Découvrir le dernier Scott Fitzgerald

Il faut se méfier des légendes. Elles cachent par exemple le Scott Fitzgerald des dernières années, celui qui écrivit magnifiquement  « Le dernier Nabab » .

Au fond, c’est un ascète, un travailleur acharné.

 Dans la deuxième partie de sa vie. Scott n’est plus l’écrivain adulé  des années 20 ,dans les magazines américains, le dandy brillant, superficiel,  celui qui  forme avec Zelda, le  couple  si  emblématique des années folles. Ce n’est plus  le romancier fêté si chic  de « Gatsby » qui ne s’intéresse qu’aux riches et aux jolies héritières, le brillant et glorieux , finies les années « folles »  quand il  croit, comme Hemingway, que Paris est une fête parce qu’il fait la bringue au Ritz, et créé des scandales dans les soirées sur la Côte d’azur chez les Murphy. 

Quand il approche de la quarantaine ce sont des dettes, une débâcle conjugale, petits boulots humiliants de scénaristes à Hollywood au cours de ses deux premiers séjours, Zelda internée dans un asile sans grande chance d’en sortir, sa fille Scottie en pension, insomnies, solitude affective, faiblesse cardiaque, vieux amis qui s’éloignent, voilà désormais l’homme. Il est désormais oublié, passé de mode, lâché par son agent littéraire qui fut si longtemps fidèle. Il choisir des pensions peu chères et vit avec de vieux costumes.  

 Dans un texte autobiographique il   se compare à une assiette fêlée. Une de ses photos de l’époque le montre, le regard flou, ailleurs. Et pourtant il   continue à écrire avec honnêteté mais avec  cette honte secrète qui s’empare des écrivains  qui  ne trouvent plus de leurs volumes en librairie. Le désastre.

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C’est au cours du printemps 1939 que Fitzgerald eut l’idée  de composer un roman qui prendrait Hollywood non pas pour décor, mais pour véritable sujet.  L’écrivain , contrairement, encore  à la légende,  avait  réussi  son troisième séjour à Hollywood, sous  contrat pour la MGM de juillet 1937 à Janvier 1939.  Bien décidé à devenir un vrai scénariste professionnel, Fitzgerald renonce à boire. Il est bien payé (gagne deux fois plus que Faulkner) occupe un petit bureau au deuxième étage du bâtiment des scénaristes, dans l’enceinte des studios. La journée commence vers dix heures du matin et s’achève vers six heures du soir. Les témoins de cette époque décrivent Fitzgerald comme un timide, un solitaire, quelqu’un de modeste et d’appliqué, un peu taciturne. Il se révèle avoir un véritable don pédagogique (voir la scène du « dernier nabab »  au cours de laquelle il expose ce qu’est une vraie scène de cinéma)  et prend   au sérieux la technique et ses règles. Il s’initie au cadrage, au montage, à tous les  stades de la fabrication, jusqu’à la sonorisation car il garde le projet de devenir un jour metteur en scène.

Cependant sa santé reste mauvaise, il dort mal, prend des cachets, subit des coups de fatigue et supporte mal les interminables conférences de rédaction. La MGM lui confie au départ d’améliorer des scenarii qui se passent dans le milieu universitaire car   nombreuses sont ses nouvelles qui traitent de ce sujet. C’est avec l’adaptation du roman de l’allemand Remarque  « Trois camarades » que Fitzgerald  s’investit le plus.  C’est un projet coûteux   de Joseph Mankiewicz, qui passe  pour le producteur le plus cultivé et le plus raffiné d’Hollywood. Le film doit être    confié au réalisateur Frank Bozarge .

Au départ, Fitzgerald écrit seul mais là où les choses se gâtent c’est quand la production décide de lui adjoindre un vieux professionnel du scénario Fred E. Paramore. Fitzgerald le prend mal et se remet à boire. Le travail continue. Sept versions du scénario sont proposées.  Pour finir c’est Mankiewicz qui remanie tout. Finalement le film obtient  un  succès commercial.
Tout ceci pour dire que le roman « le dernier Nabab » repose sur une vraie  connaissance intime, parfaite, de la machine hollywoodienne. Fitzgerald a minutieusement décrit tous les étages de la  machine industrielle, du bureau des dirigeants et de leur secrétariat, jusqu’aux plateaux de tournage, jusqu’aux salles de projection, jusqu’aux ambiances de cantine -où l’on croise les plus grands acteurs- jusqu’aux ateliers de décors. Ce monde professionnel est saisi avec précision, acuité, grande justesse.  Les témoignages de l’époque l’attestent. Acteurs, scénaristes, techniciens, menuisiers, tous les domaines sont scrutés par Fitzgerald avec intelligence, compréhension, et un grand souci d’exactitude. Scott mêle habilement dans son roman les  acteurs de fiction et  despersonnalités bien réelles( Gary Cooper, Carole Lombard, Claudette Colbert, Spencer Tracy) que l’écrivain côtoie  au cours des soirées mondaines. Il y mêle des anecdotes et histoires personnelles avec habileté.  

Evidemment tout le roman   est construit autour de Monroe Stahr, le brillant et intelligent producteur,  dont Irving Thalberg fut  le modèle. Scott l’a rencontré quatre fois. L’homme lui a laissé une énorme impression. Monroe Stahr, comme Irving Thalberg a un vrai génie créatif. Il est à la fois  chef d’entreprise (il sait pourquoi X ou Y est un excellent chef-opérateur), un bon psychologue capable d’écouter les lamentations d’un grand acteur,un comptable avisé, mais surtrout il a une qualité que Fitzgerald apprécie, c’est qu’il se soucie avant tout  de la qualité du film produit alors que d’autres producteurs sont de simples requins de finance qui ne pensent , sans aucune ambition artistique, à gagner le plus d’argent possible  . L’histoire repose donc sur un caractère hors norme ,qui a réussi,  et une histoire d’amour ratée qui apporte la touche de désastre.

Quand le roman débute, Monroe Stahr est arrivé au sommet, lui  le petit juif new yorkais,  mais  il doit se battre pour assurer sa position dans une usine à rêves en pleine transformation. Lors d’inondations dans les studios, une nuit, il sauve deux jeunes femmes, l’une d’elle ressemble étrangement à son épouse disparue. L’histoire nous est curieusement racontée par une tierce personne, Cecilia Brady, fille d’un producteur d’une grande brutalité qui veut la perte de Stahr. A joutons que Cecilia est secrètement amoureuse de Stahr.

Bien que le roman soit inachevé (nous n’avons que deux tiers du roman, une crise cardiaque ayant frappé Scott)et  qu’il nous reste plans, notes, projets,  en chantier, on est frappé par la métamorphose de l’écrivain et de son style. Scott ici, fait preuve de détachement et même d’une secrète et douloureuse  ironie pour décrire la tragédie  et le malentendu d’un homme amoureux  de son art  et soudain  amoureux d’une jeune femme qui ne comprend pas grand-chose  à l’embrasement  affectif de Stahr.

 Là où, dans ses précédents romans Fitzgerald aimait les volutes des phrases, des  détails baroques,  toute une fluorescence sentimentale, des diaprures baroques, des facilités,  avec ornementations  et joliesses , ici,  Scott se rapprochant de Flaubert,  se révèle   distant, objectif, presque impersonnel. Il    met en évidence la dureté des situations. L’évolution d’une industrie, et la fin d’un monde plus humain.   Et c’est le biographe J. Bruccoli qui commente le mieux ce changement d’attitude et l’explicite :  « Fitzgerald, dit-il,  voyait son héros et lui-même, parvenus à la fin d’un processus historiques -nous sommes en 1939..-.Le monde des années 1930 et la guerre imminente allaient mettre un terme à la conception romantique de la vie qui avait inspiré la fiction ».Monroe Stahr, comme Fitzgerald , était « le dernier d’une certaine espèce d’écrivains écrivant sur le dernier des vieux héros américains ». Le roman analyse cette fin d’une époque et prédit ce qui allait se passer à Hollywood, à savoir  la pure gestion technique et comptable, avec des financiers cyniques aux commandes. le désir de beauté  artistique   cède  face au profit. La liberté du talent individuel fait place à la gestion comptable..

Je recommande la traduction et surtout les notes de Philippe Jaworski, dans le volume II de « Romans, nouvelles et récits »  de Fitzgerald, en Pléiade. Ce volume contient aussi les meilleures nouvelles de Scott, notamment ce « Retour à Babylone » et propose une infinité de documents sur les brouillons et notes et fragments de carnets de cet auteur.

« Tout est bon, on le sait, pour se débarrasser d’un écrivain qui s’impose : mythologies, photos, cinéma, roman familial. Hemingway torse nu avec un espadon, Faulkner en éthylique cavalier sudiste, Fitzgerald en grand puni du succès précoce et des années folles, Joyce en errant illisible, Kafka en martyr ténébreux, Céline en monstre, Artaud en grimaces. Pour Fitzgerald, interminablement, les clichés sont là : héros désenchanté, Musset de l’autodestruction, ivresse de la perdition, persécuteur de Zelda, persécuté par lui-même, Côte d’Azur et crise de 29, imprévoyance, dépenses et alcool. »

 Philippe Sollers


 [MA1]

4 réflexions sur “Découvrir le dernier Scott Fitzgerald

  1. Fitzgerald à la fin de sa vie n’a pas si mauvaise mine, Paul.
    J’ai lu et beaucoup aimé Gatsby, un peu moins « Tendre est la nuit », quelques nouvelles…mais bon, j’ai tellement d’autres lacunes plus urgentes (ou envies) à combler que je m’abstiendrai pour votre « Nabab »…

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  2. On ne se lasse pas de relire vos recommandations, mais, ayant un programme chargé, j’attendrai un peu, d’autant qu’une Pléiade neuve représente tout de même un investissement, En attendant, je note. Je ne sais pas pourquo, , vous lisant, je pense à James Ellroy, meme vision noire de l’Amerique, meme connaissance des milieux du temps ( lequ’atour de Los Angeles) mais lui ne traite pas d’ Hollywood. Au plus de la période de la Guerre. MC

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