(Une salle de café banale. Un seul client, la soixantaine, Bertrand, il a un imperméable douteux, sale, et un pantalon pas repassé. Chaussures en mauvais état. Chapeau genre vieux galurin qui a subi les intempéries Il se passe souvent la main dans ses rares cheveux. Il a posé avec soin un vieux porte-documents usé sur la table. La serveuse Roxane, jeune, met la machine à café en marche , change la feuille du calendrier hippique, redispose certaines tables et chaises . Bertrand chantonne le premier mouvement Adagio molto de la symphonie N° 1 de Beethoven- .Il constate que sa table est bancale et tente sans succès de la stabiliser. Roxane va chercher un morceau de journal cale la table . )
Bertrand. ..merci Roxane…ça va ? Roxane ? ..ça va ?..
Y’a encore eu une fiesta hier soir ?
Roxane. Un karaoké.
Bertrand. (incrédule) Un karaoké ? Et vous ? Ça va ?
(long silence)
Roxane. Ça vaaaaa…
Bertrand. Ça n’a pas l’air d’aller si bien que ça..
(long silence) Roxane Je vous parle.Vous avez fait la fête hier soir? Vous étiez là au..karaoke ..(il se lève pour aller au comptoir)Y’a pas de journaux ce matin ?
Roxane. Je fais pas la fete. J’aime pas les karaoké.
Bertrand. Et Ouest-France ? Et le Télégramme ? Et l’ Équipe ?
Roxane. Plus de journaux avec le nouveau patron. Economies.
Bertrand Et le machin ,le globe en verre qu’était là?
Roxane. Le distributeur de cacahuètes ? Le nouveau patron l’a bazardé. Il a bazardé Fred en même temps.
Bertrand.Fred ?
Roxane. Viré. Viré sans indemnité.
Bertrand. C’est légal ? (silence)
Roxane. Légal ? Mais il s’en fout.. La légalité..
Bertrand. Pourquoi il l’a viré ?
Roxane. Il arrivait en retard. Il ouvrait avec vingt minutes de retard. Faut bien qu’il conduise sa gosse à l école non ? Quel salaud.
Bertrand. Quel salaud. Le nouveau patron c’est le type en survêtement ? Costaud ? Avec des cheveux gris? Pauvre Fred. Il faut qu’il se défende. Roxane je peux avoir mon café ?Bien serré. (Il se regarde longtemps les mains) Quel salaud…
Roxane. Le nouveau patron a une sale réputation dans le coin. Il a déjà racheté deux crêperies.et viré l’ancien personnel. c’est un arnaqueur. (elle montre une facture) Il vient de commander 5O kilos du café robusta au lieu d’arabica. Le café passe à deux euros la semaine prochaine, pour la braderie.
Bertrand. C’est légal tout ça ?
Roxane. D’où vous sortez ? D’un monde de bisounours ? Mais d’où vous sortez ? ( Roxane lui apporte un café,et un sucrier avec un curieux bec verseur qui semble bouché.Long silence. Bertrand examine son café et secoue le sucrier et son bec verseur)
Bertrand. Je sors du Conservatoire de Musique de Paris, promotion 1970. classe Nadia Boulanger. (un temps)
Roxane. On vous a pas appris à cirer les chaussures au Conservatoire de Paris 1970 .
Bertrand. Le problème avec les chaussures, c’est le cirage.Vous avez pâs un autre sucrier ? On vend des crèmes aujourd’hui, des crèmes nourrissantes comme pour la peau. Je préfère le bon vieux cirage Lion Noir . (un temps) Enfin je préférais. Tout ça.. maintenant… Où il est Fred actuellement ? (il sucre son café) Fred il aurait jamais laissé passer ça.Un sucrier bouché . (un temps)

Qu’est-ce qu’il fait maintenant ? Où il est ?
Roxane. Il travaille sur la zone de carénage de Sablons. Il nettoie la merde qu’il y a sur les coques de bateau. Il nettoie au jet toute la merde sur les yachts à deux millions. Les algues pourries,les coquillages. Vous pouvez aller lui dire bonjour Il a une belle combinaison jaune et toute la matinée il nague en bottes dans les algues pourries Voilà où il en est. Et vous ? Qu’est-ce que vous faites de vos journées ? Hein ?
Bertrand. Je regarde la mer.(un long silence.Il se regarde les mains.)C’est difficile d’en parler. (silence) Je suis venu ici il y a six ans . Je suis venu avec les oiseaux.
Roxane. Du conservatoire de Paris ? Y’a un vol direct ? (elle rit,pas lui)
Bertrand. Je suis venu en Novembre avec les oiseaux.(silence) ça vous fait rire pas moi. (un silence) . J’ai repéré des peti-tes bernaches vers La Richardais. Il y a beaucoup de malentendus entre les hommes et les oiseaux, je le sais. Et ça me navre. Les grands vols de Novembre,les oiseaux et leurs migrations.Qui s’y intéresse ? Pas vous ?
Roxane. Mon fils. Oui. .
Bertrand. (silence) C’est inquiétant le soir la mer, en face chez moi aucun oiseau: cette lumière sans fin,c’est lisse, argenté. Le rien. Pareil qu’autrefois et que demain.. comme autrefois, avant que mes parents soient nés et pensent à moi .. hier comme demain ,et ça continue.. le soir aucun poisson visible (silence) Mon Dieu. Je donnerai bien ,certains soirs, un peu d’argent pour voir un oiseau.. Une bernache.. Mais rien. certains matins devant la mer je suis saoul de lumière. (il marmonne plusieurs fois) C’est sacré..
Roxane. Vous exaltez pas. Bertrand. Quand je la regarde le soir il y a déjà l’idée de départ. (un silence) La mer…C’est inclus.Vous comprenez. On a à peine le temps de goûter deux plateaux de fruits de mer et vous on visse déjà le cercueil sur le crâne.
Roxane. Oh, quand vous partez comme ça.. j’aime pas trop….
Bertrand.Comme quoi ?
Roxane . Exalté. Ils sont tous comme vous à Paris ?
Bertrand. Je suis pas exalté.Dés qu’on parle pas comme vous,ici, on est exalté. J’ ai du caractère, une vision de la vie. C’est tout. Une vision claire et nette de la vie .
Roxane. Il vous arrive d’avoir mauvais caractère.
Bertrand. Il y a tellement de gens qui n’ont pas de caractère du tout. J’en ai connu tellement devant un clavier qui n’avaient pas de caractère. Rien. Même devant une partition de Schumann. Aucun caractère .(silence) J’ai connu
des pianistes ils se font des têtes de prophète ou de gendre sympa, smoking impeccable mais devant une partition de Schumann, rien.
(long silence,il boit)) Pas mal ce matin le café. Meilleur.Vous êtes en progrès Roxane. Et votre chignon est superbe.Ni trop haut ni trop bas. . C’est bien. (silence) La mer, c’est le de départ définitif Roxane.. Et quel éloge de nos vies vous ne trouvez pas ? Chaque vaguelette parle de nos vies. Il y a une vaguelette qui parle de vous. Qui ne nous deux disparaîtra avant d’avoir fait ouf ? Vous le savez ?moi pas. Vous m’écoutez Roxane ? …C’est pas fait poxur les gens ordinaires la mer , les avachis de la bedaine du mois d’août, ils se doutent de rien ,ils se tartinent de crème et fond des sudoku . complètements ravagés. Vous , vous avez compris certaines choses, à mon contact. A notre contact il se passe des choses. Et à celui de Fred. Avec vo,us deux, vous.. Vous felevez le niveau du quartier. A certains moments de la nuit je pense à vous . (un long silence) Il est vraiment royal ce café.Vous y avez ajouté quelque chose ? En quelques mois vous avez fait des sacrés progrès. Un café comme ça, ça sent Istanbul.. . Le Caire.. Venise.. Les grandes civilisations raffinées sont dans cette tasse. (silence) Je me sens heureux de vivre ,merci Roxane. Quand je suis arrivé de paris il y a six ans j’étais dans un sale t état.
Roxane. Ca se voyait.
Bertrand. On sent qu’il a été fait par une fille de la terre. Nous sommes de pauvres emmurés Roxane. Vous le savez ? ( ton confidentiel) Roxane, la mer. … elle épuise nos attentes.. elle ne devrait pas être permise à n’importe qui.. les gens normaux devraient s’en méfier…L’accès auix plages est trop facile..
Roxane. Des fois, je comprends pas bien où vous voulez en venir. ..C’est quoi cette histoire de Conservatoire ?
Bertrand. Entre mon enfance et aujourd’hui il n’y a eu que ça. Piano. Six heures par jour. En 1972,pas d’enfance, pas d’adolescence. j’ai été Second au le Concours international de piano de Leeds, derrière Radu Lupu .(Il regarde longuement ses mains)Avec ça. J’ai conquis des foules. (il é »carte les doigts) Je peux faire des aprèges immenses.. Il paraît que j’ai les mains de Liszt. J’ai bien aimé jouer avec Perahia. Buenos Aires.Berlin. Belgradee Cracovie. Nairobi. Tachkent. Oui, j’ai même joué à Tachkent Interessant. Jusqu’au casino de Biarritz. (il étale ses mains bien à plat sur la table) Mes mains. Horszowski et Richter ont été mes maîtres.

J’ai connu dix ans d’âge d’ or. Entre 1972 et 1982.A mon dernier concert à Gaveau , j’ai joué Ma mère L’Oye et Frontispice. Ravel. Mon tempo a flotté paraît-il dans Frontispice. Normal je l’ai senti dés le départ : public médiocre. Dans ce métier il faut s’ habituer à affronter des publics médiocres. Richter le savait bien. Il a fini par jouer dans une grange.
Roxane. Aoprés Buenos Aires et Berlin ça doit vous faire drôle d’être ici. Ici dans ce café ?
Bertrand. Je suis revenu ici parce qu’il y a la mer. Toute
mon enfance., tous mes étés ici quand j’ étais enfant. Les salles miteuses et les décalages horaires m’ont usé. Ici, avec vous, je suis bien.

Roxane.Oui, vous me le dites tous les matins.
Betrand. C’est large, c’est nu la mer c’est immense c’est pas fait pour des humains. On ne peut pas s’y habituer, on ne peut pas s’en lasser. C’est tout ce qu’il me faut à mon âge. (Pause) J’ai même joué au Gewandhaus de Leipzig.Avec Sawallisch qui dirigeait en 1981.Il m’adorait.
Roxane . Qui ?
Bertrand. Wolfgang Sawallisch. Spécialiste des symphonies de Schumann. Remarquable. (il chantonne un thème de « La rhénane » ) Je peux avoir un autre café ? Essayez de faire encore mieux. Très serré.
(Un long silence. Roxane sert le café.Betrand lui attrape une main .) vous voyez ma main gauche. On dirait n’importe quelle main, elle a fait dezs merveilles dans Ravel. En fait elle est maudite. Des fois je me réveille en pleine nuit, j’allume et je regarde cette main posée sur l’oreiller.. Maudite. Je vais vous expliquer. Avec Radu Lupu à Belgrade on retapait une vieille Jaguar, on était chez lui , on démontait le carburateur et je me suis abîmé la main , le tournevis a dérapé .Au début,j’ai cru que c’était rien, mais le tendon était touché, plusieurs opérations douloureuses , ma carrière était foutue. On voit encore la marque (il agite un doigt. Il prend une main de Roxane.)
Touchez ! Vous sentez la cicatrice ?
Roxane. Je peux reprendre ma main ? Merci.Alors qu’est-ce ce que vous faites de vos journées ? Vous avez gardé un piano ?
Bertrand. Dans la journée c’est calme,la nuit tombe.il n’y a personne c’est encore plus calme alors j’enfile un gros chandail, je suis frileux. Je scrute le ciel. Pas beaucoup d’oiseaux. Il fait beaucoup trop froid là haut.
Roxane. J’ai remarqué.
(silence) Mais j’ai l’impression que vous me racontez ça comme si vous auriez voulu que quelque chose arrive entre nous quand vous parlez des oiseaux.. quelque chose entre nous.. arrive et.. ça.. ça.. (elle se trouble) Qu’est-ce qui me prouve que vous avez été un grand pianiste ? Que voous avez joué avec.. avec ces messieurs..
(Il sort de son vieux porte-document des partitions en lambeaux et crayonnées.. un article de journal vieux et jauni )
Bertrand. Lisez. Ça c’est moi.. France-Soir 12 novembre 1976. Lisez. Dernière page. Ivan Morvec triomphe dans Debussy et Ravel Regardez la photo. C’est moi .
Roxane. Ivan Morvec ? Vous vous appelez pas Ivan Morvec ? C’est nouveau ça. C’est pas vous !
Bertrand. C’était mon nom de pianiste. Bertrand Le Goellec, ça plaisait pas à mon agent. Il m’a dit Bertrand Le Goellec ça fera pas un rond ,c’est un nom de joueur de biniou Le Goellec . Prends un nom à consonance slave. Si tu changes de nom et de fringues, si tu vas chez le coiffeur je m’occupe de toi. Pour le reste c’est 12 %. A prendre ou à laisser.
Roxane. On vous reconnaît pas sur la photo. Tous ces cheveux noirs. Quelle tignasse vous aviez…
Bertrand .J’ai vieilli.la photo date de 1976. Mais regardez l’arête de mon nez..l’écart entre mes sourcils. Mes lèvres, ce sont mes lèvres,non ? Mêmes lèvres que ma mère. Sensuelles. Pleines de confiance dans la vie.
Roxane.Mouais. (elle lui redonne l’article pas convaincue) un type élégant ce Morvec.
Bertrand. Vous ne me croyez pas…
Roxane.Je sais pas..C’estt quand même curieux. Il y a une partie du visage.. le bas.. oui.. J’ai un beau-frere comme ça ..Il raconte qu’il a fait la guerre d’Algérie. Dans les djebels Mais les dates ça colle pas. On a appris qu’il y était dans la bibliothèque du premier RIMA à Toulon. (silence) Sur votre carte d’identité vous êtes qui ?

Bertrand. Sur…
Roxane.Oui, vous avez bien une carte d’identité.
Bertrand. Absolument.
Roxane. Vous me trouvez méfiante ?
Bertrand. Pas du tout
Roxane ; Vraiment ?
Bertrand. Vraiment.
Bertrand(sort de carte d’identité) Vous voyez..C’est bien moi.
Roxane. Hmm. Ce Ivan Morvec, c’était qui ? Un ami ?
Bertrand. Parfois vous êtes un petit peu impertinente,non ? Vous êtes même une dr ole de fille. Est-ce que je vous demande vos papiers d’identité ?Non. Es-ce que je vous dis que vos mules rouges ne me plaisent pas ? Non. Vous les jeunes, dés qu’on raconte son passé, vous devenez incrédule.ça devient pénible à la fin. Il y a même une certaine grossièreté chez vous sous une allure assez avenante. Et même très avenante.
Roxane Les gens viennent pour se vanter.Dans ce café ? Les gens entrent et ç ç‘est parti ils se vantent. Alors maintenant je me méfie.
Bertrand. J ne pourrai pas mentir devant vous. Je n’ai pas quitté Paris pour venir vous mentir Roxane. Est-ce qu’il est possible de vivre dans la même pièce avec vous sans que la méfiance s’installe ? Sans que le.. ..la dissimulation.. le soupçon.. cette espèce de saloperie de méfiance n e débarque dans ce café que j’aime ? est-ce que c’est possible ? Dites moi ? Je suis Ivan Morvec ici. Bon dieu, j’aime cet endroit, je m’y sens bien avec vous. C’est le coin sur terre que je préfère quand vous y êtes .Vous entendez ? Vous êtes une partie de moi. (silence) Moi je vous crois dans tout ce que vous dites. Je veux à la fin de ma vie regarder une femme droit dans les yeux et tout lui Ne me faites pas ça. Je vous en prie . Sinon, tout est naufrage. Vous comprenez Roxane ? Je marche mal dans la rue je digère mal.. je ne peux plus fumer ..mes pensées sont déjà très au ralenti. Que j’ai au moins votre confiance dans la femme jeune et belle que vous êtes..Et ma vie.. et ma vie..(il sait plus quoi direb.Roxane est émue)
Roxane.(regarde de nouveau la photo de l’article ) Mais à cette époque vous étiez vachement bien habillé. Veston croisé. A l’italienne.
Bertrand. (Il fouille dans son porte-documents. Roxane range des tables) .Samson Francois a eu aussi sa période mocassins en daims.Tenez. (il reprend l’article,fouille dasn son prote document et suort une ppchette d’un vieux disque 33 tours) . Voilà. Samson François.C’est lui.Ert moi. Plus vieux. Vous me reconnaissez là.

Roxane. Absolument. Mais on voit pas ses chaussures.
Bertrand. J’étais là quand la photo a té prise. Studio Jenner. Il avait des mocassins en daim ce jour là.On a bu pas mal de Sancerre ce jour là.
Roxane. Quand je vous entends parler comme ça le matin je me dis que peut-être que vous n’avez trouvé personne à qui parler à un moment de votre vie..C’est tout ça va pas pmus llin. ; N on, je n’rai absolument rien contre le fait que vous soyez Ivan Morbec Morvec.(silence) Je peux être indiscrete ?..Vous avez bien eu… des femmes dans votre vie..Une grande histoire d’amour ?.. Au moins une femme importante dans votre vie ?..
Bertrand.Une anglaise .Sauvage.Magique.Leslie Howard -Davies elle s’appelait. Très sensuelle. Elle ressemblait à Joséphine de Beauharnais. Un long cou, une nuque admirable.Cheveux relevés sur la nuque . C’est si loin. Ma vie est si loin.Je me suis éloigné de ma propre vie. Et de la sienne. .la musique a tout,tout pris. Ma vie ancienne s est détachée de mopi. comme une banquise. Mes parents flottent calmement dans le néant .Leslie aussi. Et j’ai pas pu leur dire .. leur dire quoi.. au revoir tout simplement..
Roxane. Revenons à votre grand amour. Elle ressemblait vraiment à Josephine de Beauharnais ?
Bertrand. Elle était alto.Excellente alto. Londonienne jusqu’au bout des ongles. Sur scène une longue tunique, hanche étroite,
bras interminables, petit chignon, dans sa coiffure un diadème avec motif d’abeilles. Un jour l’une d’elles m’a piqué. Finito ma vie, la vraie, celle qu’on cache. Elle m’a quitté .
Roxane. Elle vous a quitté ? ?
Bertrand. Je répétais Ravel, il devait être six heures du matin j’avais encore pas pris ma douche et elle est venue derrière moi et elle m’a enlacé et dit doucement : j’ai rencontré quelqu’un. J’ai dit:quelqu’un d ‘autre ? Elle a dit oui.
Roxane. Jamais revue ?
Bertrand.Jamais. ( long silence) La nuit elle me visite mais je ne la reconnais pas bien. Elle a changé. (changement de ton) Elle a foutu en l’air six ans de ma vie. C’est elle qui m’a offert cet imper.
Elle enlevait ses collants en plein concert. (un long temps) Roxane, c’est indicible. Ce que j’ai vécu alors. tout est devenu bizarre. Pendant des années je ne reconnaissais plus personne , ni mes amis, ni mes amis,ni les villes que je traversais.
Roxane ; Moi je vous connais .J’aime bien vous voir arriver le matin. (elle lui remet avec tendresse son col de chemise qui est de travers) Vous devriez mettre votre imper au pressing. Vous habiller plus léger. Je peux même le prendre voter imper et le donner à mon pressing. Par ce temps vous n’avez pas besoin d’un imper. Un polo noir, une jean, et vous seriez tres bien. Vous avez une belle silhouette.
Bertrand. Je vous assure, (il ressort l’article de journal) C’est moi. J’ai vraiment été adulé.
Roxane. Je vous crois.
Bertrand. (Il se lève et se dresse comme une statue du Commandeur) l’âme de la musique humaine est une chose de capable de.. de..
Roxane.Oui je sais vous me l’avez dit plusieurs fois..même hier..
Bertrand. Tenez, c’est moi.
Roxane.
Je vous offre un calva.
Bertrand. Merci. (il déguste le calva) .je ne mens pas.
Tenez. (il sort de son vieux porte-document une partition .) Pourquoi est-ce que je n’ai plus joué Schubert après 82 ? Parce que c’est le grand retour à l’enfance. Dans la D664 Schubert me prend par la main il emmène alors très loin Roxane. Il ramène à l’enfance mon enfance, Rue Albert Premier., Je suis dans le plasma de maman. On m’offre un nounours avec un œil de verre qui manque , on me talque(il s’exalte) on me tapote les fesses, tout le monde se demande à qui je ressemble, on essaie des petits chaussons en laine à mes petits pieds.. je jette mes couches sales dans le couloir, je vois un monstre dans le reflet de l’armoire, je cours vers papa qui me filme…Je hurle dans une barque ..je veux plus de lait en poudre je veux le sein de maman.. ses deux seins.. j’en veux beaucoup..(il a renversé la tasse et le verre de calva et le porte documents , il est tombé sur le carrelage.Roxane l’aide à se lever,ramasse les papiers et le reste, et lui rajuste son imper)
Roxane. Il faut rentrer chez vous.
Bertrand. Je savais que Beethoven et Schubert ca vous dirait rien. Les filles dans vote genre ça aime le reggae …Bob Marley… les Noirs qui sentent le rhum..Maintenant les jeunes générations ça danse avec le ventre …avec des cheveux tressés et.. on danse comme ça (Bertrand essaie de se trémousser)
Roxane.Non j’aime pas le Reggae(elle le mène avec douceur vers la porte alors qu’il essaie de danser) ) Je vais vous dire Roxane si j’avais eu 3O ans dans les années 50 on parlerait encore de moi aujourd’hui. mais voilà.. j’aurais connu Carl Schuricht.. c’est la la malédiction de la naissance.. C’est comme ceux qui ont fait leur service militaire en 1938 après -comme mon père- ils se sont coltinés 40 ,les Ardennes,la ligne Maginot, la défaite, les stalags ou pire.. la musique elle, elle déclinait déjà quand je suis arrivé à maturité.. les grands chefs étaient tous morts ..Pareil en Russie..
Roxane. (elle l’aide à boutonner son imper) .. C’est ça.. La Russie..Les grands chefs russes..
Bertrand. Vous les connaissez ? Vous connaissez Mravinski ..Evgueni Mravinski..Et Svletanov ? Evgueni si fougueux et austère hein.. il y a des gens ils prononcent Ievagueni..Ievagueni !je crois que c’est une erreur..
(elle ouvre la porte et lui cale bien son porte-document sous le bras) Vous, avec votre superbe morphologie et vos mollets c’est rasta et fandango.. la chair de l’âme des femmes c’est rasta …
Roxane. Bien sûr.
Bertrand. Vous me croyez ?
Roxane. Absolument.
Bertrand .J’ai oublié de vous payer.
Roxane. Non Bertrand. Je t’offre.. c’est moi qui vous offre
Bertrand(gentil) ah, vous m’avez tutoyé.. c’est gentil ça.. Vous serez là demain ?
Roxane.Oui.
Bertrand. Et après demain ?
Roxane. Aussi. Je serai Là.
Bertrand. Et dimanche ?
Roxane. Aussi .
Bertrand.Promis ?
Roxane. Promis.
Bertrand. Dimanche , c’est moi qui vous en offre un café . Je me suis bien habitué à vous. (il réfléchit)
Demain je vous apporterai mon paquet de café. C’est de l’arabica torréfié chez Giovanni Palati … una tazzina di caffé il caffé comunque è in polvere.. C’est Pollini qui me l’a fait connaître.. Pollini.Pollini.. Sacré Pollini
(il revient vers elle, en confidence ) Il avait encore ses cheveux. Moi aussi. Sacré Pollini. Avec sa tête de chauffeur de taxi. (Il sort péniblement du café et Roxane le regarde longtemps s’éloigner)
FIN

































































