La folie du premier livre…

La détresse, l’écœurement, la nausée, la colère, fermentent et claquent en phrases maigres, dans « Les armoires vides ». Ce livre accusateur, ce livre réquisitoire, est le premier récit d’Annie Ernaux écrit en 1974, ( année où Jean Daniel fonde « Le Nouvel Observateur ») par une prof de lettres de 34 ans. Ce récit rageur – qui résume une jeunesse bancale et une adolescence humiliée- s’ouvre et s’ achève par un tuyau enfoncé dans le ventre au cours d’un avortement subi en 1964 chez une faiseuse d’anges. Denise Lesur, l’héroïne du roman, se remémore son enfance et surtout son adolescence . L’étriqué et le gris d’une époque ( guerre d’Algérie, gaullisme, poujadisme) ressurgit, à vif.

Le choix de situer entièrement l’action du livre dans l’attente de l’expulsion du fœtus avorté accentue le noir de cette confession.

Annie Ernaux l’exprime dès la deuxième page «  Il n’y a rien pour moi là dedans sur ma situation,pas un passage pour décrire ce que je sens maintenant,m’aider à passer mes sales moments. «  .Annie Ernaux balaie toute sensiblerie.Phrases sèches.

Le thème central du livre reste la honte. Honte d’être une fille de bistrotiers parmi les jolies lycéennes pomponnées. L’étudiante cultivée nourrie de Camus ,de Lamartine, de Voltaire, de Sartre, se sent affreusement et définitivement séparée et surtout un peu dégoûtée par ses parents incultes qui se coltinent des casiers à bouteille derrière le comptoir et écoutent, « Reine d’un jour » extatiques .

Oui, la Culture sépare. Denise est devenue l’inconnue dans la maison. « J’ai été coupée en deux ».Effectivement ,en poursuivant ses études de Lettres jusqu’à l’Agreg, Denise se coupe de son milieu social. Sa toute fraîche culture universitaire la sépare de son enfance qu’elle ne ressentait pas comme sordide quand elle était à l’école primaire. Son milieu ouvrier lui paraissait naturel ,il devient ringard et repoussant. C’est au lycée « bourgeois » que tout bascule et qu’elle comprend la le cloisonnement entre les classes sociales et sa cruauté. Elle hésitera ,plus tard, a présenter sa mère, son tablier et son torchon, à ses petits amis.

Denise l ‘étudiante , à table, a honte de ces deux là, ces parents qui « saucent le jus  » dans leur assiette .Elle ne parle plus leur langue . « Le vrai langage, c’est chez moi que je l’entendais, le pinard, la bidoche, se faire baiser,la vieille carne, dis boujou ma petite besotte. »

Elle a honte honte du café-épicerie , du picrate ,des Pernod, des rincettes, de l’évier sale, des gestes dégoûtants des ivrognes, braguette ouverte, qui traversent la courette pour aller se soulager.

Elle comprend aussi les décennies d’ humiliations que ses parents ont subi, pauvre couple derrière le comptoir obligé d’écouter tard le soir les propos avinés et salaces des clients avec « leur odeur de canadienne mouillée » . Irrécusable réquisitoire : « J’ai l’impression que je ne pourrai plus revenir en arrière, que j’avance, ruisselante de littérature ,d’anglais et de latin, et eux, ils tournent en rond dans leur petit boui-boui, ils sont contents, pas besoin de remords, ils ont tout fait pour moi. »

On ferme le récit en se disant  quel nettoyage à sec. Il y a du Jules Renard et du Hervé Bazin dans ce texte rugueux, teigneux, furieux, chaviré

Certaines pages sont jetées sur le papier comme cette eau de Javel utilisée par la mère pour nettoyer les seaux hygiéniques au fond de la cour.

Il est évident, à relire ce texte, qu’il fut écrit dans un élan cathartique ultra violent. Le livre frémit de colère rétrospective.

Pourquoi est-ce que je reviens sur le cas Annie Ernaux ? Parce que j’y ai des raisons personnelles et objectives.Il me touche de prés.

Nous sommes de la même génération, à trois ans prés. Elle est née en 40, moi en 43. Comme elle, j’ai subi la Normandie d’aprés-guerre, de ruines, de privations, de souvenirs du Débarquement avec ce que cela comporte d’ambiguïtés face à ces Alliés qui avaient pulvérisé nos villes et tué des habvitants,moi à Caen, elle entre Le Havre et Rouen.

Comme elle, mes parents étaient commerçants ,come elle j’ai fait des études de Lettres, comme elle j’ai subi l’étouffoir Gaulliste et vécu mal l’algerie, les copains dans les Aures .Comme elle , j’ai découvert Sagan, Camus, Malraux et Sartre,comme elle j’ai entendu les noms de Soustelle, Gaillard, Mendès France et j’ai connu le « café bouillu » et arrosé des comptoirs normands. Comme elle j’ai écouté Only You au Juke Box du Central Bar. Comme elle, dans la sexualité je suis resté hésitant, maladroit, enfiévré, décalé, confus, empêtré. et comme elle j’ai vu l’effroi des avortements clandestins. Comme elle j’ai découvert la littérature avec la même ferveur , ouvrir un livre s’était une escapade. C’est curieux comme nos deux jeunesses dans des villes normandes s’inscrivent sous le sceau de la tristesse et de la déception, spécialité flaubertienne. Madame Bovary ,jamais loin..

Vivre, à cette époque, sur les bords de la Seine, ou de l’Orne, c’était être déçu. J’ai découvert comme elle le versant sombre, maudit, étriqué d’une société -sous influence catholique- qui veut surveiller et punir ses jeunes dans leur sexualité .

Enfin, comme elle, j’ai écrit pour me délivrer, par catharsis. Dans mon cas ce fut en 1965, à 22 ans .J ‘étais encore sur les bancs de la Fac de lettres de Caen. Je vécus trois semaines folles d’un mois de Juillet, un été de ciel vide et beau, devant une machine à écrire, volets entrebâillés, immeuble désert. C’est bien étrange la littérature, je voulais comme Ernaux ,oublier les parents, les devoirs, les terribles repas familiaux et leurs silences écrasants , la salle à manger en merisier et les babioles de faïencé époussetés, les patins dans l’entrée. Comme Annie, je voulais échapper à la violence d’une sclérose, aux disputes, aux bruits de délabrement d’une jeunesse rétrécie. Écrire, c’était sauter hors du cercle de la détresse familiale , échapper aux violences du père, aux résignations maussades de la mère. L’ écriture alors jaillit à l’état brut, presque automatique, comme une journée enfin passée avec des folles filles gaies sur une plage. C’est l’ozone, l’altitude. Les mots courent sur le papier, le papier devient une route droite, piste de décollage, escapade, grande évasion ,fièvre. J’oubliais l’état de fils, de petit frère muet , de pensionnaire renfrogné , de mauvais élève près du radiateur. Je me débarbouillais de cette culpabilité poisseuse dont on m’avait soigneusement englué.

Je me souviens de cet été là, l’ appartement vide, le silence, la pénombre ,le sandwich dans la cuisine, Je glisse la feuille blanche dans le rouleau de l’ Underwood brillante et noire .L’été crépite. Mes mots, les miens, enfin.

Mais contrairement, à Annie Ernaux cette folie d’être enfin soi avec des mots ne vire pas au règlement de comptes, mais à une ivresse. Une extase. Le moi se dilate, le monde entier se fragmente en phrases courtes . La surface du monde scintille avec des brillances et des coupures de miroir fracassé. La beauté du monde en miettes, en mots, en secondes. Voilà la grande différence. En écrivant la journée de congé d’un garçon de café ,je cours hors des zones glacées de ma jeunesse alors qu’Annie Ernaux analyse la tête froide ce qui a empoisonné sa jeunesse ,elle dresse, elle, un réquisitoire ; moi, c’’est plutôt une fuite, une fugue, une course vers le soleil. Je galope dans les mots comme un enfant court pour atteindre le haut d’une dune et découvrir la mer.

J’éprouve la même euphorie d’aligner des mots sur une page vierge que celle du skieur chevronné qui dévale une pente de neige immaculée dans le froid du matin .l’ivresse verbale emporte tout sur son passage.

La frappe de la machine à écrire devient le mouvement de la vie retrouvée, de la vie ailleurs,de la vie autrement, la vraie vie,enfin . C’est l’essor en plein ciel, on quitte toute la bigoterie de la vie.

Naissance du monde, naissance au monde…

Et cependant, la fin de mon livre reste morose. L’époque a déteint ? Elle laisse ses traces sales ? Sans doute. Tout s’éteint soudain. La journée de congé n’a pas tenu ses promesse. Il faudra qu’Arthur demain matin, reprenne le seau, le balai et nettoie le percolateur.

Là encore, je m’aperçois aujourd’hui à 60 ans de distance exactement(ô vertige 1964-2024) que comme Ernaux, je rejoins cette littérature de la déception. Flaubert reste le patron .

Dernière confidence : plus tard, quand j’ai lu Bernanos, je suis resté sidéré que cet écrivain catholique exprimât aussi bien ce sentiment que j’avais connu en écrivant  : »Qui n’a pas vu la route à l’aube, entre ses deux rangées d’arbres, toute fraîche, toute vivante, ne sait pas ce que c’est que l’espérance ». Je me souviens que dans l ‘appartement désert, le livre fini au milieu de la nuit, , j’avais allumé les lumière de toutes les pièces, et que j’avais sifflé la moitié d’une bouteille de Bordeaux chipée dans la cave des parents.

J’ouvre toujours et encore les premiers livres des inconnus avec un curiosité particulière, à chaque rentrée littéraire, car on sent souvent la folie du lâcher tout. L’adolescence retrouvée.

21 réflexions sur “La folie du premier livre…

  1. et l’on peut aussi supprimer d’ Ouville: « est-ce vous, mon Ange… venez, mon soleil, que nous fassions une éclipse, venez, mon astre , que je sois votre ascendant, venez, ma nymphe, faire une conjugaison masculine… faute de vouloir comprendre qu’ Hortensius parodie le style amoureux…       MC

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  2. J’avais pensé ajouter une parenthèse pour bien préciser que je mentionnais H. Lenoir parce que vs aviez écrit plusieurs fois sur votre blogue, il y a qq années, que vous appréciez ses romans — & pas ds l’esprit « ah, mais il y a aussi unetelle & unetelle », qui tourne vite à « si vs parlez de V, c’est un scandale de ne pas mentionner W, Y, Z  » & autres requêtes (qui sont le lot de tous les auteurs de dictionnaires (amoureux ou pas), encyclopédies de ceci ou de cela, alors que vs ne visiez manifestement pas à l’exhaustivité). On peut voir venir le malentendu & hésiter à s’expliquer en détail parce que le commentaire est déjà trop long.

    Je le regrette, parce qu’on aboutit exactement au contraire de ce que je défendais, à une catégorie attrape-tout, ds laquelle tt est censé se valoir puisque l’on ne parle plus des textes (alors que ce sont eux qui font ou défont le romancier ou la romancière). Une telle approche, que l’on pourrait qualifier de quasi « communautariste », ne rend service qu’aux plumes médiocres (ni plus ni moins que leurs collègues masculins) & à « l’industrie culturelle », pas à la littérature (loi de Gresham oblige).

    Il ne s’agit pas de mépriser systématiquement les personnes qui écrivent des livres « pour le plus grand nombre » & encore moins leurs lectrices, mais de ne pas succomber, avec les meilleures intentions du monde, aux arguments fallacieux de l’industrie du divertissement : accepter le nivellement par le bas, ou plus exactement le remplacement, la substitution des œuvres par des marchandises, c’est surtout enfermer ce « plus grand nombre » ds le piège de la consommation de produits standardisés, interchangeables, jetables après usage & fabriqués pour faire marcher le commerce : livres, mais aussi films (d’ailleurs moins le produit est complexe, plus il passe facilement d’un medium à l’autre, en ts sens — par adaptation ou novellisation), & un certain type de musique. « Enfermer », car ces produits formatent leurs consommateurs, créent des habitudes (de « guidage », de gratifications) & des intolérances, des incapacités — qui n’étaient pas innées. Il me semble que supposer a priori que les gens ne seraient pas capables, qu’ils ne s’intéresseraient qu’à ce qu’ils connaissent déjà ou à ce qui est censé leur ressembler (ou les délasser ou les faire rêver) & donc se réserver les œuvres constitue le pire mépris (& une prophétie auto-réalisatrice). Les caractéristiques attribuées à la demande permettent aussi (voire surtout) de justifier la piètre qualité de l’offre.

    [N.B. 1) le succès n’est pas nécessairement l’indice d’une « non-œuvre » : il doit être encore possible que des œuvres rencontrent un assez large succès, qui ne serait donc pas tjs fondé sur un malentendu ; 2) par ailleurs « œuvre » & obscurité, difficulté d’accès, ne sont pas nécessairement synonymes ; 3) ne pas imaginer que ce plus gd nombre dont il est question ne concerne que des pauvres &/ou des gens non ou peu diplômés 4) NESCIO : je ne sais pas].

    (Il faudrait revenir à nos brebis & affiner certaines réflexions, mais ce commentaire prend déjà trop de place.)

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  3. Enfin le Salut par les Juifs n’est pas le texte le plus antisémite de Bloy. Au contraire! On revient là à Mr Perrichon demandant pour sa fille à la gare un livre qui » ne parle pas d’amour, » etc et qui se retrouve avec l’annuaire des chemins de Fer! Notre époque a de ces raffinements là…       MC

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  4. Mais Closer je ne fais pas un tableau d’honneur. et un tour operator complet.. J’oublie sans doute bcp d’auteures, d’autoresses, d’autrices, d’autrichiennes… Je devrais même m’ indigner d’avoir oublié une de mes romancières vivantes préférées: Chantal Thomas.

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  5. Il était temps, Paul! Il s’en est fallu de peu que vous oubliiez celle qui devait être citée en premier parmi les vivantes: Yasmina Reza.

    Et Amélie Nothomb, qui ne joue pas dans la même catégorie mais est une excellente écrivaine.

    Oubliez Yasmina Reza…J’y crois pas.

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  6. Je me doutais bien de cette réponse dont je partage évidemment l’argument. Décidément, je dois me procurer cette Hélène Lenoir réexhumée par les soins d’E/N… Je l’avais un brin oubliée, mais pas votre vibrant éloge… Bien à vous,

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  7. Je suis contre les interdictions de publier, contre la censure, . Je suis comme PIerre Assouline, je crois vraiment qu’ Il faut que les textes soient édités, même « Mein Kampf » , même les pamphlets de Céline, mais avec une préface, une toujous une contextualisation faite par des historiens ou sociologues ou des philosophes pour que le lecteur puisse comprendre pourquoi, à telle ou telle époque, de tels délires ont séduit autant de gens.

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  8. Chère Elena, oui j’ai « oublié » Hélène Lenoir… il est impossible de faire une liste des « autrices » féminines contemporaines françaises . Oui, j’ai oublié Hélène Lenoir.. mais j’en ai oublié tant d’autres. .Liste complète impossible..de Célia Houdart à Clémentine Mélois , de Caroline Lamarche à Maryse Condé ,d’Amelie Nothomb à Yasmina Reza, de Zoé Valdés à Leila Slimani, de Véronique Olmi à Muriel Barbery sans oublier l’autrice la plus lue en france :da Costa et toutes celles qui font les meilleures ventes, d’Agnès martin Lugand à Aurelie Valognes. Je ne les méprise pas. Il faut du talent pour intéresser le plus grand nombre de ceux qui entrent dans une librairie.

    . enfin, oui on peut tout a fait contester  »écriture féminine » je le reconnais bien volontiers. Par expérience, je me précipite sur les romans écrits par des femmes sachant que leurs sensibilités apportent des territoires nouveaux. je remarque aussi que dans leurs publicités sur le Net ou dans les affiches en librairie les grands éditeurs, Gallimard en premier, met en avant les « autrices » contemporaines » et leur fait une pub particulière sachant que c’est un argument attractif efficace .

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  9. @ Le salut par les Juifs » qui ne peut être ré-édité dans son intégralité.

    Oui, d’accord mais, contesteriez-vous cette décision de justice qui a demandé à l’éditeur de ne pas le rééditer, à moins d’en supprimer les passages litigieux ?

    (nb/ De toute façon, on peut toujours le retrouver dans les bibliothèques nationales, si on veut vraiment le lire dans son intégralité).

    Pouvez-vous plutôt argumenter,Paul, sur l’enjeu de cette « décision de justice » qui,me semble-t-il, ne visait pas à intenter à Bloy lui-même un procès posthume pour antisémintisme forcené (ou irait-on, alors ?), mais bel et bien à condamner « l’éditeur Soral » à avoir délibérément cherché à propager des textes « incitant à la haine raciale » aujourd’hui.

    Bàv,

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  10. Un point de vue d’une rare profondeur… Merci elena/Nacio… Je faisais allusion aux « romans ». Je n’ai jamais prononcé le mot « d’écriture féminine ». Paul E., lui, a parlé « d’écriture-Femme« . J’apprécie votre défi de faire lire un texte à l’aveugle à un homme et à une femme très cultivés pour les départager sur le ‘genre » de ce texte. Je me souviens qu’Anne Garetta avait jadis publié un roman (Sphinx) où il était impossible de savoir qui était le narrateur ou la narratrice de ce roman autobiographique…, Je me souviens que les lecteurs et lectrices avaient été mis à l’épreuve d’en décider (resté à l’état de projet, car les dés étaient pipés et ce bouquin est tombé aux oubliettes (?).

    Vous dites : « il y a de tte façon ceux qui sont écrits avec les pieds, féminins ou masculins, les complaisants — mais il y en a d’autres : ce n’est qu’à partir de ceux-là, & non des premiers, qu’on peut essayer de théoriser« . Certes, mais qui va les départager et nous parler des seconds à partir de quoi on va pouvoir essayer d’atteindre la psychè de l’autre ?…

    Et aussi ceci, en forme d’interrogation ouverte mais avec un jugement redoutablement inspiré : « on finit par se demander, à la Sartre, si ce ne sont pas les misogynes & tt aussi bien (ou mal) les « philogynes » (féministes mais aussi vrais croyants en un mystérieux éternel féminin qui voient des fées partout ou rêvent d’Hécate) qui créent « Le Féminin », La Femme. »

    In fine, je me demande alors ceci : connaît-on des philogynes féministes croyant, en plus, à un « mystérieux éternel féminin » ? Si personne n’est capable de proposer un ou des noms qui puissent faire consensus à ce sujet, alors nous dirons que nous autres, les lecteurs féministes, avons temporairement gagné la partie avec les écrivaines féministes progressistes, laissant sur les grèves du littoral atlantique se dissoudre les débris des tessons de bouteille. Bàv,

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  11. Bien sûr, Soral est l’éditeur condamné par la Licra ,il n’empêche que c’est bien un texte de Léon Bloy « Le salut par les Juifs » qui ne peut être ré-édité dans son intégralité.

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  12. Paul Edel, vous n’auriez pas oublié Hélène Lenoir ds votre liste ?

    Quand vs parlez de « roman féminin » (« mes goûts personnels en matière de »), je suppose qu’il s’agit seulement de faire bref, & que vs vouliez simplement évoquer « des romans écrits par des femmes », & non pas désigner ni ratifier une catégorie littéraire spécifique. Sinon, on ne comprend plus très bien, car « roman féminin » (qui déplace à peine le problème littéraire posé par « écriture-femme ») semblerait contredire votre « mais franchement qu’est-ce qui rassemble […] ? » (Ds le préambule à L’écriture-femme, Béatrice Didier pose la question : « Viendrait-il jamais à l’idée de quelqu’un d’écrire un livre sur l’écriture masculine en traitant indifféremment de Sophocle, de Saint Jean de la Croix, de Stendhal, de Claudel? »)

    L’adjectif « féminin » me semble d’un maniement délicat (certes, 1) il dénote ce qui se rapporte aux femmes, mais 2) il peut aussi avoir une connotation normative ; deux antonymes : 1) « masculin » & 2) « viril »). Difficile de ne pas y voir (de ne pas craindre) la prémisse d’une approche thématique &/ou d’une réduction à la psychologie. B. Didier, toujours : « [le] piège : cantonner l’écriture féminine dans l’intimité et dans l’intimisme » (ou les sentiments, ou le narcissisme, ou la frivolité, ou la délicatesse, ou je ne sais quoi — car on finit par se demander, à la Sartre, si ce ne sont pas les misogynes & tt aussi bien (ou mal) les « philogynes » (féministes mais aussi vrais croyants en un mystérieux éternel féminin qui voient des fées partout ou rêvent d’Hécate) qui créent « Le Féminin », La Femme.

    La spécificité supposée résisterait-elle à des tests en aveugle (sans accès à internet pour tricher…) d’extraits anonymes (& « anonymisés » en effaçant par ex. des noms de personnages trop reconnaissables) soigneusement choisis : saurait-on distinguer ceux écrits par des femmes, dans quelle proportion ? Le récit, terrible, d’un avortement clandestin ? Ah non, tiens, c’était Nizan. Si j’avais le temps, mais il est tard, je vous chercherais aussi qq auteurs « délicieux » …

    Il y a de bons & mauvais romans quel que soit le sexe (ou le genre ?) de l’auteur, mais aussi (dans une certaine mesure) quelles que soient ses idées, son orientation idéologique. Je remarque que votre ami, JJJ, ne fait pas de distinction (apparemment) entre des genres différents — roman & poésie, & essais — qui me paraissent relever d’écritures différentes. Mais il est vrai que Paul Edel évoquait aussi les « témoignages »… À moins d’être un mauvais roman à thèse, un roman ne se réduit pas à un « message » ni à l’histoire racontée, l’anecdote — une autofiction non plus. C’est pourquoi, s’agissant de V. Springora (mais je ne parle que d’après des échantillons, trouvés vraiment mauvais) je ne vois pas comment cela pourrait apporter quoi que ce soit à la cause censée être défendue.

    (En revanche, je crois comprendre & partager (de l’autre côté, à partir de l’autre rive) ce qu’écrit Paul Edel sur l’intérêt de l’immersion ds le point de vue d’un(e) représentant(e) du sexe (ou du genre ?) opposé. Ce n’est pas toujours gratifiant cette intrusion dans une psyché (ou un mode de pensée ?) qui ns reste en partie étrangère (en partie seulement, il y a assez de « commun » pour comprendre ce qui se dit comme on ne nous le dit jamais directement parce que c’est sans doute impossible, oralement ou même par écrit, mais sans le détour par la forme-roman). Mais comment obtenir, sinon, ce regard éloigné ou du moins décalé par rapport au nôtre ? Comment accéder à une autre perspective ds sa logique, sa cohérence propres ? Je pense aux romans de Max Frisch — son Barbe-Bleue par ex, mais pas seulement. Il y faut un véritable écrivain, une nécessité de l’œuvre, & une forme d’honnêteté, de probité envers soi-même ; romans ou autofictions, il y a de tte façon ceux qui sont écrits avec les pieds, féminins ou masculins, les complaisants — mais il y en a d’autres : ce n’est qu’à partir de ceux-là, & non des premiers, qu’on peut essayer de théoriser.

    (Je me contredis peut-être un peu d’un § à l’autre — je dois croire à un « éternel masculin »…)

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  13. Voici donc le message que cet ami de J J-J vous adresse par mon entremise (je le copie-colle).

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     » Cher Monsieur A. – puisque, me suggère-t-on, il faut garder l’anonymat de son interlocuteur alors même que certains de vos livres ont été des compagnons de chevet alors que j’étais jeune écrivain (j’espère également ne pas être sommé d’avoir à les énumérer mais l’un d’eux est un récit où il est beaucoup question de silence et a paru en 1999).

    Je n’ai pas grand-chose à ajouter (à ce que j’ai dit ou écrit) sur « la grande Annie Ernaux » comme vous la qualifiez. Heureusement, comme souvent, l’histoire littéraire fera le ménage.

    Il n’existe, selon moi, pas « d’écriture féminine », mais plus sûrement un regard de femme(s). Pas plus qu’existerait une « écriture masculine ». Plus volontiers un écrire pour être, ou une école du regard, si l’on doit absolument se mettre en régiment. S’offrent alors à nous objectivement de bons auteurs – vous les avez cités : la délicieuse Muriel Cerf, la dégingandée Chantal Chawaf, la passionnée Jeanne Hyvrard, la célinienne Christiane Rochefort, et évidemment, celles qui, par inadvertance, vous ont échappées (pour s’en tenir à la France et au XXe siècle – car Woolf est hors-concours) : Colette, la grande dame des confitures et écrivain majeur ; Sagan, la Hussarde parisienne sur un toit brûlant ; les Amazones amoureuses, Anna de Noailles et Renée Vivien, et notre Dostoïevski en tailleur, Yourcenar.

    Vos « auditeurs » (comment doit-on dire ?) entendent maintenir la confusion entre « écriture féminine » et « écriture féministe » (les Benoîte Groult, Annie Leclerc, Marie Cardinal, Julia Kristeva, Hélène Cixous, Christiane Olivier, etc.) de sorte que si l’on émet un poil de cul de réserve quant à la qualité de leur production, on est immédiatement affublé d’adjectifs d’oiseaux précieux dont « facho » et « misogyne » se taillent la part du slip.

    J’admire la belle audace de votre panthéon égoïste : notamment Camille Laurens et Catherine Cusset – mais, après tout, pourquoi pas : c’est aussi à cela que sert notre littérature contemporaine (ces femmes ont gagné beaucoup d’argent avec leurs livres. On fait tout avec de l’argent, même sale, excepté proprement des écrivains). Je m’étonne de votre étonnement (le succès de Virginie Sparadrap – le livre est interchangeable, il n’est plus ici question d’univers, mais de la reconnaître elle, le « je » romanesque épouse alors totalement le moi ronron) 

    Quant à Delaume, Angot et N’Diaye : mon Dieu – des livres et nous.

    Despentes : joker. Difficile d’expédier le cas d’un trait, très inégal Baistaire (par ex. la trilogie Subutex).

    Pour Monique Wittig, elle revient à ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une mode.

    Pauline Réage s’est effacée devant son amant gallimardeux, c’est bien dommage.

    J’ai convoqué, pour procès, Beauvoir et Duras dans mon dernier essai, que JJ-J se plaît à qualifier de « pamphlet » : on se demande parfois si les sociologues savent lire.

    Ma position est la suivante : l’autobiographie (sous forme de « témoignages » et de « documents », Kouchner et aliae) a contaminé le roman et détourné les codes de l’autofiction (comme définie par Philippe Lejeune, et brillamment visitée par J. Green et J.-L. Bory). D’où une sorte de gloubi-boulga. Je fatigue vite derrière un écran. JJ-J vous résumera tout cela très bien, j’en suis sûr. En revanche, je peux vous faire tenir un exemplaire de celui-ci, où vous le souhaitez, si vous le souhaitez. Je ne fréquente pas les réseaux sociaux et ne maîtrise pas l’outil informatique. Je m’en excuse platement.

    Un fâcheux – Philippe Pichon, « 

    _________________________

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  14. Merci PE, pour votre réponse… Je n’en attendais pas tant…

    J’y reviendrai peut-être mais, en attendant, je vais la forwarder à un ami écrivain avec lequel je suis souvent en désaccord sur la question…, auquel j’avais signalé votre billet sur Annie Ernaux. Il m’avait répondu avoir aimé certains de vos bouquins. et serait curieux de connaître votre avis sur les écrivaines vues par… Paul Edel (car il vous connait par ailleurs sous votre nom véritable). Or, quelque part, vous venez de lui/nous répondre, ce dont je vous en remercie à nouveau… Je trouve cela vraiment sympa de votre part.

    Et maintenant, je le laisse libre de réagir. Il serait bon qu’il le fasse, à visage découvert ou sous pseudo. Libre à lui de vous développer ses propres arguments résolument hostiles à la littérature qu’il qualifie de « vaginale »…, et de vous brancher sur ses références, le cas échéant. (Comme il n’aime pas trop intervenir sur les réseaux sociaux, s’il vous répond, je continuerai à jouer aux facteurs).

    Bien à vous,

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  15. JJ-J Oui, c’est une suggestion intéressante mais pour moi, impossible à traiter. Trop complexe, trop vaste.Chaque écrivain (e) est un monde,une planète. Photo de groupe impossible. ême si je vois bien que chaque génération apporte son ton, ses thèmes, sa manière.Il y a la génération dominée par Virginia Woolf avant guerre. En France la génération dominée par Beauvoir puis l’influence Duras sur certaines écrivaines contemporaines.

    Mais franchement qu’est-ce qui rassemble Dominique Rolin, Muriel Cerf,Danielle Sallenave, Marie Claire Blais, Monique Wittig,Pauline Réage ou Nina Bouraoui ?

    Je vois pas.

    Ou plus prés de nous Neige Sinno Chloé Delaume,Christine Angot, Marie Ndiaye ,Camille Laurens, et Catherine Cusset ? Franchement je ne vois pas. Il faudrait être un sacré bon sociologue ou une sorte de génial Bourdieu pour analyser ça. Et en tirer quelles conclusions ?

    Selon moi il y a la grande différence : c ’est celle de la valeur littéraire des textes, aussi disparates soient-ils, la valeur artistique en dehors de l’intérêt d’émancipation et de militance féministe .C’est comme les clivages politiques en littérature… Faut-il encenser Malraux et brûler Céline ? Faut-il lire et relire le Zola dreyufusard et brûler le catho Léon Bloy qui fut récemment poursuivi par la Licra ?  

    Mes goûts personnels en matière de roman féminin me portent vers Nina Bouraoui , Virginie Despentes, Catherine Cusset, la grande Annie Ernaux, Camille Laurens alors que j’ai du mal à entrer dans les univers de Lydie Salvaire ,Nancy Huston, ou Chloé Delaume.. Récemment j’ai lu avec intérêt « Fille » de Camille Laurens qui cherche à décrire et comprendre le désir des filles pour d’autres filles.Chaque auteure nous découvre , à nous lecteurs hommes une complexité nouvelle. C’est un immense apport.

    Et où placer littérairement les « témoignages » de Vanessa Springbora, ou  Camille Kouchner qui ne sont pas des fictions mais apportent bcp au féminisme.

    Ce que je reconnais c’est la puissance de toutes ces auteures pour dénoncer le patriarcat, la domination et les violences masculines . et une manière de labourer, changer et bouleverser l’histoire littéraire, l’esthétique du roman, d’agrandir de manière sidérante le territoire littéraire. Enfin, ce qui m’a le plus frappé, comme ça, tout à trac, c’est chez ces écrivaines une manière toujours originale de parler du corps féminin.

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  16. J’espère qu’un jour, Paul, vous raconterez précisément sur votre blog votre « position » d’écrivain, si vous en avez une, à l’égard de la « littérature-femmes » des écrivaines. A moins que vous ne l’ayez déjà fait.

    C’est une question qui me taraude la curiosité, bien que je ne sache comment mieux la qualifier… Je nourris l’espoir de vous lire bientôt en vous laissant rebondir comme il vous siérait, y compris sur l’équivoque de cette simple terminologie. Bien à vous,

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  17. Ce récit dont vous parlez l’a sans doute sauvée comme Christine Angot le sien, parce que ce n’était pas de gaieté de cœur qu’une femme se faisait avorter à l’époque : obligation, échappatoire plutôt que choix, qui, aujourd’hui est légiféré.

    J’aime énormément la jubilation avec laquelle vous racontez plonger dans l’écriture. J’entendrai presque le rail de la machine à écrire qui revient à la ligne. En tête, Humphrey Bogart, pkoi, je ne sais.

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  18. Très beau parallélisme de vos biographies, PE, avec celle d’AE. Jamais n’avais-je eu l’occasion de lire de la part d’un écrivain une approche aussi empathique à l’égard d’une collègue devenue plus célèbre… Pas de frustration apparente chez vous, mais un diagnostic profond sur ce qui aurait ultérieurement expliqué la différence de vos trajectoires après vos adolescences. Pour vous, Paul, le bonheur d’être enfin parvenu à vivre de vos mots en vous libérant de votre condition, ressenti comme une extase, une euphorie, une folie. Pour elle, Annie, le début d’un long « règlement de comptes », dites vous également, qui n’allait peut être jamais s’apaiser.

    Deux remarques à ce sujet : tous les livres et romans ultérieurs d’Annie E. ne seront certainement pas que des « règlements de compte » bourdieusiens, quasi clopinesques, à savoir ceux d’une féministe à jamais radicalisée. Sa veine littéraire est bien autre chose, quoique les fâcheux essaient de lui dénier aujourd’hui, surtout depuis son Nobel empoché… Par ailleurs, il me semble que vous devriez avoir bien conscience de que vous n’aurez jamais eu à subir et à vivre, un combat supplémentaire à la suite de l’extraction de votre propre condition. Pour elle, celui de vouloir devenir une écrivaine obstinée et opiniâtre à une époque où ce statut et cette reconnaissance n’allèrent jamais de soi… C’est toujours, me semble-t-il, le point aveugle de ces écrivains qui comparent leur trajectoire avec des écrivaines : ils mesurent rarement le fait que la libération relative de leur milieu prolo se paient toujours pour elles d’un autre labeur auquel elles ont à sacrifier leur vie entière, qui a un nom tout simple : celui de devoir aussi se libérer de lala domination masculine persistant sous toutes ses formes, alors que chez leurs homologues masculin, un seul moment d’échappatoire euphorie aura suffi à les défaire de l’oppression de leur milieu d’origine.

    Je crois que, sans aucune démagogie, il ne faille oublier cet élément de taille expliquant la coloration très différentes des styles « d’engagements » et d’investissements dans les écritures respectives, même si l’on trouvera toujours bien plus d’écrivains que d’écrivaines à soutenir dans le déni que la « vraie » littérature n’aurait point de sexe.

    Cela dit, PE, votre relecture des Armoires vides (1974) reste un petit bijou qui, personnellement, me va droit au cœur, car il sait nous parler de vous sans affèterie et vous rend très attachant et sympathique. Je vous en remercie.

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