Curieux ce mois d’août pour un critique littéraire ou un juré de prix d’automne. Il parcourt des routes du Sud ou du Centre avec la chaleur qui tremble à perte de vue sur les champs. Dans le coffre de la voiture, des piles de jeux d’épreuve tenues par un caoutchouc.

Maisons d’amis aux meubles bien cirés, location dans les Landes , longère bretonne et ses hortensias, hôtels avec piscine, et puis un coup de fil d’une attachée de presse rompt le silence des lentes lectures de l’après-midi, et on devine derrière une stratégie éditoriale, ou bien un confrère qui vient de tomber sous le charme d’un texte et ,comme un jeune amoureux, il veut déverser son trop plein d’ enthousiasme à un ami.
Quel est le calcul en filigrane, et quel jeu de billard à trois bandes chez ce directeur littéraire qui en général n’appelle pas pour rien ? Entre grillades au romarin ,baignade ou sieste, les épreuves sont là, éparpillées sur les dalles d’une terrasse ou la toile d’une chaise-longue. Le critique suit donc tout au long de l’après midi de longues houles de phrases ( quelle curieuse solitude bavarde se dit-on parfois..) ou il dilue son attention dans des confessions familiales étirées ;et en même temps il se demande si son goût ne s’est pas émoussé à se crever les yeux sur des textes qui naviguent dans une très honnête moyenne sans aucune surchauffe imaginative. Sans oublier la bascule des sentiments compliqués d’une page à l’autre : curiosité, indifférence, sursaut, grisaille, baisse de tension, puis électricité nouvelle d’un chapitre à l’autre. Parfois c’est la clairière inattendue, la fête ! ce sont des pages parfaites, le critique est soulevé d’émerveillement par la justesse ou la brutalité imaginative d’un passage.
Sept heures .La chaleur stagne sous les tilleuls, l’heure de l’apéro, la bascule du soir, les ombres longues, et sa douceur de clapotis, et le critique laisse derrière lui ces heures de lecture avec des sentiments mélangés, car ça laisse un curieux sillage d’émotions disparates cette croisière dans l’intime d’autrui, ces heures de lecture derrière les persiennes , dans l’épais du papier, et pour quelle justice , et sur quoi la fonder ?
Enfin, comment ne pas rappeler le mot de Scott Fitzgerald : »Écrire, c’est nager sous l’eau ». Pour le critique aussi, lire, c’est aussi nager sous l’eau.
Attention aux vagues submergeantes à Saint Malo, Paul!
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