C’est à Quimperlé, sortant de « l’impasse des filles perdues », en marchant au hasard dans les rues de la ville et le long des quais que je me suis senti transporté de joie. Soudain.Comme ça. Sans raison apparente.
J’ avais oublié la colère incroyable du boucher et ses insultes au monde entier. Il était onze heures douze et soudain je marchais en descendant vers les quais, c’était comme s’il y avait eu des journées et des nuits précédentes à oublier, des années grises englouties, c’était comme si il y avait eu longtemps que les trottoirs,les éclats de lumière, les vitrines des magasins avaient pris une douceur que je n’avais jamais remarquée . Je croisais ,devant un porche d’église, quelques hommes et femmes en noir devant un fourgon mortuaire Mercedes. Ils suivaient le manège des employés des pompes funèbres en train d’ entasser des couronnes de fleurs sur et contre le cercueil. Et je songeais qu’un cadavre reposait sur un tissu moiré beige plissé dans le cercueil,les paupières closes pour ce premier délicieux sommeil, un fin sourire sur les lèvres glacées et fardées. Enfin il était délivré d’un poids, sa propre vie dans laquelle pendant 50 ou 60 ans, il avait trébuché, devenait une plume.
Des lycéens sous un abri-bus , se bousculaient et riaient, en se jetant des cartables à la tête. Deux vieilles femmes , engoncées dans des vestes polaires, sur le quai, se penchaient pour voir l’eau sombre glisser sous le pont ; elles souriaient et bavardaient .
Quimperlé devenait nette, pure, sans vertige, avec sa Maison de la Presse et sa barre de néon mauve brutale, et plus loin, la vitrine rouge pompier d’une bijouterie qui offrait dans l’aquarium trop éclairé de sa devanture des rangs entiers de montres aux cadrans brillants, et aussi des chaînettes, des alliances, des réveils et et des timbales.

Quimperlé à ce moment là portait une musique initiale que je n’avais jamais entendue et se lovait dans un silence matinal qui doucement finirait par s’assombrir sous la tache noire d ‘un nuage immense et assez bas qui en fin de la journée deviendra bel orage. J’imaginais avec entrain les eaux qui ruissellent sur les toits, les ponts, envahit les chantiers, les ruelles,pour nous rappeler que la mer n’était pas si éloignée que ça et que viendrait un jour où tout serait submergé : les terrasses des cafés et les petites retraitées qui bavardaient accoudées au dessus de l’eau.
Plus tard, j’eus la certitude que ce temps ouateux,ce ciel pesant , mettait en évidence la netteté hollandaise d’un hôtel formant une île le long de l’eau. Je vis comment Vermeer de Delft traiterait cette vision ,puis je continuai tout au long de ces lourds bâtiments austères d’un ancien pensionnat religieux qui sent le dortoir de séminaire, la caserne , les pèlerines mouillées le soir. Plus loin, je longeai un de ces préaux d école à l’ancienne qui abritent les malaises et les maladies de l’automne.Oui, c’est, dans un jour d’hiver gris que pour la première fois ,la joie pure, comme un avènement, s’est imposé à moi, ni fragile ni intermittente , simple, nue, échappant à toute raison. Soudain, j’étais de l’autre côté, là où la joie, sans prévenir, s’est imposée sans que je sache pourquoi. J’ émergeais de l’autre coté , de l’autre côté de quoi ? Je ne savais pas.
J’entrai alors dans une crêperie à plafond bas, avec des fenêtres étroites garnies de rideaux au crochet : il y avait un long tapis usé fibreux , et des fauteuils de rotin.Je m’installai sur l’unique banquette de moleskine sous une applique parcheminée qui diffusait une lumière tamisée.
Je commandai une galette avec un café allongé.Je me sentis revenu chez moi.Mais venant de quel pays ? Je ne savais plus. Paris, en quelques semaines, s’était prodigieusement éloignée, devenue inconnue et incertaine, brumeuse comme une île du Pacifique.
La fossette de la serveuse, appuyée contre un fossé breton, accompagna ce moment parfait.
En fin de journée, il y eut un incident tragi-comique.

J’entrai dans l’ abbatiale Sainte Croix pour admirer les chapiteaux décorés de feuillages . Au moment où je sortais mon carnet à dessins et un crayon , je m’aperçus qu’une silhouette un peu tordue, claudicante, se glissait dans la travée de droite et se dirigeait vers la rotonde centrale. Puis la silhouette fit un bon de côté derrière un pilier.J’entendis un ricanement sinistre, énorme. C’était bien celui que j’avais baptisé Artaud , Artaud-le-Momo , qui vivait au fond de l’impasse, avec son pastis dans des bouteilles d’eau minérale .Il était presque au garde à vous. Ses yeux de braise fixèrent obstinément les fleurs fraîches qui avaient été disposées sur l’autel . D’un geste large il attrapa un pan de son pardessus marron affreusement taché pour s’effondrer au premier rang, sur un un prie-dieu. Son ricanement devint un grincement de dents et un curieux couinement.Puis il se tut et plongea son visage osseux dans ses longues mains,comme sil allait sinon prier, tout au moins se recueillir. Enfin il redressa la tête, fixa la voûte et cria :
-Toute la Foi, toute la Charité !! tout est de la cochonnerie dans ce pays !!. Le pays est cochonnerie Pure !!.Purrrre !…
Il avait un balancement de la tête,comme un automate. De sa voix éraillée montant dans les aigus ,il hurla de plus belle :
-Il n’y a plus de paroles, plus de prière !! plus de langue humaine ! plus d’esprit !! Rien !!..Rien !!!..
Ses paroles résonnaient dans toute l’église. Puis il sembla retomber ,prostré, dans une position fœtale, enrobé dans son pardessus. Ses bras pendaient comme du linge.Il huma l’air. Il avait la tête tournée vers les rayons bleus d’un vitrail, la respiration difficile,mais je trouvai soudain qu’il avait un beau visage d’apôtre. Je l’entendis murmurer :mon âme..mon âââme n’attentez pas à mon âme..Dieu…
Je sortis en douce de l’église alors qu’il restait prostré, et qu’ il semblait en quasi sommeil -ou torpeur éthylique ? – sur son prie-dieu.
Ses paroles me troublèrent longtemps.
on vous suit sans ennui dans votre mouvement de St Michel à Ste Croix, bien que Ste Croix soit fort arrangée depuis l’écroulement en 1860 du clocher construit sur le transept, il me semble que, simple remarque, plutôt que le feuillage des chapiteaux, je me serais intéressé au retable ou à l’abside. La voix d’´ »Artaud » vous aura déconcentré, Bien à vous. MC
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Seriez-vous dans ce qu’on appelle la bas la haute ville, soit la rive gauche de la Laita, pour « descendre « vers les quais? On peut jouer à reconnaître certains des bâtiments dont vous parlez…Bien à vous. MC
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Une rafale d’éclosions…
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