouvelle est une initiation.

Que ce soit dans une chambre d’hôpital, au cours d’une soirée dans un bois qui effraie un peu , ou dans le souvenir d’un oncle disparu trop tôt , un garçonnet s’interroge pour connaître les secrets de la vie , et se sent soudain menacé,mais plus clairvoyant.

Price nimbe toute cette quête infantile d’un rayonnement bien particulier par les décors de maisons à véranda, les tendresses et extravagances des réunions familiales les paysages boisés de la Caroline du nord.

Pierre-Yves Pétillon, dans son portrait de l’écrivain note : « Price est un styliste de premier ordre.Il écrit un des plus beaux anglais qui soient, une prose à la fois simple et baroque, proche,-comme celle de Goyen- des archaïques et envoûtantes cadences de la Bible du roi Jacques, et en même temps musclée, flexible et qui rappelle le meilleur Updike ».

Dans d’autres romans « a Long and Happy Life »(1962) ou bien dans « Un homme magnanime » (1966) on retrouve le Sud familier de Faulkner, avec un humour franc, débonnaire, assez paysan qui s’exprime pendant les funérailles, ou bien dans les vantardises de prouesses sexuelles.Mais il y a surtout une attention portée, dans une petite ville du Sud, ,aux voyageurs de commerce, aux enfants esseulés, aux serveuses malmenées, à ceux qui vivent, Noirs ou blancs, à ces humiliés qui travaillent et dans les arrière cours où traînent les poules et les bassines. Sur les sujets les plus rebattus, comme un anniversaire, ,une initiation sexuelle, Price trouve toujours un angle nouveau, propose une scène où des sentiments contraires se heurtent ou se chevauchent .Aucune caricature, pas d’esbroufe, mais une intelligence qui comprend et imprègne ses visions d’un art fluide et plein de ferveur. Le sens du péché, sous l’influence de la Bible, dans cette région du Sud, poinçonne l’âme de chaque enfant . Mais ce qui caractérise le mieux cet écrivain c’est que la vie complexe ouvre sa tapisserie et son labyrinthe avec des personnages vulnérables, hypersensibles, tous attachants et analysés avec une déroutante justesse.

Comme dans l’œuvre de John Updike, Reynolds Price exploite le très fort sentiment d’appartenance à une généalogie familiale et à une communauté d’âmes et donne une humanité particulière et des promesses à tout ce qu’il écrit.