Virginia Woolf se promène par beau temps dans Londres

En mai 1925 Virginia Wolf publie » Mrs Dalloway » simultanément  en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. Elle a  43 ans. C’est l’année où sa maison d ‘ édition signe le contrat afin  publier  la traduction des œuvres complètes de Freud..Le roman a été commencé entre 1922 et 1923, et c’est en 1923 que dans son « Journal »  et sans ses lettres V.W. mentionne Proust et ne cache pas son influence sur ce qu’elle écrit.

 Dans ce roman où l’action est quasiment réduite à zéro, nous sommes à Londres au mois de Juin .  Par une claire matinée de juin Clarissa Dalloway sort dans Bonds Street pour acheter des fleurs et en orner sa maison  pour la fête qui s’y tiendra dans la soirée.  .le teste enregistre   le flux de sa conscience, dans son regard, et tous les petits impacts sonores qui l’assaillent .Sentiments, sensations lumineuses, kinesthésiques images et scènes  du passé , conversations, qui reviennent , prises dans une sorte d’euphorie printanière. Le décousu ajoute au charme.. Réminiscences diaphanes  questions politiques qui  préoccupent son mari député  : Clarissa  se souvient de P, regrets de n’avoir pas épousé  son amour de jeunesse, Peter Walsh

 Le cinéma mental  mêle  avec un chatoiement d’images charmeur  le présent de la rue, ses bruits, ses voix,  rencontres. La subjectivité  désordonne la réalité  solide et immédiate de la marche avec ses bouffés, à une fièvre envahissante. Ce que ‘l’auteur appelle dans son  Journal « des moments d’être »  envahissent  la conscience brise et émiette le temps des horloges.

C’est dans « Mrs Dalloway » qu’elle pousse le plus loin   l’expérience de «  moments extatiques ». On se souvient que c’est dans « Le Temps retrouvé » que Proust  les réunit ces moments : la sensation du pavé mal équarri, le bruit d’une cuillère contre une assiette,  le grain d’une serviette empesée, qui  transportent le narrateur successivement  aux pavés de la basilique St-Marc à Venise, au bruit métallique entendu dans un train  entre Cabourg et paris, et à la serviette rêche utilisée  à Balbec.»  Clarissa Dalloway, quand  elle sort de chez elle, ressent le même phénomène :  un bruit de gonds et la fraîcheur de l’air la transportent trente ans en arrière, dans la maison de Bourton, au bord de la mer, où elle a passé les étés de son enfance.

 Elle écrit :«  La bouffée de plaisir ! Le plongeon ! C’est l’impression que cela lui avait toujours fait lorsque, avec un petit grincement des gonds, qu’elle entendait encore, elle ouvrait d’un coup les porte-fenêtres, à Bourton, et plongeait dans l’air du dehors. Que l’air était frais, qu’il était calme, plus immobile qu’aujourd’hui, bien sûr, en début de matinée ; comme une vague qui claque ; comme le baiser d’une vague ; vif, piquant, mais en même temps (pour la jeune fille de dix-huit ans qu’elle était alors) solennel »

Mais la particularité de   Woolf  c’est que chez elle, les petites phrases –« vagues » (titre d’un de ses romans)   qui se pressent serrées et moirées  vers le lecteur révèlent  une  vie intérieure soutenues d’abord avec  des métaphores aquatiques : »Car c’est cela, la vérité  en ce qui concerne notre âme, notre moi qui, tel un poisson, habite les fonds marins et navigue dans les régions obscures, se frayant  un chemin entre les algues géantes, passant au-dessus d’espaces tachetés de soleil et avançant, avançant toujours, jusqu’à plonger  dans le noir profond glacé, insondable ; soudain l’âme file à la surface  et joue sur les vagues ridées par le vent ; c’est-à-dire  qu’elle éprouve l’impérieux besoin de se bouchonner, de s’astiquer, de s’ébrouer, à écouter des potins..v Qu’est-ce que le gouvernement avait l’intention de faire (Richard Dalloway serait au courant) quant à la question de l’Inde ? »

On pourrait ajouter que  les conversations snobs  du diner, dans le roman woolfien, renvoient aussi au clan Verdurin et qu’il y a du Norpois dans cet inconsistant Richard Dalloway ,député. Clarissa elle-même, élégante, mondaine, racée, serait assez bien une  duchesse de Guermante  flânant dans les rues de Londres.

 Ce qui sépare radicalement la romancière  de Marcel Proust, c’est le vide. Il est  placé au centre du personnage. « Comme une religieuse qui fait retraite, ou un enfant qui explore une tour, elle monta à, l’étage, s’arrêta devant la fenêtre, s’approcha de la salle de bains. Il y avait un linoleum vert, et un robinet qui fuyait. Il y avait un vide  au cœur de la vie ;une mansarde. Les femmes doivent se dépouiller de leurs riches atours. A midi, elles doivent se dévêtir. » Woolf va même plus loin dans cette affirmation du vide. Elle précise quelques lignes suivantes : » « Elle qui était allongée là à lire(elle lit d’ailleurs les mémoires du Baron Marbot décrivant l’incendie de Moscou) ,car elle dormait mal, ne pouvait se défaire d’une virginité qui continuait à l’envelopper, malgré la maternité, comme un drap ».  Ce drap ressemble à un suaire. Plus loin, encore plus précise  l’obsession suicidaire aquatique ,avec l’image du froid de l’eau : »Charmante lorsqu’elle était jeune fille,  il était  venu brusquement un moment -par exemple sur la rivière  derrière les bois de Clieveden -où ,par réflexe de cette froideur en elle-avait fait défaut à Richard. »

Dans sa longue introduction à l’édition Folio-que je recommande- l’universitaire Bernard Brugière note ceci qui est important : « Clarissa existe d’abord par l’immédiateté, la grâce, le rayonnement de sa présence: « Et pourtant elle était là; elle était là », phrase reprise en guise de conclusion. » Mais il ajoute:

« Au cœur même de cette présence, on sent une fragilité émouvante, des terreurs inexplicables, une lassitude de vivre. Si Virginia Woolf a finalement soustrait son héroïne à la pulsion de mort, à la tentation du du suicide, c’est parce qu’elle décida, à un certain moment de la conception du roman, de créer un personnage propre à les assumer et à illustrer de processus d’auto destruction: Septimus Warren Smith. Cette création allait profondément affecter la thématique et la structure du livre en y faisant émerger des oppositions ou plutôt des parallèles plus ou moins asymétriques: le monde est vu à la fois « par les sains d’esprit et les déments placés côte à côte » .La folie de Septimus n’est pas seulement, comme on l’a vu, une métaphore des névroses de guerre: elle est fondées sur les expériences personnelles qu’a connues Virginia Woolf elle-même en 1895,1913 et 1915,notamment pour ce qui est des hallucinations. » On notera qu’il y a, chez Woolf, dans ses œuvres une continuité entre le normal et la pathologique, l’ordinaire et l’extraodinaire. Sa tapisserie mentale inscrit dans son mouvement la vision pathologique et la vision poétique, même tricot! Mrs Dalloway sans cesse surinterprète des signes tout au long de sa promenade, et nous ne sommes jamais loin d’une désagrégation psychique qu’on, voit bien dans « Entre les actes »… cette désagrégation, à mon sens, est également à l’œuvre chez Marguerite Duras dans un de ses plus beaux romans, « Le ravissement de Lol V. Stein ».

Ce qui étonne dans ce roman c’est qu’au cours de cette promenade, Mrs Dalloway se présente comme une amoureuse ardente de la vie. Or, c’est un leurre. La vérité est toute autre. Un manque à être ronge et le critqiue Jean Jacques Mayoux avait raison de souligner ces moments de « néants partiels » qui, dans les instants d’une journée ordinaire préfigurent notre disparition.

Clarissa reste assaillie par l’angoisse, l’absence, ,les morts auxquels elle a été confrontée. La quête de la réalité en sera d’autant pus forte et rappelle une sorte de panthéisme matérialiste qui fait vibrer ses phrases. Si tous les aspects ( bruits, lumières, conversations entendues)   la passionnent,  le passé, qui revient, la hante, et décolore  cette flânerie primesautière. La photo jaunit et aspire le personnage  vers le vide. On n’a jamais aussi bien  déversé les eaux noires du Léthé sur une radieuse  journée de Juin.

 Si on examine de près  ce qui se cache  derrière la sympathie active, délicate, légère  de Mrs Dalloway qu’elle porte  aux êtres , on découvre  des blessures et des brulures, des pressentiments ,  des bouffés d’anxiété , toute une doublure sombre. De ce contraste nait la tension remarquable du roman.

 Les personnages en sont presque tous frappés par l’aspiration néantisante. Septimus Warren Simth, idéaliste enthousiaste,  revient de la guerre « bien étrange ». Lucrézia, modiste italienne  charmante  est  aspirée par la folie. Miss Kilman, cultivée et bigote n’a de cesse  d’inspirer à la jeune fille un dégout de la vie. Le  grand amour de jeune Peter Walsh revient, lancinant  rend inconsolable notre acheteuse de fleurs.. Sans cesse  des présages assaillent le personnage, et dont la source   se situe clairement du côté de  l’adolescence .

Alors même   que Mrs Dalloway  affirme  qu’elle a été « préservée de la vie « dans sa jeunesse   elle ne peut s’empêcher d’avouer    en même temps deux traumatismes : la mort d’un vieillard qui s’effondre dans un champ, et la vision d’une vache en train de vêler.   

C’est un roman d’une conscience qui se  mine et -courageusement –    dans le bain de jouvence de la rue, refuse  de se défaire.  Sous la fastueuse et claire lumière que cette prose tapisserie  chatoyante  impressionniste  se brode un curieux fil noir.  Sous tant d’élégance, oui, le vide gagne et s’étend.La souplesse de ce monologue Woolfien atteint une sorte de  buée lumineuse  qui séduit  mais c’est pour nous entrainer  vers la couche profonde de notre conscience.

.,.Le Temps subjectif triomphe : élastique, discontinu, parfois incohérent, mais pour nous donner à surprendre  dans  les interstices ,une fêlure. Celle-ci  est  en train de s’agrandir.  En cristallisant et privilégiant  des détails de riens-qui deviennent tout-  par un soliloque devenant lyrique  on peut se demander  si nous  sommes encore dans le roman encore ou  déjà sur le divan avec une écoute flottante .

Extrait du roman

« La lumière du soleil lui flattait les pieds de ses longs rubans. Les arbres s’agitaient, gesticulaient. Nous accueillons, semblait dire le monde ; nous acceptons, nous créons. Beauté, semblait dire le monde. Et comme pour le prouver (scientifiquement) de tout ce qu’il regardait, maisons, grilles, les antilopes qui tendaient le cou au-dessus des palissades, la beauté jaillissait immédiatement. Regarder une feuille frémir sous le souffle de l’air était une joie exquise. Haut dans le ciel, des hirondelles fondaient, viraient, se lançaient de tous côtés, tournaient en rond et encore en rond avec pourtant une maîtrise toujours parfaite comme si elles étaient retenues au bout d’élastiques ; et les mouches qui montaient et retombaient ; et le soleil qui désignait tantôt une feuille tantôt une autre, par moquerie, l’éblouissant d’or pâle par simple bonne humeur ; et parfois un carillon (c’était peut-être une voiture qui cornait) venait tinter divinement sur les brins d’herbe — tout cela, calme et raisonnable pour ainsi dire, formé finalement de choses ordinaires, était désormais la vérité ; la beauté était désormais la vérité. La beauté était partout. »

Pierre, Joachim, Etienne, Guillaume et les autres…

Quel beau volume, ce Pléiade.

Il regroupe la tribu des jeunes poètes lettrés, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay, Guillaume Des Autels, Jean-Antoine de Baïf, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Jean Dorat, Jacques Peletier du Mans et Pontus de Tyard. Et quelques autres.. Ce volume est une fête dans le jardin de la langue française. Mireille Huchon, maitresse de cette présente edition a eu raison d’y ajouter les théoriciens moins connus Thomas Sébillet, Antoine Foclin et son traité de « Rhétorique Françoise » ou bien les polémistes qui s’offusquèrent de la publication de « La Deffence et illustration de la Langue Francoyse », de notre ami Du Bellay, parue en 1549 , sous le règne d’Henri II, bref mais passionnant .Cette « Deffence » est d’ailleurs un curieux manifeste. On y trouve aucun des grands noms de ce mouvement, ni Ronsard ni Jodelle, ni Belleau. Comme le précise Mireille Huchon ce fut «  un « ouvrage bien personnel » qui a servi une cause personnelle. Au fond Du Bellay appelle surtout à faire revivre le siècle d’Auguste invite à ses amis lettrés à devenir de nouveaux Virgile et de nouveaux Horace, mais dans la langue française, cette langue familière qui traîne dans les rues mais atteint rarement l’imprimerie. Il se bat contre tous ceux qui trouvent qu’écrire en français est « barbare ». On plonge dans ce volume plein de surprises, de recoins, de jardins clos, d’amitiés de circonstance, et surtout d’enthousiasme. C’est à la fois le grenier de la langue française, et son verger merveilleux. Du Bellay, Ronsard invitent leurs amis poètes à l’audace, aux trouvailles sonores, aux mots nouveaux, à des versifications originales, à des figures de rhétoriques complexes et musicale, sans avoir honte ni de complexe d’infériorité face aux grands Anciens. Rimes, combinaisons, néologismes, il faut faire poésie de tout, renouvelant les recherches métriques savantes, décloisonner certains genres, mêler la vie quotidienne, les fantasmes, poétiser des aventures sexuelles triviales, inventer les dialogues (certains avec soi même..) , renouveler un art dramatique, dénouer les liens avec l’Antiquité, humer et gouter aussi un parfum de terroir, réinventer un paysage avec ses odeurs de grange ou ses parfums après l’averse.

En feuilletant ce volume, on note bien sûr les influences de Pétrarque des platitudes pindaresques d’ un Guillaume Des Autels, excellent helléniste qui veut absolument accorder le français à la lyre grecque. On regrette qu’Etienne Jodelle, qui bluffait tous ses amis par son talent et son originalité de dramaturge, ne soit pas mieux représenté, lui, l’auteur de la tragédie « Cléopâtre captive », qui remporta un vrai succès devant le roi. Oui, pas mal de poésies blasonnées, d’Apollons, de Bacchus de Vénus sortant des fourrés du paysage mythologiques; on mouline des vers de discours officiels, des guirlandes de métaphores avec nymphes dénudées, couronnes de lauriers, épigrammes , mignardises, des « motz joieux et lascifz » mêlés à un  » propos plaintif et adoussi » chez Peletier du Mans. Mais surtout circule l’eau vive, si bondissante d’un français chantant, parfois vendômois, angevin, a, tout un chant angoumois. Et sans cesse, des trouvailles rythmiques. Verdures, ruisseaux, allées, ombrages , des vues champêtres s’étalent au milieu de palmes et de lauriers, avec des dieux qui flirtent sous la charmille.. .C’est à la fois giboyeux et gouleyant. Quelles perspectives cavalières au milieu des rondeaux et sonnets, et quels frémissements du cœur qui nous touchent encore. C’est du vif.

Le langage devient à la fois science et magie , mélancolie et musicalité,

Du Bellay

Des jeux pour des jardin des bords de Loire ,mais pas uniquement, il y aussi des rimeurs satiriques, des insolents et des ironiques. L’exemple de Du Bellay traitant la Rome du Vatican de nouvelle « babylone » et de lieu de corruption est exemplaire.

Ronsard, lui, offre toujours l’éclat d’ un art fougueux, conquérant , avec toutes les musiques et culbutes possibles de la versification. Parfois cassant, éruptif, exalté, moulinant de l’alexandrin à propos de tout, il compose une vaste tapisserie verbale destinée à le couronner de lauriers, à le transformer en Prince officiel avec buste, médaillons, lauriers, un sorte de Hugo avant la lettre. La moindre soubrette, la moindre paysanne chez Ronsard, devient divinité rebondie, ou une Cassandre ou une Hélène aux bras d’ivoire, avec des robes largement décolletées. Dans ses « Amours » il joue et surjoue l’amoureux transi et plus tard, la comédie du barbon. Toujours ardent, passionné, et trop visiblement ivre d’orgueil et voulant dîner au premier rang dans la vaisselle d’or des rois. Plus tard tantôt il saisira l’épée pour sa Franciade et fera sonner l’épopée et ses fanfares pour défendre les catholiques. Il est partout, voluptueux, tumultueux, imbu de sa verte jeunesse à son hiver du sourd, fabricant de vers au kilomètre qui cherche sans cesse le grand éclairage, la pompe, le panache

Henri II qui mourut tragiquement

Grâce à quelques jeunes gens survoltés la poésie s’affranchit du latin. On le voit bien en lisant « Le bocage » de Ronsard, avec ses odelettes légères, de 1554 qui célèbre le vin, la gaieté, et sent la grange et le froment. Ces vers dégagent un parfum de campagne, avec ces blasons qui consistent à célébrer un objet ou un animal, genre fourmi, abeille ou papillon. Une délicatesse française naît avec les couleurs si fraîches d’un Jean Antoine de Baïf, avec ses arbrisseaux, ses demoiselles embrasseuses sur pelouse, et surtout cette manière que le poète a de se parler à lui-même.

Mais de toute cette petite bande, le plus émouvant reste à mon sens Du Bellay . Quel don pour le mouvementent, l’alliance de mélancolie et de drôlerie, la spontanéité et le charme des sentiments mêlés, d’aériennes trouvailles, une fluidité en quête d’ acquiescement, une recherche d’amitié, de tendresse, puisque dans ses « Regrets » il s’adresse presque toujours à un ami. Chez lui une recherche de complicité et d’intimité avec le lecteur éclaire tout ce qu’il écrit. C’est aussi un violent : ses satires grinçantes contre l’Église romaine (ce « cloaque immonde » ), le prouvent. il utilise tous les registres mais dans une couleur fanée un peu secrète . Cet art souple, élégant, avec des ombres longues, sait enchâsser pas mal d’insolences sous le murmure agréable des ses sonorités. Il annonce aussi le thème romantique des Ruines et du déclin des empires . I

Vraiment, le travail de Mireille Huchon est remarquable. Il l’est par de diversité, par une érudition qui ne pèse pas pour expliquer comme une petite tribu lettrée , amis parfois, rivaux souvent, décrivent l’amour, la guerres, la corruption, en alexandrins ou décasyllabes.

La seconde partie de ce volume nous révèle des textes introuvables et fascinants . C’est dans les sections intitulées « Poetique » et « Polémique et témoignages ». 1545-155 qui comprend des textes de Jacques Pelletier du Mans et son « Art poétique d’Horace traduit en vers françois » ou bien l’art poétique de Thomas Sébillet de 1548, qui a traduit également « l’Iphigénie » d’Euripide. Cet avocat au Parlement de Paris, oublié, est pourtant original, par son souci phonétique de rapprocher l’ écriture de la parole.

L’enlèvement de Proserpine, école de Fontainebleau

La partie « polémiques et témoignages » ouvre le chapitre des rivalités entre rimailleurs, grammairiens, querelles diverses. Aux querelles littéraires, se superpose évidemment les rivalités religieuses, dans ce Royaume tranché en deux et menacé sur toutes ses frontières. Tenir les textes sous les yeux est un vrai régal. Ainsi on découvre Florent Chrestien,fervent défenseur de la Réforme. Il entre avec beaucoup de panache – sous le pseudonyme de La Baronie- d’insolence,de evrve, d’humour contre Ronsard et aussi cette « Pleiade enyvrée ».il s’adresse à Ronsard :

« En Grec et en Latin, laisse seulement voir

Tes papiers barbouillez, tes livres qui sont larges

Des annotations escrites dans les marges,

On verra bien alors que les labeurs d’autruy

Te font ainsi vanter, et que si aujourd’huy

Quelqu’un te les ostoit, ta miserable plume

Llairroit* doresnavant ses vers dessus l’enclume

Tu n’escrirois plus rien, ou ce que tu ferois

Ne serviroit de rien que de farce aus François. »

*Laisserait

On voit que l’acte d’accusation est sévère: Ronsard accusé de plagiat.

Pierre de Ronsard

Parmi les belles surprises que ce volume réserve, il faut donner une place à part à Antoine Foclin et « La rhétorique Francoise » de 1555. Foclin (qui s’écrit parfois Fauquelin), qui enseignera le droit à Orleans, a fait un travail d’une rigueur impressionnante pour classer et définir toutes les figures de rhétorique possibles. Et pour cela il s’appuie sur des exemples pris chez les poètes de La Pléiade. Les pièces de Ronsard, de Baïf oui Du Bellay servent donc à illustrer tous les concepts de la rhétorique,invention,disposition,élocution,prononciation,mémoire. Il enrichit considérablement son classement avec des développements sur la métaphore, sur le système syllabique français, sur la reforme de l’orthographe . Ses classifications rigoureuses s’appuient sur les Odes, puis les Hymnes de Ronsard .Il prend des exemples également dans « La deffence et illustration de la langue françoyse » de Du Bellay. Ce méthodiste puise dans l’actualité littéraire de l’époque avec beaucoup de doigté et d’intelligence. Dans sa préface dédiée à la jeune reine d’Ecosse Maire Stuart, il note ceci : « En quoy(Madame) ,il plaira à vôtre grandeur , excuser la pauvreté de notre langue, qui n’estant encores à grand peine sortie hors d’enfance , est si mal garnie de tout ce qui lui faut , qu’elle est contrainte d’emprunter les acoutrementz et (s’il faut ainsi parler) les plumes d’autruy pour se farder et acoutrer. Car outre le petit nombre de gens qui ayent bien et elegamment écrit en notre prose Françoise:nous avons si grande indigence de noms et apellations propres, que non seulement toutes les especes et parties de cét art,mais aussy l’art universel n’a encores peu *rencontrer en sa langue, un nom general comprenant les actions et effetz de toutes ses parties:Ains est contraintre d’usurper céte apellation Greque de Rhétorique, comme présque tous les noms Grecz et Latins des Tropes et Figures. »

*n’a encore pu..

Cette langue « à grand peine sortie hors d’enfance »…On en goûtera longtemps « la formule -litote » de Foclin, car on peut dire que cette toute fraîche langue française soumise à l’imprimerie a divinement folâtré jusqu’à nous.









Retour romain

Tu as quitté Paris à neuf heures dix .Par le hublot , tu vois l’aile et sa brillance d’acier sur les Alpes blanches puis tu survoles les collines rousses du Latium. Enfin le damier des carrés bleu cobalt des piscines des villas, puis la méditerranée lisse indigo ce jour là, et enfin l’anneau pierreux du Colisée se penche et tu découvres les méandres du Tibre. Enfin tu approches les immenses carrés d’herbe pelée de la piste de Fiumicino. Petite secousse. Les roues touchent la piste. Après le hangar vide de la zone douanière tu prends une tasse de ristretto qui te redonne le goût amer sucré des vrais cafés des bars romains.

À l’hôtel Morgagni on te donne la grosse clé qui ouvre sur la chambre aux tons opale. Étendu sur l’immense lit moelleux, tu reprends toutes les fugues, toutes les flâneries de tes anciens séjours romains dans la touffeur des ruelles qui mènent au Tibre, l’ombre des platanes sur les quais.

Tu reprends vie à midi quand tu pénètres dans cette trattoria toute simple ,proche de la Piazza Mattei. Peu de clients à cette heure là, souvent des hommes seuls plongés dans le Corriere ou dans la seconde salle un couple qui se tient les mains en silence.

Tu retrouves les grosses chaises en bois bien cirées, les murs blancs de chaux, une desserte de boiserie sombre qui ressemble à un confessionnal, les tiroirs avec des couverts bien alignés et des fioles d’huile d’olive et leurs feuilles de laurier .La serveuse s’appuie, déhanchée, sur ce meuble sombre , décolleté arrondi, son air las, elle ôte une ballerine noire . Dans le couloir qui mène à la cuisine sont suspendues des grappes de piments séchés .Il y a également près de la porte des toilettes un sous-verre avec une photo dédicacée de Vittorio Gassman dans le film « Le pigeon ».

Quand tu ressors dans le quartier, chaleur le long des murailles, et murmure monotone d’une fontaine t’ accompagne longtemps et t’engourdit.

Le soir ,c’est un moment d’épaisseurs de silence qui se pose ,avec les béances fraiches des porches d’église , et le parvis de travertin aux marches plates, tièdes, si accueillantes pour y fumer et y regarder tout et n’importe quoi qui, monte de la nuit. Plus loin des voix tranquilles et monotones tombent d’une fenêtre ouverte. Les odeurs de friture viennent d’une courette avec de la vigne. Ta flânerie reste légère au milieu des silhouettes jeunes . Un couple bavarde appuyé à l’angle d’un mur couleur cacao. Jambes claires, robe blanche , fine chaine d’or à la cheville. Chaque ruelle ressemble à une porte ouverte sur un couloir avec une clarté lointaine tout au fond, des enfants courent vers une fontaine, Les tiens, d’enfants, sont devenus des adultes trop sérieux.

Le lendemain, tu circules sur une petite route à dix kilomètres de Rome, vers Ostia, pas loin d’une ferme. Obligé de descendre de voiture pour vérifier un clignotant qui fonctionne mal et soudain, tu écoutes une vaste étendue de roseaux qui crissent dans le marécage voisin. Ta vie est passée, tu écoutes ce qui s’efface dans ton cœur ,surpris d’avoir égaré autant de passions lointaines et inutiles dans l’autre versant de ta vie, celle d’un jeune homme que tu ne reconnaîtrais pas dans la rue.

Tu décides alors de rentre très vite dans ton hôtel de la via di Villa Patrizi .
Allée fraichement arrosée, voiture sous une bâche pleine de brindilles de pins. Je sui fasciné par quelques palmiers droits et hauts, et le massif de lauriers d’un rose fané prés du patio il y a également des bancs de bois, je viens m’abriter sous la tonnelle avec des fleurs moelleuses violacées qui s’entortillent dans le grillage. Le léger chuintement d’un quadrimoteur qui descend vers l’aéroport Fiumicino creuse la paix du ciel. Tu écoutes longtemps ce qui monte dans la nuit les rires, les portières des voitures qui claquent les unes après les autres, et les joies romaines de cette bande de jeunes qui embarque pour les fêtes de la nuit .